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Réduction des Risques
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SWAPS nº 4

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L'ecstasy : mythe et réalité

28eme rencontre du CRIPS

par Michel Gandilhon

Dans sa première livraison, Swaps consacrait un article à l'activité du groupe d'auto-support Techno-plus. Celui-ci y décrivait ses interventions lors des raves et donnait quelques éléments sur les problèmes rencontrés lors de la consommation d'ecstasy. La VIIIe Conférence sur la réduction des risques liés à la drogue et la 28e rencontre du Crips nous offrent l'opportunité de revenir plus longuement sur le sujet, et notamment sur le thème controversé de la dangerosité de l'ecstasy pour la santé.

Love Parade à Berlin, articles à sensation dans la presse, le phénomène techno/ecstasy n'en finit pas de solliciter l'attention du public. Cela est bien sûr la traduction de l'ampleur pris par le phénomène à partir du début des années 90.
Le caractère quelque peu ésotérique pour le profane de la sous-culture attachée au courant techno, la diabolisation dont fait l'objet l'ecstasy " tueuse " exigent une attention particulière pour tenter de comprendre le phénomène.
C'est dans cet esprit que le Crips a réuni plusieurs spécialistes (1) pour analyser la situation,confronter les expériences en France et àl'étranger, et tenter de répondre aux interrogations des acteurs engagés dans le champ de la toxicomanie.

Même si l'amalgame peut paraître abusif, l'essor de la consommation d'ecstasy est indissociable du développement d'un nouveau courant musical : la techno. C'est pourquoi, si l'on veut tenter de comprendre cet essor (2), il est indispensable de connaître le milieu culturel et social qui prévaut autour de cet usage. Astrid Fontaine, coauteur avec Caroline Fontana d'un livre sur la question (3), a donné quelques clefs permettant d'appréhender ce phénomène, loin des clichés et des fantasmes.

Le phénomène techno ne se réduit pas à l'apparition d'une simple mode musicale. Comme tous les grands courants musicaux qui l'ont précédée, la techno a engendré un véritable univers avec une culture qui lui est bien spécifique.
Ce milieu se caractérise par des codes, des rites, un langage qui lui sont propres et un dynamisme qui ne cesse d'inventer des sous-courants exprimant des imaginaires différents. Aujourd'hui, cette mouvance est très organisée et s'est dotée de moyens d'expression autonomes (journeaux, fanzines, radio, flyers), a suscité des métiers (disquaires, patrons de boîtes, compositeurs, disc jockeys) et connaît un certain dynamisme économique.
Ce milieu n'est cependant pas homogène. Outre les disparités musicales - transe goa, hard core (4) -, des tendances ont émergé, expression d'aspirations divergentes. Ainsi, les observateurs distinguent une tendance underground, réfractaire à toute forme d'institutionnalisation, qui organise des fêtes sauvages et gratuites, lesquelles font souvent l'objet de la répression des pouvoirs publics, et une tendance qui s'exprime dans le circuit commercial classique des boîtes de nuit et des concerts (5).

A la différence du rap qui revendique son opposition à l'ordre établi, le mouvement techno s'est développé sans manifester la moindre préoccupation sociale ou politique. Sa seule revendication - si l'on peut dire - est le droit à faire la fête. On notera comme spécificités une fascination pour les nouvelles technologies de la communication, la cyberculture, un aspect futuriste très marqué, caractéristiques qui pourraient le rapprocher du courant new-age.

Les raves

La fête ou rave est le lieu de prédilection de l'expression techno.

Elle commence en général à partir de minuit-deux heures du matin et dure jusque vers six heures, même si parfois elle peut se prolonger plus loin dans la matinée. L'espace de la fête est envahi par la lumière et le son et présente un agencement en rupture radicale avec le décor quotidien. C'est cette rupture que recherchent les participants. L'espace/temps des raves - avec le halo de mystère que procure la nuit, la clandestinité parfois, la répression, le voyage afin de se rendre sur les lieux - accentue le sentiment de rupture. A cela s'ajoutent le caractère insolite de l'espace, la forte présence sonore de la musique et la prise de psychotropes.

La rave implique donc une démesure et un dépassement physique hors du commun (huit heures d'affilée de danse).

La techno alterne les phases de montée (accélération du tempo) et de descente, et s'éploie en cycles qui vont scander la nuit. Cette musique provoque en général un effet de transe dû au caractère répétitif de la musique, et une perte de la notion du temps.

Les produits consommés

Caroline Fontana est intervenue plus spécifiquement sur la question des produits consommés lors des raves. Les substances de prédilection des ravers sont le LSD, l'ecstasy et le cannabis, lesquelles ont pour fonction d'accentuer, le temps de la fête, cette sensation de rupture évoquée plus haut.

Ces produits - et notamment l'ecstasy et le LSD - sont accessibles à des prix modiques (80 F pour l'ecstasy, 50 F pour le LSD), lesquels diminuent d'année en année.

Aujourd'hui, on constate une dégradation de la qualité des produits proposés au public, qui n'ont plus qu'un lointain rapport avec le MDMA. Ce constat est corroboré par la police. D'après Jean-Pierre Counil et selon les données recueillies par les services de police, il existerait 50 types d'ecstasy avec les principes actifs suivants :

On retrouve également des produits diluants bien connus, utilisés pour couper l'héroïne et la cocaïne : lactose, sorbitol, caféine.

En Angleterre et en Allemagne, les autorités ont identifié récemment de nouvelles substances à base d'éphédrine ou de testostérone, qui ne sont pas apparemment encore arrivées jusqu'en France.

Le problème est similaire en Hollande ou la qualité des produits s'est dégradée au fil des ans. Le Dr Erik Fromberg a pu mener une enquête sur la question à partir de 1992 et a identifié plusieurs centaines de pilules différentes. Celles-ci sont répertoriées dans une encyclopédie suivant leur forme, leur couleur, leur taille et leur poids. Certaines sont de véritables poisons, d'autres des coktails d'amphétamines plus ou moins forts, mais bien peu sont de réelles ecstasy ne contenant que du MDMA. La liste est réactualisée et rediffusée chaque semaine, et les nouvelles apparitions de pilules dangereuses sont immédiatement signalées aux organisateurs de raves, aux associations techno et aux forces de l'ordre.

Qui va dans les fêtes ?

On ne dispose pas pour le moment d'étude systématique sur le public qui fréquente les lieux ou l'on danse sur la musique techno. Cependant, les observations empiriques réalisées sur le terrain mettent en évidence une participation écrasante des quinze-vingt ans et une dominante masculine. Ces constatations se retrouvent dans les statistiques d'interpellation pour usage d'ecstasy en Ile-de -France données par Jean-Pierre Counil. En Ile-de-France, 83,3 % des interpellés sont de sexe masculin, la proportion des personnes interpellées situées dans la tranche d'âge 18-25 ans s'élève à 73,5 % alors qu'elle est de 60,7 % pour le total des produits. Pour ce qui ressortit à la catégorie socioprofessionnelle des personnes interpellées, 44 % sont sans profession (58 % pour les usagers d'autres substances) et les catégories les plus représentées sont les étudiants, les ouvriers et les employés (6).

Pour Erik Fromberg, l'usage d'ecstasy est clairement un rite de passage pour la jeunesse et, pour l'écrasante majorité des consommateurs, la prise de ce produit n'excède pas un ou deux ans.

Les effets de l'ecstasy et les conséquences médicales induites

Pour Christian Sueur, psychiatre à l'Espace Parmentier, le problème est complexe car les effets vont varier en fonction du type de produits, du contexte et des individus. Les produits peuvent être extrêmement disparates ainsi que leurs effets biologiques. Les contextes sont variables et peuvent jouer un rôle important dans la consommation du produit. Ainsi, par exemple, il n'est pas indifférent de savoir si le produit est consommé quotidiennement ou uniquement dans les raves du samedi soir. Il en va de même pour les individus pour lesquels les effets du produit vont dépendre de l'état psychologique, de l'histoire personnelle et de tout un ensemble de paramètres.

En général, les risques biologiques liés à la consommation de méthamphétamines identifiés par la littérature médicale internationale sont les suivants : l'agitation, la tachycardie, l'hypertension, l'hyperthermie, la déshydratation. Des cas d'intoxication graves ont été observés, liés à une majoration extrême des symptômes précités. Il semblerait toutefois que ces risques soient fortement corrélés avec la présence de produits annexes frelatés.

Sur le plan des risques psychologique et psychiatrique, les conséquences néfastes les plus graves décrites chez certains consommateurs sont dominées par le risque de " psychose amphétaminique ". On peut assister à des états d'anxiété généralisée, à des crises de panique, des états paranoïdes à tendances persécutives. Il semble cependant que la consommation de MDMA ne donne lieu à aucun cas de bouffées délirantes dissociatives aiguës, contrairement à ce qui se produit chez des sujets psychologiquement fragiles après une prise de LSD.

Pour conclure sur cet aspect, il est difficile de faire la part entre les effets pharmacotoxiques éventuels, les effets perturbateurs sur l'économie psychique antérieure, et ce qui est lié au mode de vie en rapport avec la sous-culture des raves et du mouvement techno : répétition des nuits sans dormir, bouleversement des cycles veille-sommeil, des cycles alimentaires, vie tribale, désintérêt pour ce qui ne participerait pas du mouvement, et la prise concomitante d'autres drogues.

Pour Christian Sueur, la théorie de l'escalade, voulant qu'à partir de l'ecstasy se développe nécessairement la consommation d'autres drogues, ne rend pas compte de la réalité. Ici encore, le phénomène peut se manifester chez des individus présentant une vulnérabilité personnelle. Les produits peuvent les " secouer " psychiquement et existentiellement, contribuer à l'aggravation de leur psychopathologie personnelle, et les conduire à rechercher d'autres produits d'automédication, en général sédatifs et tranquillisants.

Le risque létal est, quant à lui, limité. Sur des centaines de milliers d'usagers, les recensements ne relèvent que quelques décès. Dix ans après le début de la consommation d'ecstasy, la littérature médicale a fait état jusqu'à maintenant de 63 cas d'intoxication mortelle. D'un point de vue de santé publique, cette consommation ne pose donc pas de problèmes graves.

La réduction des risques

Un consensus s'est dégagé auprès de la totalité des intervenants pour constater que la panique fort répandue en France sur l'ecstasy n'est pas justifiée et manifeste une certaine ignorance du phénomène. Plus grave, ignorance et panique engendrent une demande de répression qui, elle, est facteur de risques pour les jeunes qui fréquentent les raves. Pourtant l'expérience en matière d'auto-support et de réduction des risques en Grande-Bretagne (voir l'article sur la VIIIe Conférence) rapportée notamment par Crew 2000 ou le travail réalisé par Techno-plus, démontre que quelques mesures simples suffisent à réduire radicalement les quelques risques liés à la prise de ces produits. On a vu plus haut qu'un des risques majeurs étaient constitués par le fait que beaucoup de produits qui circulent ne sont pas composés de MDMA. La parade adaptée consisterait à promouvoir notamment le testing des produits à l'instar de ce qui se pratique en Hollande. Erik Fromberg rapporte que des associations hollandaises parrainées par le gouvernement hollandais testent les pilules pendant les raves à la demande des consommateurs et des revendeurs. Le test est simple, rapide, et bon marché et permet de faire disparaître rapidement les produits frelatés. Ainsi encadrées, les fêtes hollandaises ne connaissent pratiquement pas d'accidents, et attirent peu de produits coupés ou surdosés. Depuis que le testing s'est répandu, la qualité des ecstasy, des amphétamines et du LSD recensés par Erik Fromberg s'est très nettement améliorée (7).

La logique répressive qui prévaut en France empêche pour le moment la mise en place de ce type de dispositif, et risque de mettre en péril la vie d'usagers pour lesquels la prise d'ecstasy ne constitue qu'un moment de la vie, marqué par le passage de l'adolescence à l'âge adulte.


(1) Liz Skelton, coordinatrice, Chris Dignan, bénévole de Crew 2000, Ecosse.
Astrid Fontaine, Caroline Fontana, ethnologues.
Jean-Pierre Counil, fonctionnaire à l'Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants.
Erik Fromberg, chercheur au Trimbos-instituut, Netherlands Institute of Mental Health and Addiction.
Christian Sueur, psychiatre, consultant à l'Espace Parmentier (médecins du Monde).
Thierry Charlois, président de Techno-Plus.

(2) Essor dont la traduction se trouve dans les statistiques des saisies d'ecstasy ou d'arrestation d'usagers. Ainsi, les saisies par les services compétents (gendarmerie, police, nationale et douane) sont passées de 13 000 comprimés en 1990 à 350 000 en 1996, les interpellations de 32 à 1179 pour la même période.

(3) Raver, Anthropos poche ethno-sociologie, ed Economica, 1996.

(4) Transe Goa : de Goa, Etat du sud de l'Inde, visité par les ravers qui y organisent des full moon parties, raves en plein air à l'occasion de la pleine lune. Goa a donné son nom à ce sous-courant de la Techno qu'on pourrait rapprocher du mouvement hippie.
Hardcore : version hard et rapide de la Techno qui déferle au minimum au tempo de 180 BPM (battements par minute).

(5) Qui peut faire aussi l'objet de la répression des pouvoirs publics. Dernier exemple en date, la fermeture par la justice pour plusieurs semaines de plusieurs boîtes parisiennes où se pratiquait le trafic d'ecstasy et d'acides.

(6) Les statistiques d'interpellation ne reflètent que très imparfaitement le milieu qui fréquente les raves et il est dangereux d'extrapoler à partir de ces données. Pour Jean-Pierre Sueur, les statistiques nous renseignent sur les milieux auxquels la police s'intéresse - les sans-profession par exemple -, et qui sont les cibles privilégiées de la répression. La proportion d'étudiants est certainement beaucoup plus importante, mais ceux-ci ont en général moins de rapports avec la police.

(7) Thierry Charlois, sur la base d'un testing " sauvage " réalisé par Techno-plus, confirme ce constat. Alors qu'en début de soirée, la quasi-totalité des pilules vendues dans la rave ne contenaient pas de MDMA (20 sur 21), la pratique du testing a permis d'améliorer la qualité de l'offre des produits proposés.