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n°137 - juillet 08
Joseph Larmarange
Centre Population et Développement (Ceped), UMR 196, Paris
Descartes INED IRD
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Population-level effect of HIV on
adult mortality and early evidence of reversal after
introduction of antiretroviral therapy in Malawi |
L'élargissement de l'accès aux traitements antirétroviraux en Afrique a un impact démographique important sur la mortalité de la population globale dans les pays à forte prévalence, comme le montre une étude menée en milieu rural au Malawi.
En Afrique australe où la prévalence du VIH (proportion de personnes adultes infectées) est particulièrement élevée, il a été montré depuis longtemps que le VIH/sida avait un impact important sur lespérance de vie des populations. Les traitements antirétroviraux permettent de réduire considérablement la mortalité des personnes infectées et depuis quelques années laccès à ces traitements en Afrique sest développé rapidement. Une étude menée en milieu rural dans le nord du Malawi, où la prévalence du VIH est denviron 11%, tente de mesurer limpact de cet élargissement sur la mortalité des adultes.
Suivi de la populationLe projet KPS (Karonga Prevention Study) suit depuis 2002 une population de 32000 habitants, dans un rayon de 20 kilomètres autour de la bourgade de Chilumba, sur les bords du lac Malawi. Lensemble des naissances et des décès sont enregistrés mensuellement grâce à des informateurs clés dans chaque village, et chaque ménage est visité annuellement pour une mise à jour de la base de données (naissances, décès et migrations). Chaque décès fait lobjet dune "autopsie verbale" : les membres survivants du ménage sont invités à répondre à un questionnaire détaillé sur les circonstances du décès et les symptômes observés du vivant de la personne. Ce questionnaire est ensuite analysé par trois médecins pour déterminer la cause la plus probable de décès. Le statut VIH est pris en compte sil est disponible, cest-à-dire si la personne décédée a été dépistée dans le cadre dun autre projet mené par KPS. Lanalyse effectuée porte sur lensemble des décès enregistrés entre août 2002 et février 2006.
Le programme national de délivrance gratuite des antirétroviraux a démarré en juin 2004 au Malawi. A cette date, la clinique la plus proche était située à environ 200 km de la zone étudiée. La première clinique du district à intégrer le programme a commencé la délivrance des antirétroviraux en juin 2005. Elle est située à Karonga, à environ 80 km. Selon la procédure nationale, un traitement antirétroviral est proposé à tout patient au stade 3 ou 4, ou bien au stade 2 et ayant un taux de CD4 inférieur à 250 par mm3 de sang. Dans la zone détude, lestimation du nombre de personnes en besoin de traitement est estimée à 334. En février 2006 (fin de létude), 107 personnes avaient eu accès à un traitement antirétroviral, soit environ un tiers.Une baisse tangible de la mortalité
Les auteurs ont comparé les taux annuels de mortalité avant et après louverture de la clinique de Karonga. Le taux de mortalité toutes causes est ainsi passé de 3,6 à 2,9o/oo parmi les 15-29 ans, de 18,8 à 15,5o/oo parmi les 30-44 ans, de 20,3 à 18,6o/oo parmi les 45-59 ans et de 43,6 à 41,8o/oo parmi les 60 ans et plus. On assiste donc à une baisse significative de la mortalité chez les adultes (15-44 ans) alors que cette dernière demeure constante aux âges plus élevés (45 ans et plus). Or, les décès liés au VIH/sida touchent majoritairement les jeunes adultes : entre 15 et 44 ans, 50% des décès masculins et 68% des décès féminins sont liés au VIH/sida. Ces proportions ne sont plus que de 9,5% et 4,3% après 60 ans. Larticle de Jahn et coll. fournit par ailleurs le taux de mortalité lié au VIH/sida des 15-59 ans : il passe de 6,4o/oo avant le programme daccès aux traitements à 4,9o/oo. La mortalité autres causes, quant à elle, a très légèrement augmenté, de 3,2 à 3,5o/oo aux mêmes âges.
Les auteurs comparent la population vivant à moins de un kilomètre de la route et celle située au-delà. Aux abords de la route, la mortalité des 15-59 ans a diminué de 33% entre les deux périodes alors quelle est restée à peu près constante dans les villages situés plus loin. Sur les 107 adultes ayant eu accès à un traitement antirétroviral, 73% vivaient à moins dun kilomètre de la route, alors que la population de cette zone ne représentait que 51% de lensemble de la population étudiée.
Malgré une période dobservation courte (seuls 8 mois après la mise en place localement du programme daccès aux antirétroviraux) et le fait que seuls un tiers des personnes en besoin de traitement en ait bénéficié, on observe au niveau de la population générale une baisse de la mortalité chez les adultes. Cette baisse était prévisible du fait de lefficacité maintenant bien connue des traitements antirétroviraux et de la part importante de la mortalité attribuable au VIH/sida dans cette tranche dâge avant louverture de la clinique (65% des décès entre 15 et 59 ans).Un impact démographique majeurDans les pays où lépidémie de VIH est très élevée, laccès des antirétroviraux à large échelle a un impact démographique majeur. Une autre étude publiée par Walensky et coll.1 a modélisé différents scénarii dévolution de laccès aux traitements entre 2007 et 2012 en Afrique du Sud où 19% des adultes sont infectées par le VIH, soit entre 4,9 et 6,1 millions dindividus. En 2007, seuls un tiers des personnes en besoin de traitement recevaient un traitement antirétroviral.
Si le nombre de traitements disponibles naugmente pas, 2,5 millions de personnes devraient décéder du VIH/sida dici 2012. A linverse, un scénario supposant une augmentation rapide du nombre de traitements disponibles induirait seulement 1,2 million de décès (ce chiffre tomberait à 0,8 million si toutes les personnes en besoin de traitement étaient sous antirétroviraux), soit un écart de 1,3 million sur 5 ans. Cela représente environ 260000 décès évités par an, à rapprocher du nombre annuel de décès enregistrés en Afrique du Sud (590000 en 2005 dans lensemble de la population2).
Lélargissement de laccès aux traitements antirétroviraux et la vitesse de cet élargissement savèrent donc déterminants pour les pays fortement touchés par lépidémie. Cela aura un impact démographique visible sur les pyramides des âges pendant plusieurs décennies.Quel effet sur les dynamiques épidémiques ?Dans ces pays, limpact ne sera pas limité à la démographie, et la dynamique des épidémies elles-mêmes va en être modifiée. En effet, en réduisant rapidement et fortement le nombre de décès liés au VIH/sida, la prévalence du VIH, cest-à-dire le nombre de personnes infectées, devrait dans un premier temps augmenter. La grande interrogation demeure de savoir comment lincidence, cest-à-dire le nombre de nouvelles infections, va évoluer, plusieurs éléments jouant simultanément dans un sens ou dans lautre.
Tout dabord, si les personnes infectées vivent plus longtemps, à comportement égal, elles contamineraient a priori plus de monde. Mais plusieurs études ont montré que linfectiosité des personnes sous traitement était considérablement réduite, au point même que certains médecins suisses ont évoqué la possibilité de labandon du préservatif au sein de couples séro-différents3. Reste également à savoir comment évolueront les pratiques des personnes infectées. Dune part, la chronicisation de la maladie et la possibilité de disposer dun traitement peut laisser craindre un relâchement des comportements préventifs. Mais, dautre part, le suivi médical des personnes infectées fournit lopportunité dun conseil individualisé pour aider les individus à adopter des stratégies de prévention.
Cependant, cet impact possible de lélargissement de laccès des antirétroviraux sur lincidence est à relativiser au regard de plusieurs études récentes montrant que les personnes nouvellement infectées seraient celles qui contribuent le plus à la diffusion de lépidémie. Ainsi, Brenner et coll. ont montré quau Québec, dans une population où laccès aux traitements est élevé, près de la moitié des nouvelles infections sont le fait de personnes elles-mêmes infectées récemment4. Or ces dernières ne sont pas concernées, pour lheure, par laccès aux antirétroviraux.
Les points clés
Au Malawi, la mise en place dun programme daccès gratuit aux traitements antirétroviraux a induit une baisse de la mortalité chez les adultes, à peine huit mois après le démarrage du programme.
Une modélisation en Afrique du Sud montre quun élargissement rapide de laccès aux ARV éviterait chaque année un nombre conséquent de décès à léchelle de la population.
Si limpact de laccès aux traitements sur la mortalité à léchelle dune population est prévisible, celui sur le nombre de nouvelles infections demeure encore incertain.
1 - Walensky RP, Wood R,
Weinstein MC et al., "Scaling up antiretroviral therapy in South Africa : the impact of speed on survival",
J Infect Dis, 2008, 197, 9, 1324-32
2 - Statistics South Africa,
www.statssa.gov.za/keyindicators/keyindicators.asp,
consulté le 30 juin 2008
3 - Vernazza P, Hirschel B, Bernasconi E, Flepp M,
"Les personnes séropositives ne souffrant daucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle",
Bulletin des médecins suisses, 2008, 89, 165-169
4 - Brenner BG, Roger M, Routy JP et al.,
"High rates of forward transmission events after acute/early HIV-1 infection",
J Infect Dis, 2007, 195, 7, 951-9