TranscriptaseRevue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites

   
Recherche dans les archives Transcriptases avec google.
Les archives contiennent les articles parus dans les N° 1 à 137.
Les articles des n° 138 et suivants sont publiés sur
www.vih.org


n°137 - juillet 08

 


VIH – IRIS

Restauration immune en Afrique du Sud

 

Guillaume Breton

service de médecine interne 1, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris)

 






Incidence and risk factors for the immune reconstitution inflammatory syndrome in HIV patients in South Africa : a prospective study
Murdoch D.M., Venter W., Feldman C., Van Rie A.
AIDS, 2008, 22, 601-610

Les résultats de la première étude prospective menée en zone de forte endémie tuberculeuse montrent une fréquence de syndrome de restauration immune (IRIS) modérée et confirment qu'une immunodépression profonde constitue le principal facteur de risque d'IRIS. Des résultats tempé­rés par une possible sous-estimation de la fréquence de ce syndrome.

 

Au cours du traitement de l’infection par le VIH, la reconstitution immune peut être excessive et à l’origine de manifestations pathologiques qui sont regroupées sous l’appellation de syndrome de restauration immune (IRIS : immune reconstitution inflammatory syndrome)1. On distingue des formes paradoxales qui se traduisent par l’exacerbation de manifestations cliniques après l’initiation du traitement antirétroviral (ARV) chez des patients en cours de traitement d’un infection opportuniste et des formes infectieuses où une infection latente est démasquée par la reconstitution immune chez des patients asymptomatiques lors de l’initiation des ARV.
La tuberculose est à l’origine de plus de la moitié des cas d’IRIS2. La fréquence de l’IRIS dans les cohortes de patients débutant un traitement antirétroviral atteint 17% à 25% selon les études réalisées en Europe, en Australie ou aux Etats-Unis où l’incidence de la tuberculose est faible, mais ces estimations sont limitées par le caractère rétrospectif des études3. L’étude de David Murdoch est la première étude prospective réalisée, de plus, en Afrique subsaharienne où l’incidence de la tuberculose et celle du VIH sont parmi les plus élevées.

La première étude prospective en zone de forte endémie tuberculeuse

Les auteurs ont réalisé une étude prospective monocentrique dans un centre de santé de Johannesburg en Afrique du Sud. Tous les patients consécutifs âgés de plus de 18 ans et naïfs d’antirétroviraux (à l’exception des monodoses de névirapine reçues pendant la grossesse) qui ont débuté un traitement antirétroviral entre janvier et juin 2006 ont été inclus. Les indications de traitement ARV étaient basées sur les recommandations du programme national de lutte contre le VIH/sida, à savoir stade clinique OMS 4 et/ou CD4 < 200/mm3.
Le diagnostic d’IRIS a été porté par deux investigateurs sur les données cliniques et l’analyse des dossiers médicaux. Le diagnostic d’IRIS a été considéré comme "suspect" chez les patients présentant des symptômes évoquant une pathologie infectieuse ou inflammatoire après le début du traitement antirétroviral qui ne pouvaient pas être expliqués par l’évolution attendue de cette pathologie ou par des effets secondaires des traitements. L’IRIS a été défini comme "probable" quand, chez un patient "suspect" d’IRIS, une reconstitution immune était mise en évidence après 6 mois de traitement, la charge virale VIH ayant baissé d’au moins 1 log10 cp/mL et/ou les CD4 n’étant pas inférieurs à la valeur pré-thérapeutique. L’IRIS a été défini comme "confirmé" quand, chez un patient "suspect" d’IRIS, la reconstitution immune était confirmée (charge virale VIH ayant baissé d’au moins 1 log10 cp/mL) au moment des symptômes de l’IRIS.
Les auteurs ont décrit la fréquence et les manifestations de l’IRIS puis ils ont réalisé une sous-étude étudiant les facteurs associés à l’IRIS. Pour ce faire, les patients présentant un IRIS et pour lesquels des données de CD4 et de charge virale pré-thérapeutique étaient disponibles ont été appariés avec des patients dont le traitement ARV avait été débuté à la même date à 2 semaines près.

Une fréquence d’IRIS modérée

Au total, 423 patients naïfs d’ARV ont été suivi en médiane pendant 182 jours (180,8 personne/année). L’age médian était de 34 ans et 69,7% des patients étaient des femmes. 85 patients (20,1%) recevaient un traitement antituberculeux lors du début du traitement ARV et 62 (14,7%) avait déjà été traités pour une tuberculose. Le nombre médian de CD4 était de 115/mm3 et la charge virale médiane de 5,1 log10 cp/mL. La majorité des patients (76,8%) ont été traités par d4T, 3TC et EFV. La survenue d’un IRIS a été observée chez 44 patients (10,4%) soit 25,1/100 patients/année (IRIS confirmé : 22 cas, IRIS probable : 21 cas, IRIS suspect : 1 cas).
Le délai médian de la survenue d’un IRIS était de 48 jours et 75% des IRIS sont survenus dans les trois premiers mois. Les principales étiologies étaient : tuberculose (18/44, 41%), folliculite (8/44, 18,2%), virus varicelle zona (6/44, 13,6%), herpès virus simplex (4/44, 9,1%), cryptocoque (3/44, 6,8%), molluscum contagiosum (3/44, 6,8%) et maladie de Kaposi (2/44, 4,5%). La forme infectieuse d’IRIS démasquée par ART a été la plus fréquente, observée chez 79,5% des cas. Un quart (12/44, 27,3%) des patients ont dû être hospitalisés en raison de l’IRIS. Les ARV ont été arrêtés chez trois patients (6,8%), et quatre patients (9,1%) ont été traités par corticothérapie. Parmi les 44 patients qui ont présenté un IRIS, trois sont décédés, dont deux d’une cause directement liée à l’IRIS : méningite à cryptocoque avec hypertension intracranienne, tuberculose disséminée avec compression des voies biliaires.

L’immunodépression profonde principal facteur de risque

Le seul facteur prédictif d’IRIS en analyse multivariée est le nombre de CD4 à l’initiation du traitement antirétroviral. Un nombre de CD4 élevé protège de la survenue d’un IRIS : HR 0,72 (IC 95% 0,52-0,98) pour chaque augmentation de 50 CD4/mm3.
La sous-étude a analysé 22 patients présentant un IRIS suspect ou probable qui ont été appariés avec des patients sans symptôme d’IRIS après une durée équivalent de traitement ARV (+/- 2 semaines). Les CD4 pré-thérapeutiques étaient inférieurs chez les patients qui ont présenté un IRIS : 79 vs 142/mm3 (p = 0,02). Lors de la survenue de l’IRIS, la variation des CD4, des CD8, du rapport CD4/CD8 et la baisse de la charge virale VIH n’étaient pas significativement différents entre les patients qui ont présenté un IRIS et les contrôles.

Des résultats rassurants

Cette étude est importante puisqu’il s’agit de la première étude prospective, réalisée, de plus, en zone de forte endémie VIH/sida. La fréquence limitée d’IRIS et la relative rareté de complications et de mortalité sont assez rassurantes et ces résultats sont probablement extrapolables à la majorité des personnes infectées par le VIH en Afrique subsaharienne, car la population étudiée est similaire à celle des cohortes de patients débutant un traitement antirétroviral dans ces régions avec une prédominance de femmes et une immunodépression marquée.
Cependant, il existe un biais de sélection inhérent aux programmes d’accès aux ARV qui sélectionnent en priorité des patients ambulatoires, pouvant se déplacer et ayant de fait pas ou peu d’infections opportunistes (20% de tuberculose active, 7% d’autre infection opportuniste active dans cette étude). Cela explique sans doute la nette prédominance des IRIS infectieux révélant des infections latentes alors que les formes d’aggravation paradoxales, qui surviennent chez des patients traités pour une infection opportuniste révélatrice du VIH, sont habituellement les plus fréquentes. La fréquence de survenue d’IRIS aurait probablement été supérieure si plus de patients hospitalisés et traités pour des infections opportunistes avaient été étudiés.
Concernant les manifestations attribuables à l’IRIS, on est frappé par la très nette prédominance des manifestations cutanées (folliculite suppurée, zona, herpès) dont l’authenticité comme étiologie d’IRIS reste discutée, ce qui pourrait être une cause de surestimation de la fréquence de l’IRIS. A contrario, on peut aussi se demander si l’importance des lésions cutanées (facilement identifiables sans examens complémentaires difficiles à réaliser en situation de ressources limitées) ne représente pas la face cachée de l’iceberg suggérant que des manifestations plus profondes d’IRIS puissent ne pas avoir été identifiées. Enfin, le nombre de perdus de vue (12,3% avec une médiane de 2 mois) peut participer à la sous-estimation de la fréquence de l’IRIS et bien évidemment de sa mortalité attribuable.

Les limites des critères diagnostiques

Le diagnostic de l’IRIS est complexe puisqu’il est basé sur un faisceau d’arguments et qu’il s’agit avant tout d’un diagnostic d’élimination qui nécessite d’éliminer les nombreux autres diagnostics différentiels. Ce point est particulièrement difficile en situation de ressources médicales limitées, comme c’est le cas dans cette étude, et on peut regretter que les investigations minimums réalisées ne soient pas mentionnées. Les critères de classification diagnostiques (IRIS suspects, probables ou confirmés) que les auteurs ont utilisées sont discutables. S’il est admis qu’une baisse significative de la charge virale VIH (> 1 log10 copies/mL) est nécessaire pour évoquer un IRIS, ce critère ne permet pas de confirmer le diagnostic d’IRIS, et l’évaluation à 6 mois de la charge virale et des CD4 n’est pas un critère discriminant pour le diagnostic d’une suspicion d’IRIS survenue en médiane 48 jours après le début des ARV. Les critères diagnostiques d’IRIS pour les pays à ressources limitées développés par R. Colebunders et coll.2, et publiés après le début de cette étude, paraissent plus adaptés même s’ils n’ont pas été validés par une étude clinique.

Comment prévenir l’IRIS

La sous-étude comparant les patients avec IRIS à des patients sans IRIS appariés sur la durée de traitement ARV permet de confirmer l’importance de l’immunodépression initiale comme facteur de risque de survenue d’un IRIS, ce qui incite à un traitement précoce de l’infection par le VIH.
La forte prépondérance des IRIS révélant des infections latentes pose la question des examens pré-thérapeutiques réalisés avant le début du traitement antirétroviral, qui ne sont pas précisés par les auteurs. On s’interroge en particulier sur les difficultés de dépistage de la tuberculose chez des patients parfois peu symptomatiques dont les manifestations cliniques sont souvent attribuées par excès au virus VIH lui-même. Ces éléments suggèrent que, pour ces personnes prises en charge dans des programmes d’accès aux ARV avec une immunodépression marquée, un dépistage systématique de la tuberculose et de la cryptococcose, par exemple, pourrait être d’un réel intérêt pour limiter la survenue d’IRIS de ce type.

 

Les points clés

L’étude était prospective et concernait 423 patients (médiane 115 CD4/mm3) traités par ARV en Afrique du Sud.

La fréquence de l’IRIS était de 10,4%.

La mortalité attribuable à l’IRIS était de 4,5%.

Une immunodépression initiale a été retrouvée comme facteur de risques indépendant.



1 - Shelburne SA, Hamill RJ, Rodriguez-Barradas MC et al.
"Immune reconstitution inflammatory syndrome : emergence of a unique syndrome during highly active antiretroviral therapy"
Medicine, 2002, 81, 213-227
2 - Colebunders R, John L, Huyst V et al.
"Tuberculosis immune reconstitution inflammatory syndrome in countries with limited resources"
Int J Tuberc Lung Dis, 2006, 10, 946-953
3 - French MA, Lenzo N, John M et al.
"Immune restoration disease after the treatment of immunodeficient HIV-infected patients with highly active antiretroviral therapy"
HIV Med, 2000, 1, 107-115