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n°137 - juillet 08

 


Carcinome hépatocellulaire et infection VIH

 

Françoise Degos

Service d'hépatologie, Hôpital Beaujon (Clichy)

 








Les carcinomes hépatocellu­laires (CHC) chez les patients infectés par le VIH surviennent tôt, et sont souvent détectés à un stade tardif. Une détection prospective doit être mise en route, et tous les types de traitement doivent être envisagés.

 

Les hépatologues sont confrontés de plus en plus fréquemment au problème des carcinomes hépatocellulaires (CHC) chez les patients atteints d’infection VIH, et cette éventualité était rare dans leur pratique jusqu’à une date récente.
Les résultats de l’étude de la plus importante cohorte actuellement connue de carcinome hépatocellulaire chez les patients infectés par le VIH+ ont été rapportés très récemment1, soulignant l’importance de cette nouvelle pathologie chez les patients séropositifs. Il s’agit de patients suivis aux Etats-Unis dans de grands centres d’hépatologie. Dans ce travail, la survie des patients atteints de carcinome hépatocellulaire n’est pas modifiée par la coinfection VIH/hépatite virale.
Plusieurs points méritent d’être analysés :
- l’incidence du carcinome hépatocellulaire au cours de l’infection VIH,
- la possibilité de facteurs prédictifs de survenue de CHC chez les patients séropositifs,
- l’existence d’éventuelles différences cliniques biologiques ou évolutives des carcinomes hépatocellulaires chez les malades porteurs du VIH.

Hépatites virales et incidence du CHC

On estime que parmi les 40 millions de porteurs du virus VIH, 2 à 4 millions sont porteurs chroniques du virus de l’hépatite B (VHB), et 4 à 5 millions sont porteurs chroniques du virus de l’hépatite C (VHC). La prévalence des coinfections VIH-VHB et VIH-VHC dépend de facteurs géographiques. On sait que l’infection VHB est contractée dans les premières années de la vie en Afrique subsaharienne et en Asie. Dans ces régions, les jeunes adultes contractent l’infection VIH par voie sexuelle2.
En revanche, la coinfection VIH-VHC est plus fréquente dans les populations largement exposées aux produits dérivés du sang et chez les usagers de drogue intraveineuse (en Europe du Sud, plus de 80% des usagers de drogue infectés par VIH sont coinfectés par le VHC3). Quelques cas d’infection aiguë par le virus de l’hépatite C chez des patients homosexuels masculins ont été récemment décrits, suggérant alors la possibilité d’une transmission sexuelle du VHC4.
On constate actuellement, en France comme en Europe, une augmentation importante de la mortalité attribuée à la cirrhose, qui était évaluée à 1,5% en 1995 et qui a augmenté à 12,6% en 2003 en France5. De la même manière, en Europe, 15% de la mortalité des patients VIH est liée à des maladies hépatiques. Dans ces cas, l’infection par le VHC et un taux bas de CD4 étaient associés à la mortalité par atteinte hépatique6.
Il est admis que la coinfection VIH-VHC raccourcit le délai d’apparition de la cirrhose chez des malades coinfectés. On sait que dans une grande série multicentrique de 847 patients atteints d’anomalies congénitales de la coagulation dont 210 étaient coinfectés par le VIH et le VHC, l’incidence cumulée après 35 ans d’infection de la cirrhose chez les patients coinfectés est beaucoup plus importante que chez les patients monoinfectés (35% vs 15,5%)7.
Si une évolution plus rapide de la maladie hépatique a pu être démontrée, le rôle du VIH dans la survenue du carcinome hépatocellulaire n’a pas été clairement élucidé. L’incidence des carcinomes hépatocellulaires chez les patients coinfectés VIH-VHC comparés à des patients VHC positifs n’est pas différente.

Facteurs prédictifs

L’existence de facteurs prédictifs du développement du carcinome hépatocellulaire est discutée. Il est possible que le traitement antirétroviral augmente le risque de carcinome hépatocellulaire. Il s’agit peut-être d’un biais statistique lié à l’augmentation de la durée de vie des patients depuis les trithérapies. D’autres facteurs sont plus clairement démontrés : une ingestion importante d’alcool, l’obésité, le syndrome d’insulino-résistance.
Bien entendu, la possibilité de l’effet adjuvant du traitement antirétroviral sur la survenue de CHC ne doit pas faire négliger son rôle dans l’amélioration de la survie chez les patients coinfectés. Il faut même souligner qu’un travail récent aux Etats-Unis estimant l’impact de l’épidémie d’infection VHC a conclu que l’augmentation de la mortalité liée au VHC ne pourrait être contrecarrée que par un meilleur accès aux traitements antirétroviraux, ou par des traitements antirétroviraux plus efficaces8.

Particularités cliniques

Sur le plan clinique, on sait que l’infection VIH influence le cours de l’infection par le VHB et le VHC. Au cours de l’infection par le VHB, la co-infection VIH modifie la réponse immune innée et adaptative, induisant une progression plus rapide de la fibrose et une incidence plus élevée de cirrhose et de ses complications Cette évolution pourrait être prévenue par l’initiation rapide d’un traitement antirétroviral.
On sait que l’infection VIH modifie le cours de l’infection par le VHC, augmentant le risque de cirrhose en accélérant le rythme de la progression de la fibrose. La cirrhose survient alors avec un délai de 12 à 16 ans9.
Deux grandes séries cliniques de carcinome hépatocellulaire comparant des patients monoinfectés à des patients coinfectés VIH-VHC sont actuellement disponibles1,10. Ces derniers sont plus jeunes que les patients non coinfectés (d’une dizaine d’années). Dans trois quarts des cas, les tumeurs sont liées au virus de l’hépatite C et dans les autres cas au virus de l’hépatite B. Une consommation importante d’alcool a été retrouvée dans 32% à 46% des cas, et 75% à 85% des patients avaient des antécédents de toxicomanie intraveineuse. Le carcinome hépatocellulaire est survenu chez des patients en assez bonne condition hépatique : score de Child A ou B pour la plupart d’entre eux.
Les caractéristiques des tumeurs étaient semblables : dans 35% à 45% des cas, il s’agissait de tumeur unique de taille moyenne (4,2 cm) et on trouvait une thrombose portale dans 32% des cas. L’augmentation moyenne de l’alpha-foetoprotéine (qui est considérée par certains comme un facteur de mauvais pronostic) était plus élevée chez les patients coinfectés que chez les patients monoinfectés dans les deux séries. La survie moyenne était similaire dans les deux séries : environ six mois, ce qui est le pronostic des patients avec facteurs de gravité chez les patients non coinfectés. Ce mauvais pronostic pourrait être le fait du diagnostic de CHC à un stade avancé de la maladie, chez les patients qui ne bénéficient pas d’une détection du VHC ou à une maladie plus agressive.

Une large gamme de traitements

Dans la série de patients suivis aux Etats-Unis, un traitement à visée palliative n’était proposé que dans 40% à 50% des cas, aucun des patients n’a été considéré pour une transplantation (qui n’est plus contre indiquée chez les patients VIH+) et un traitement potentiellement curatif n’était proposé qu’à quelques patients. Il est important de souligner que les résultats de l’étude de la survie des patients de la série européenne10 montrent une survie moyenne de 6 mois pour les patients coinfectés, et de plus de 12 mois pour les patients non porteurs du VIH. Les modalités de la prise en charge très précoce, en milieu hépatologique spécialisé, des patients monoinfectés expliquent probablement cette différence notable avec les résultats obtenus outre-Atlantique.
Il est maintenant évident que les cliniciens doivent reconsidérer le problème des patients co-infectés VIH-VHC pour leur proposer une détection plus précoce du carcinome hépatocellulaire et, en cas de tumeur avérée, des traitements plus agressifs.
Par ailleurs, la prise en charge des patients atteints de carcinome hépatocellulaire, qu’ils soient VIH positifs ou non, doit toujours associer le traitement de la cirrhose et de ses complications éventuelles au traitement du carcinome hépatocellulaire. En effet, une bonne condition hépatique (évaluée par le score de Child) est un élément fondamental de la survie qui peut nettement être améliorée par la prévention et le traitement des hémorragies digestives, du syndrome oedémato-ascitique et de l’encéphalopathie, qui sont souvent la conséquence de phénomènes infectieux latents.

Conclusion

Les carcinomes hépatocellulaires chez les patients infectés par le VIH surviennent tôt dans l’histoire clinique des patients, et sont souvent détectés à un stade tardif. Il apparaît clairement que pour en améliorer la prise en en charge et le pronostic, une détection prospective doit être mise en route de la même manière qu’elle est proposée aux patients monoinfectés (alpha-foeto-protéine à chaque bilan, échographie tous les 6 mois en cas de fibrose sévère (F3/F4), voire utilisation de l’élastométrie (Fibroscan®).
Tous les types de traitement doivent être envisagés chez ces patients11, de la transplantation hépatique, dont les indications chez les patients VIH ont été bien codifiées, aux traitements curatifs - résection chirurgicale, traitement par radio-fréquence - ou aux traitements plus palliatifs comme la chimioembolisation. L’utilisation des traitements anti-angiogéniques12 sera probablement rendue très difficile par les autres thérapeutiques associées, et n’a pas été évaluée à ce jour. Enfin, la prise en charge hépatologique de la cirrhose reste essentielle pour améliorer le pronostic vital.



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