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n°137 - juillet 08

 


VIH – Transmission verticale

Grossesse chez des femmes VIH+ depuis leur naissance

 

Isabelle Funck-Brentano

Psychologue Service d'Immuno-hématologie. Département de pédiatrie Hôpital Necker-Enfants malades (Paris)

 






Pregnancies in young women with vertically acquired HIV infection in Europe
Thorne C., Townsend C., Peckham C., Newell M.-L., Tookey P.
AIDS, 2007, 21, 18, 2552-56

Deux études ont analysé les cas de grossesse survenus chez des jeunes femmes séropositives de naissance. L'occasion de comparer les situations décrites aux Etats-Unis et en Europe, et de poser la question de la prévention de la transmission mère-enfant de seconde génération.

 

Parmi les enfants infectés par le VIH à la naissance par voie materno-foetale, un nombre croissant d’entre eux ont atteint l’adolescence ; les plus âgés sont déjà des adultes. Dans tous les pays touchés par le VIH, les centres pédiatriques ont connaissance de quelques grossesses parmi ces jeunes filles ou jeunes femmes séropositives de naissance. La proportion de ces grossesses à travers le monde est encore peu connue, de même que la prévention de la transmission mère-enfant de seconde génération.
Deux articles parus en 2007 présentent un premier état des lieux sur la question. Le premier a étudié les jeunes filles suivies aux Etats-Unis dans 75 centres de maladies infectieuses pédiatriques, incluses dans le protocole de traitement 219C entre septembre 2000 et décembre 2005. Le deuxième fait état du nombre de grossesses rapportées en Europe parmi les patients suivis dans deux cohortes, "European Collaborative Study" et "United Kingdom and Ireland’s National Study of HIV in Pregnancy and Childhood".
Deux références antérieures avaient fait un premier état des lieux des grossesses de mères séropositives de deuxième génération à Porto Rico dès 20021, puis en Inde en 20052.

Onze grossesses dans les deux cohortes européennes

Thorne et coll. ont publié pour la première fois le nombre de grossesses répertoriées en Europe à partir de deux cohortes au Royaume-Uni, en Irlande, Allemagne, Italie et Belgique. Onze grossesses chez neuf jeunes femmes ont été recensées entre 2002 et 2007. Neuf d’entre elles ont donné lieu à une naissance. Leur âge au moment de l’accouchement variait entre 15 et 22 ans. Trois d’entre elles avaient déjà été enceintes auparavant ; deux avaient avorté et une avait fait une fausse couche. Quatre jeunes femmes étaient d’origine africaine.
Ces femmes étaient, à l’exception de deux d’entre elles, traitées par multithérapie antivirale au moment de la conception, et ce de longue date. La médiane des CD4 en fin de grossesse était de 190/mm3 (18-642). La charge virale était détectable chez huit femmes (> 50 copies/ml) peu avant l’accouchement (59-6600). Trois femmes avaient une charge virale indétectable au moment de l’accouchement. Huit femmes ont accouché par césarienne dont deux en urgence avant le terme ; une seule a accouché à terme par voie basse avec une charge virale de 282 copies par ml.
Parmi les 9 enfants, un était déclaré séronégatif, les 7 autres présumés non-infectés (tests PCR négatifs, mais sans confirmation des tests anticorps), le dernier né n’était pas encore testé. En dépit de quelques incertitudes, la transmission materno-foetale approchait le 0%. Deux enfants avaient un petit poids de naissance rapporté à l’âge gestationnel. Deux autres présentaient des malformations congénitales : anomalie partielle de rotation de l’intestin ; défaillance du septum ventriculaire, permanence du foramen ovale.
A l’exception de deux, ces jeunes femmes ont réussi à survivre jusqu’à l’ère des trithérapies et sont devenues adultes. Grâce à l’efficacité des nouvelles thérapeutiques, la plupart des jeunes filles nées de mère séropositives seront un jour en âge de procréer ; leur nombre est en augmentation constante. On estime à 300 le nombre de jeunes filles infectées à la naissance, nées entre 1988 et 1996, vivant au Royaume-Uni. On sait encore peu de choses du désir d’enfant et de la vie sexuelle de ces jeunes filles ou futures jeunes femmes. Leur offrir la possibilité d’être conseillées et soutenues par du personnel de santé spécialisé dans l’infection à VIH et la sexualité correspond à un besoin prioritaire dans cette période de vie. Lorsque les jeunes filles sont encore suivies en pédiatrie, l’accès à ce type de service est parfois moins aisé.
Toutes les femmes étaient sous multithérapie pendant leur grossesse et la plupart avaient un long passé de traitements complexes. Parmi elles, 2/3 de celles qui ont accouché d’un enfant avait une charge virale détectable, mais faible. Leur passé thérapeutique les exposait probablement à un risque élevé de résistance. En général, les jeunes rencontrent souvent des difficultés d’adhérence au traitement et les jeunes femmes séropositives enceintes auraient besoin d’un soutien plus intense pour favoriser une bonne adhérence de leur part.
Dans cette étude, l’absence de transmission maternelle est rassurante, mais on ne peut pas exclure qu’elle puisse se produire, en particulier en cas d’échec virologique, de résistance au traitement et d’un état avancé de la maladie chez la mère.
Le passage des adolescents infectés par le VIH de la pédiatrie à la médecine adulte concerne aujourd’hui un large nombre de jeunes. Les équipes réfléchissent aux meilleures modalités qui favoriseraient ce passage dans des conditions optimales. Quelques centres ont créé des unités de soins spécifiques pour adolescents. Il importe désormais de se préoccuper d’accueillir au mieux les jeunes filles ou jeunes femmes avant, pendant et après leur grossesse dans les projets à venir.

32 naissances aux Etats-Unis

L’étude présentée dans AJPH porte sur 638 jeunes filles âgées de 13 ans et plus (13,0-24,7), incluses dans le protocole 219C entre septembre 2000 et décembre 2005. Elles étaient suivies dans 75 centres pédiatriques répartis dans 24 Etats des Etats-Unis. Parmi elles, 174 (27,3%) étaient sexuellement actives ; ces dernières étaient plus âgées, plus souvent Hispaniques, vivants seules, avec une charge virale plus élevée et des CD4 plus bas que les jeunes filles non sexuellement actives. La proportion des jeunes filles sexuellement actives sous traitement antiviral était plus faible que celle des jeunes filles non sexuellement actives.
Trente-huit jeunes filles sont tombées enceintes entre l’âge de 13 ans et leur dernière visite chez le médecin. A 19 ans, le taux de première grossesse était de 17,2% (intervalle de confiance à 95% = 11,1-23,2) parmi les 638 jeunes filles étudiées et de 24,2% (IC 95% = 16,6-31,8) parmi les 174 jeunes filles sexuellement actives. Vingt-huit des premières grossesses ont abouti à une naissance. Deux ont avorté, et huit ont subi une interruption médicale de grossesse. Six jeunes filles ont eu une deuxième grossesse (dont trois ont abouti) et une une troisième.
Toutes les mères étaient sous multithérapies pendant la grossesse. Sur les 32 naissances, un enfant est né infecté par le VIH, 29 étaient séronégatifs, et pour deux, le statut est resté inconnu. Le taux de transmission était de 3,3% (IC 95 % = 0,1-18,6).
La présence d’infections gynécologiques à condylomes et trichomonas était fréquente chez toutes les jeunes filles. Quarante-huit (47,5%) des 101 jeunes filles examinées avec le test de Papanicolaou avaient des anomalies cytologiques cervicales, incluant des cellules atypiques de signification indéterminées (n = 18), des lésions squameuses intra-épithéliales de bas grade (n = 27), et de haut grade (n = 3).
En conclusion, parmi les adolescentes infectées par le VIH, le taux de grossesse était plus faible et les anomalies cervicales plus élevées que chez les adolescentes non infectées par le VIH. Ces résultats soulignent l’importance du test de Papanicolaou et incitent à recommander des pratiques sexuelles protégées.

Désir... et non-désir d’enfant

Ces deux études montrent que les jeunes filles séropositives envisagent d’avoir des enfants, dans une proportion cependant plus faible que celles qui ne sont pas infectées. Certaines tombent enceintes précocement et interrompent leur grossesse. Le fait d’avoir une charge virale détectable, parfois élevée, ne les retient pas. La proportion des femmes qui ont une infection gynécologique et des anomalies cervicales est plus importante chez celles qui ont une vie sexuelle active et des rapports non protégés. Le taux de transmission du virus de la mère à l’enfant varie de 0 à 3%.
Il est dommage que l’étude européenne ne précise pas la proportion des jeunes filles enceintes par rapport à l’ensemble du groupe de jeunes filles infectées. Dans l’étude américaine, il est de 17% à l’âge de 19 ans. En France dans la région parisienne, il en existe environ une dizaine (3 par centre pédiatrique). Sur 1500 enfants infectés par la mère en France, environ 1/3 sont des adolescents, soit 500. Si la moitié d’entre eux sont des filles, parmi environ 250 jeunes filles infectées, on pourrait supposer qu’entre 5% et 10% d’entre elles ont eu une grossesse ; les grossesses concerneraient donc 20 jeunes filles environ. Ces chiffres sont aujourd’hui spéculatifs. Une étude prospective nationale est en cours d’élaboration pour identifier le devenir de ces adolescents une fois adultes, notamment en ce qui concerne leur vie sexuelle et la procréation.
Il est notable que des jeunes filles avec une charge virale détectable n’ont pas renoncé au désir d’enfant, même si certaines ont avorté. Cela doit inciter les équipes pédiatriques et adultes à développer toutes les mesures qui favorisent l’adhérence au traitement, les mesures de protection lors des relations sexuelles et de contraception.
A l’inverse, il existe aussi beaucoup d’adolescents et adolescentes qui ne veulent pas avoir d’enfants. Ceux-ci feraient l’objet d’une autre étude fort intéressante. D’autres jeunes (filles et garçons) disent préférer renoncer à avoir des enfants pour ne pas les exposer au risque d’avoir à leur tour des parents malades ou qui les abandonnent en décédant.
Ce souhait de vouloir éviter à tout pris la répétition de leur souffrance d’enfant dans la génération suivante correspond à un désir de maîtrise ; il pourrait être aussi une censure, une tentative de moralisation adressée à leur parent : "Je te reproche de m’avoir mis au monde, de m’avoir contaminée, de t’être autrefois infecté... Je ne ferai pas comme toi ; on ne pourra rien me reprocher." Ces adolescents sont aussi mal dans leur peau, n’acceptent pas leur corps et ont beaucoup de mal à s’engager dans une relation amoureuse, a fortiori sexuelle. La peur de révéler leur statut et de se faire rejeter les conduit à éviter toute relation sentimentale et sexuelle.

Dédramatiser la situation

On parle toujours du désir d’enfant de la jeune fille, mais qu’en est-il de ce désir chez le garçon ? Un certain nombre disent préférer s’abstenir d’avoir des enfants pour les raisons évoquées plus haut. De plus en plus, filles et garçons ont connaissance des techniques de procréation pour éviter la transmission du virus au partenaire, ce qui semble beaucoup les conforter. D’autres s’en plaignent parce que ce recours rompt l’intimité et le charme qui entourent d’habitude la procréation.
Des consultations successives chez un gynécologue averti peuvent permettre dans certains cas de dédramatiser la situation, d’autoriser symboliquement la jeune fille à accéder à une vie sexuelle ; dans certains cas ce travail psychique lui permettra de lever l’interdit qu’elle a posé sur sa vie sexuelle et tout désir d’enfant. La consultation chez le gynécologue s’organise facilement en pédiatrie pourvu que le pédiatre connaisse personnellement un gynécologue qui a l’expérience des adolescents et du VIH et qui est motivé pour travailler avec eux. Dans ce cas, envoyer les adolescents consulter à l’extérieur de l’hôpital n’est pas un problème. Cette consultation peut contribuer à apprivoiser le jeune à la médecine adulte et faciliter le passage. C’est un privilège réservé aux femmes.
La question plus spécifique du passage de la pédiatrie en service adulte est un sujet suffisamment complexe et important pour qu’il mérite de faire l’objet d’un article ou d’une note de lecture spécifique.

Les points clés

Les jeunes filles s’engagent dans une grossesse parfois très jeunes, avec une charge virale détectable.

Les deux études montrent la nécessité de renforcer les campagnes de contraception et celles de prévention de la transmission sexuelle, ainsi que les techniques visant à favoriser ou renforcer l’adhérence au traitement.

Ces trois points clés en matière de prévention sont à entretenir de manière répétée au fil de la prise en charge des patientes, qui s’amorce précocement en pédiatrie et se poursuit à l’âge adulte.

Le gynécologue peut être un interlocuteur et un allié privilégié du médecin et du jeune.

Les groupes de parole sont des occasions pour les jeunes de s’entraider et de témoigner de leur expérience. Ils peuvent aussi favoriser l’adhérence.

Les jeunes filles infectées par le VIH ont souvent des infections gynécologiques et des anomalies cytologiques cervicales. C’est une raison supplémentaire pour préconiser le dépistage et les rapports sexuels protégés.



1 - Zorilla C, Febo I, Ortiz I et al.,
"Pregnancy in perinatally HIV-infected adolescents and young adults – Puerto Rico, 2002",
MMWR Morb Mortal Wkly Rep, 2003, 52, 149-51
2 - Chibber R, Khurranna A,
"Birth outcomes in perinatally HIV-infected adolescents and young adults in Manipur, India. A new frontier",
Arch Gynecol Obstet, 2005, 271, 127-31