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n°137 - juillet 08

 


VIH - PCP

Evolution de la pneumocystose pulmonaire

 

Victoire de Lastours

Service de médecine interne, Hôpital Beaujon (Clichy)

 






Early predictors of mortality from Pneumocystis jirovecii pneumonia in HIV-infected patients : 1985-2006
Walzer P.D., Evans H., Copas A.J., Edwards S.G., Grant A.D., Miller R.F.
Clinical Infectious Diseases, 2008, 46, 625-33

Une étude rétrospective de grande envergure apporte des éléments importants sur l'évolution de la pneumocystose pulmonaire (PCP) depuis 1985. La survie de la PCP depuis l'arrivée des antirétroviraux n'a pas significativement évolué, soulignant l'importance du dépistage et de la prise en charge précoce de l'infection par le VIH.

 

La pneumocystose à Pneumocystis jirovecii (PCP) reste la cause la plus fréquente d’infection opportuniste chez les malades infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans les pays développés. Malgré l’arrivée des multithérapies antirétrovirales, la PCP reste une pathologie grevée d’une morbidité et d’une mortalité élevées. L’effet de l’arrivée des multithérapies antirétrovirales sur le pronostic de la PCP n’est pas clair.

Une étude longitudinale sur 21 ans

Ce travail rétrospectif de grande envergure, comprenant 494 patients consécutifs, avec 547 épisodes de PCP, a pour intérêt principal d’être longitudinal sur 21 ans, incluant trois périodes clés dans la prise en charge de la PCP liée au sida : la période avant l’existence des multithérapies antirétrovirales (ou pré-HAART) et avant l’utilisation de la corticothérapie (1985-1989), la période pré-HAART où l’utilisation d’une corticothérapie dans la prise en charge des PCP sévères est devenue courante (1989-1996), et la période après l’arrivée des multithérapies antirétrovirales (1996-2006).
L’inclusion de patients d’un même centre offre une homogénéité dans la prise en charge durant ces différentes périodes, et le nombre important de cas permet une puissance suffisante. Les particularités de cette cohorte sont qu’aucun patient ne recevait d’antirétroviraux au moment du diagnostic quelle que soit la période d’intérêt, seuls 3 ayant reçu un traitement antirétroviral au maximum trois mois avant la PCP, et qu’aucun n’a reçu de traitement antirétroviral pendant la prise en charge. Enfin, seuls les patients ayant une PCP prouvée microbiologiquement étaient inclus (présence de kystes de P. jirovecii retrouvés au lavage bronchio-alvéolaire, par crachat induit ou à l’autopsie).
Le critère principal choisi est la mortalité à 4 semaines après le diagnostic. Les objectifs sont la description de cette cohorte dans le temps, la comparaison du pronostic entre les trois périodes et l’analyse des facteurs de mauvais pronostic précoces à l’admission.

Facteurs pronostiques

De nombreux facteurs pronostiques à l’admission ont été étudiés dont les facteurs de risque de l’infection par le VIH, les facteurs démographiques (âge, sexe), les variations saisonnières, la connaissance préalable de la séropositivité pour le VIH, la prise d’une prophylaxie anti-pneumocystose, le taux de CD4, la PaO2 (pression artérielle en oxygène) à l’admission, le taux d’hémoglobine, l’existence de comorbidités, l’existence d’une infection respiratoire concomitante (bactérienne, présence de cytomégalovirus au lavage broncho-alvéolaire), et l’existence d’un sarcome de Kaposi (SK) bronchique. Malheureusement, aucune donnée sur l’origine ethnique des patients, le taux de lacticodéshydrogénase (LDH), d’albumine ou de charge virale VIH à l’admission n’est disponible. Le taux de CD4 n’est pas disponible pour les patients admis avant 1990, il manque ainsi pour 175 des 547 épisodes de PCP (32%). Le choix d’étudier en particulier les facteurs de risque précoces (à l’admission) de mortalité a pour but de ne pas introduire de facteur confondant comme ceux liés aux soins (passage en réanimation, prise de corticoïdes, etc.) qui ont beaucoup évolué en 21 ans et auraient pu biaiser l’interprétation des résultats.

Evolution de la survie

Plusieurs résultats intéressants émanent de ce travail. D’abord, il souligne sur une large cohorte les changements épidémiologiques qu’a connus l’infection par la VIH durant ces périodes dans les pays industrialisés : avant 1996, les patients atteints de PCP étaient essentiellement des homosexuels masculins, après 1996 on voit s’accroître le nombre d’hétérosexuels masculins et féminins atteints de PCP. Après l’arrivée des traitements antirétroviraux actifs, on voit également s’élever le nombre de patients ne connaissant pas leur statut sérologique (65%), et ne recevant pour la plupart pas de prophylaxie anti-pneumocystose (88,8%) alors qu’avant 1996 les trois quarts des patients étaient connus séropositifs et 26% d’entre eux recevaient une prophylaxie.
La mortalité globale dans cette cohorte est de 13,5%, chiffres retrouvés dans d’autres cohortes1,2. De façon surprenante, la mortalité comparée entre les trois périodes n’est pas significativement différente, bien que l’on note une tendance à une survie plus élevée dans la dernière période (9,7% de décès dans la période 1996-2006 versus 14,8% avant 1996). Ceci contredit en partie certaines études préalables qui retrouvaient une meilleure survie dans les périodes post-HAART, bien qu’il soit toujours très difficile de faire la part des choses entre l’amélioration de la prise en charge liée aux traitements antirétroviraux, et celle liée à l’amélioration globale de la prise en charge de ces patients, notamment en réanimation3. Or, dans ce travail, aucun malade ne prenait de traitement antirétroviral.

L’importance du dépistage

Plusieurs explications sont avancées pour tenter d’expliquer l’absence d’amélioration significative de la survie : les patients de la période la plus récente (depuis 1996) étaient volontiers plus sévères, avec une PaO2 à l’admission significativement plus basse, et ont plus souvent eu besoin d’être pris en charge en réanimation, avec un recours plus fréquent à la ventilation invasive. Les CD4 n’étaient pas significativement différents.
L’hypothèse retenue est que malgré l’amélioration de la prise en charge de la PCP, en particulier en réanimation, les patients arrivent à un stade plus avancé de leur maladie pulmonaire, peut-être en partie parce qu’ils n’ont pas connaissance de leur statut sérologique. Un manque de puissance pourrait également expliquer l’absence de significativité (13 décès pour 134 cas dans la période post-HAART).
L’accent est donc mis sur l’importance du dépistage et du traitement précoce de l’infection par la VIH, puisqu’en vingt ans peu de progrès en termes de survie n’ont été faits dans la prise en charge de la PCP.
Le débat, non résolu, sur l’utilisation des antirétroviraux à la phase précoce de la PCP n’est pas évoqué ni réglé ici, puisqu’aucun patient n’a reçu d’antirétroviraux pendant les 4 premières semaines suivant le diagnostic. On peut estimer qu’attendre 4 semaines pour débuter un traitement antirétroviral chez des patients profondément immunodéprimés est trop long, d’autant que la PCP, quand elle évolue favorablement, est en général guérie à 4 semaines.

Facteurs de risque de mortalité

Les facteurs de risque de mortalité étaient similaires durant les trois périodes : l’âge supérieur à 50 ans, un taux d’hémoglobine inférieur à 10,6 g/dl, une pression partielle en oxygène (PaO2) inférieure à 8kPa (60mmHg) en air ambiant, un taux de CD4 inférieur à 50/mm3, l’existence de comorbidités (bien qu’aucune précision ne soit donnée sur le sujet, et notamment aucun score validé de comorbidités n’a été utilisé), la présence d’un sarcome de Kaposi (SK) bronchique et le fait d’avoir déjà fait un épisode de PCP. La plupart de ces facteurs ont déjà été rapportés, sauf l’existence d’une maladie de Kaposi bronchique. Les auteurs suggèrent que l’existence d’un SK bronchique aggrave l’hypoxémie, mais on peut également suggérer que des fibroscopies bronchiques ont peut-être été plus volontiers pratiquées chez les patients les plus graves ou les plus immunodéprimés. Enfin, on note que seuls 19 malades sont concernés, ce qui limite l’interprétation de ces résultats.
Comme dans des travaux préalables, les auteurs retrouvent une différence significative en termes de survie entre les patients souffrant d’un premier épisode de PCP (n = 476 ; 12,2% de décès à 4 semaines) et ceux présentant une ou plusieurs récidives (n = 71, 22,5% de décès). Paradoxalement, ces derniers avaient un état respiratoire moins précaire à l’entrée (PaO2 significativement plus élevée) et prenaient plus souvent une prophylaxie (61%, dont 24% une prophylaxie à base de sulfamides, versus 17% chez les patients présentant un premier épisode) mais ils étaient plus sévèrement immunodéprimés, et la PCP s’est deux fois plus souvent compliquée de pneumothorax (14% versus 7%).
Deux explications sont avancées : les séquelles pulmonaires et la moindre réponse immunitaire. Des séquelles pulmonaires des premiers épisodes, comme un début de fibrose, peuvent expliquer une moins bonne compliance pulmonaire et l’augmentation du risque de pneumothorax. Par ailleurs, les patients ayant une récidive de PCP étaient plus sévèrement immunodéprimés, 72% d’entre eux ayant des CD4 < 50/mm3 versus 50% dans le groupe de patients faisant un premier épisode. Or, il a été montré que la récidive et un taux de CD4 < 50/mm3 étaient également des facteurs de risque majeurs de mauvaise réponse immunitaire humorale qui a également un rôle important dans la physiopathologie de la PCP4.

Des données manquantes

Ce travail permet de résumer l’expérience accumulée dans un centre sur 21 ans de traitement des PCP liées au VIH et représente ainsi une perspective intéressante sur les facteurs influant la mortalité de la PCP sur une période qui a vu la prise en charge de la PCP et du VIH révolutionnée. Le caractère monocentrique a pour avantage de limiter l’hétérogénéité dans la prise en charge des patients.
Les limites de ce travail sont son caractère rétrospectif responsable d’un manque de données en particulier dans un tiers des cas du taux de CD4, le manque de certaines données importantes pouvant être des facteurs pronostiques dans la PCP (taux de LDH, albumine, charge virale du VIH), et enfin une prise en charge de la PCP qui peut dans certains cas être discutable (seuls 65% des patients ont été traités en première intention par trimethoprime-sulfaméthoxazole, 10% étant traités par de la pentamidine inhalée).
L’absence de tout traitement antirétroviral quelle que soit la période d’intérêt est intéressante, car cela permet de comparer la prise en charge de la PCP dans le temps en faisant abstraction de ce facteur confondant majeur, mais ne permet pas de discuter de la place des ARV dans le traitement de la PCP.

Les points clés

L’analyse de tous les cas consécutifs de pneumocystose pulmonaire (PCP) prouvée dans un centre britannique sur 21 ans apporte des éléments importants sur l’évolution de la PCP mais aussi du VIH dans les pays développés, et les évolutions de leur prise en charge.

La comparaison de la survie et des facteurs de risque de mauvais pronostic sur trois périodes clés dans la prise en charge de la PCP est d’un grand intérêt épidémiologique.

De façon étonnante, la survie de la PCP depuis l’arrivée des antirétroviraux n’est pas significativement différente que dans les périodes antérieures.

Le dépistage et la prise en charge précoce de l’infection par le VIH restent le moyen le plus efficace de faire reculer la mortalité par PCP.



1 - Teshale EH, Hanson DL, Wolfe MI et al.
"Reasons for lack of appropriate receipt of primary Pneumocystis jiroveci pneumonia prophylaxis among HIV-infected persons receiving treatment in the United States : 1994-2003"
Clin Infect Dis, 2007, 44, 6, 879-83
2 - Arozullah AM, Yarnold PR, Weinstein RA et al.
"A new preadmission staging system for predicting inpatient mortality from HIV-associated Pneumocystis carinii pneumonia in the early highly active antiretroviral therapy (HAART) era"
Am J Respir Crit Care Med, 2000, 161, 4 Pt 1, 1081-6
3 - Miller RF, Allen E, Copas A et al.
"Improved survival for HIV infected patients with severe Pneumocystis jirovecii pneumonia is independent of highly active antiretroviral therapy"
Thorax, 2006, 61, 8, 716-21
4 - Daly KR, Huang L, Morris A et al.
"Antibody response to Pneumocystis jirovecii major surface glycoprotein"
Emerg Infect Dis, 2006, 12, 8, 1231-7