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n°135 - hiver 07/08

 


VIH – VESPA

Vulnérabilité, rapports sexuels à risque et non observance

 

Nathalie Beltzer

Observatoire régional de santé d'Ile-de-France (Paris)

 






Vulnerability, unsafe sex and non-adherence to HAART : Evidence from a large sample of French HIV/AIDS outpatients
Peretti-Watel P, Spire B, Schiltz MA, Bouhnik AD, Heard I, Lert F, Obadia Y and The VESPA Group
Social Science & Medicine, 2006, 62, 10, 2420-33

L'adoption de comportements sexuels à risque de transmission du VIH et la non observance des traitements ARV par des patients séropo­sitifs sont des comportements plus fréquents dans un contexte de vulnérabilité sociale, psychologique ou matérielle. Mais, selon les résultats de l'enquête VESPA, ces corrélations sont différentes selon le sexe et l'orientation sexuelle des patients interrogés.

 

Plusieurs sources de données1,2 indiquent que le nombre de personnes nouvellement diagnostiquées séropositives augmente depuis 2001. Il s’agit majoritairement de contaminations lors de rapports hétérosexuels (55% des découvertes de séropositivité), même si les contaminations lors de rapports homosexuels augmentent (24% en 2004).
Au total, du fait de ces nouvelles contaminations, combinées à l’accroissement de la durée de vie des personnes séropositives grâce aux traitements antirétroviraux, le nombre de personnes vivant avec le virus du sida augmente. Parallèlement, le sida est de plus en plus considéré comme une maladie chronique et banale. Cette banalisation s’accompagne d’un relâchement des comportements de prévention en population générale, comme parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ou encore parmi les personnes séropositives.
Cette population séropositive, en n’utilisant pas de préservatifs avec des partenaires de statut sérologique négatif ou inconnu, pourrait contribuer à l’accroissement de nouvelles infections. Si par ailleurs, ces personnes ne suivent pas leur traitement antirétroviral, une résistance du virus aux traitements peut apparaître. Cette résistance conduit à la fois à un échec thérapeutique au niveau individuel et, en favorisant la transmission éventuelle de souches virales résistantes aux principaux traitements ARV, menace également l’efficacité des thérapeutiques existantes à l’échelle de la santé publique.

Non observance et comportements à risque

Dans ce contexte, il semble donc particulièrement important d’identifier les personnes séropositives qui conjuguent à la fois la non observance des traitements ARV et un relâchement des comportements de prévention. Certaines études démontrent que ces deux comportements sont étroitement corrélés et qu’ils partagent les mêmes déterminants, en général une certaine vulnérabilité sociale, psychologique et matérielle.
A partir de l’enquête VESPA, réalisée auprès de patients séropositifs, P. Peretti-Watel et coll. démontrent au contraire que ceux qui déclarent des comportements à risque de transmission du VIH ne sont pas forcément ceux qui ne suivent pas régulièrement leurs traitements ARV, les déterminants de chacun de ces comportements apparaissant même différents chez les hommes et chez les femmes et selon leur orientation sexuelle.
Cette enquête a été réalisée auprès de 4963 personnes séropositives interrogées dans le cadre d’une consultation hospitalière dans 102 hôpitaux. Parmi les répondants, 1809 personnes séropositives depuis au moins un an déclaraient suivre un traitement ARV et avoir eu au moins un rapport sexuel au cours des douze derniers mois précédent l’enquête3. 408 femmes hétérosexuelles, 613 hommes hétérosexuels et 788 homosexuels masculins.
Avoir un rapport sexuel à risque de transmission du VIH est défini comme avoir eu au moins un rapport sexuel sans préservatif avec un partenaire de statut sérologique négatif ou inconnu dans les douze derniers mois.
Plusieurs dimensions caractérisent la vulnérabilité : les conditions de vie, telles que la situation financière du ménage, un apport alimentaire insuffisant, et les conditions de logement ; la vulnérabilité sociale à travers l’expérience de discrimination par des pairs ou la famille ; la vulnérabilité psychologique mesurée à l’aide de deux indicateurs sur l’usage de produits psychoactifs (injection, alcool) et de tentatives de suicide dans le passé.
En procédant à l’analyse sur les trois groupes de population, les auteurs de l’article démontrent que la prise de risque et la non observance ne sont pas corrélées parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, alors que la prévalence des comportements à risque est plus élevée parmi les patients hétérosexuels qui ne suivent pas régulièrement leur traitement ARV. Cette prévalence est même significativement plus élevée chez les femmes.
En effet, les femmes hétérosexuelles et séropositives de l’enquête VESPA se caractérisent par une forte prévalence de vulnérabilité matérielle et de vulnérabilité psychologique et relationnelle. Or parmi ces femmes, l’adoption de comportements sexuels à risque de transmission du VIH est plus fréquente et est positivement corrélée avec la non observance des traitements ARV. Ces deux comportements sont associés à une forte consommation d’alcool, à des expériences de discrimination par des proches ou des membres de la famille et à des indicateurs de vulnérabilité matérielle. Ainsi, pour les femmes hétérosexuelles séropositives, la non observance et l’adoption de comportements sexuels à risque s’expliquent par les mêmes situations de vulnérabilité. Or, près d’un tiers des femmes séropositives sont de nationalité étrangère, aussi ces situations de vulnérabilité proviennent-elles pour beaucoup de leur trajectoire migratoire ; elles leur sont imposées par leur environnement familial et par leur condition sociale.
Chez les hommes hétérosexuels, la non observance et l’adoption de comportements sexuels à risque de transmission du VIH sont non seulement faiblement corrélés, mais les facteurs prédictifs sont également différents. La non observance des traitements ARV est plus fréquente parmi les hommes indiquant une vulnérabilité matérielle élevée et une forte consommation de produits psychoactifs, alors que la non utilisation du préservatif semble par contre davantage motivée par une opinion négative du préservatif. Il n’est pas précisé si cette image du préservatif est plus fréquente (ou non) parmi les hommes qui suivent irrégulièrement leur traitement, auquel cas la non observance et l’adoption de comportements sexuels à risque seraient donc indirectement corrélés.
Parmi les homosexuels masculins, la non observance des traitements ARV et l’adoption de comportements sexuels à risque de transmission du VIH sont indépendantes : ceux qui adoptent des comportements à risque ne sont pas plus nombreux que les autres à ne pas suivre régulièrement leur traitement. Ces deux comportements n’ont d’ailleurs pas de facteurs prédictifs communs. La non observance s’explique essentiellement par des facteurs de vulnérabilité psychologique et relationnelle, alors que la probabilité de ne pas utiliser le préservatif avec un partenaire de statut sérologique inconnu ou négatif augmente avec le nombre de partenaires déclarés dans l’année.

Vulnérabilité et précarité

L’adoption de comportements sexuels à risque de transmission du VIH et la non observance des traitements ARV par des patients séropositifs restent des comportements plus fréquents dans un contexte de vulnérabilité sociale, psychologique ou matérielle, même si les corrélations sont différentes selon le sexe et l’orientation sexuelle des patients interrogés.
Les indicateurs de vulnérabilité sont donc particulièrement importants dans l’analyse. Aussi, même si le choix de ces indicateurs a été contraint par des limites liées à l’échantillonnage et au questionnaire, une discussion sur leur pertinence et leur validité aurait permis de mieux cerner la typologie retenue et l’exhaustivité ou non de l’ensemble de ces indicateurs. Ceci est d’autant plus important que l’analyse des liens entre vulnérabilité et prises de risque concerne une population séropositive, dont les vulnérabilités sociale, financière et psychologique sont justement des caractéristiques fréquentes. Les personnes nouvellement diagnostiquées sont non seulement caractérisées par une forte vulnérabilité, mais la chronicisation de la maladie affecte également la trajectoire sociale et professionnelle des personnes atteintes, les conduisant à une plus grande précarisation financière et matérielle.
Aussi, même si le contexte social joue un rôle essentiel dans la vulnérabilité, l’impact de la vulnérabilité sur la prise de risque ne peut être compris qu’en tenant compte du contexte relationnel4 et des capacités individuelles, à savoir les ressources engagées par l’individu pour gérer une exposition au risque.
Or, comme le précisent les auteurs, les facteurs présentés dans l’analyse ne peuvent être considérés comme des causes directes de la non observance ou de la non protection. Ils décrivent plutôt une situation, qu’il s’agisse d’un contexte de précarité financière ou matérielle, d’expériences de discrimination ou de stigmatisation, d’un état de dépendance (usage de produits psychoactifs) ou de faiblesse psychologique (tentative de suicide par exemple).

Risque, incertitude et comportement à risque

A partir de ce constat, diverses hypothèses complémentaires sont proposées pour expliquer la prise de risque et la non observance.
Tout d’abord, les individus intègrent dans leur choix de comportements leurs expériences positives ou négatives acquises dans le passé. Certains individus peuvent par exemple prendre en compte les effets secondaires des ARV qu’ils ont déjà expérimentés pour ne pas suivre régulièrement les traitements. Ensuite, de longues périodes de précarité peuvent aussi générer des habitudes de vie - "la culture de la pauvreté " - conduisant les individus à une moindre capacité à se projeter dans le futur et ainsi à sous-évaluer les conséquences d’actions non immédiates. Enfin, une dernière hypothèse consiste à reprendre les distinctions entre les notions de risque et d’incertitude, notions chères aux économistes, et qui définissent la possibilité ou non d’évaluer la probabilité de survenue d’un événement. Les comportements de prévention ou d’observance de traitements adoptés sont différents selon que l’individu intègre un fatalisme certain à toute décision qu’il prend.
La généralisation des résultats de cette étude menée sur une population de personnes atteintes renforce l’idée qu’il est aujourd’hui nécessaire de développer des campagnes de prévention ciblées sur des groupes particuliers de population qui tiennent compte de leur spécificité en termes de caractéristiques, mais également de facteurs prédictifs des comportements. Toutefois, le risque et les comportements à risque sont des constructions sociales car ils se fondent sur un contexte notamment culturel et économique, et sur le cumul de l’expérience individuelle. Aussi, la difficulté reste de déterminer le processus dynamique et subjectif qui conduit les individus à des comportements de non observance ou de non utilisation du préservatif.

Les points clés

Ceux qui déclarent des comportements à risque de transmission du VIH ne sont pas forcément ceux qui ne suivent pas régulièrement leurs traitements ARV, les déterminants de chacun de ces comportements apparaissant même différents chez les hommes et chez les femmes et selon leur orientation sexuelle.

La prise de risque et la non observance ne sont pas corrélées parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, alors que la prévalence des comportements à risque est plus élevée parmi les patients hétérosexuels qui ne suivent pas régulièrement leur traitement ARV.

Il est aujourd’hui nécessaire de développer des campagnes de prévention ciblées sur des groupes particuliers de population qui tiennent compte de leur spécificité en termes de caractéristiques, mais également de facteurs prédictifs des comportements.



1 - EuroHIV ;
www.eurohiv.org
2 - Institut de veille sanitaire,
Surveillance du VIH/sida en France,
rapport n° 3, données au 30 juin 2005, 24 p.
3 - Ont été exclus 6 femmes ayant eu des rapports sexuels avec des femmes.
4 - Delor F, Hubert M,
"Revisiting the concept of “vulnerability”",
Soc Sci Med, 2000, 50, 1557-70