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n°135 - hiver 07/08

 


VIH – MSM

Regain de l'épidémie chez les gays : la science en mal d'imagination

 

France Lert

Inserm U687, Villejuif

 








Face à l'évolution de l'épidémie VIH chez les homosexuels,un renouveau s'impose en matière de recherche, comme l'atteste un tour d'horizon des études publiées ces trois derniers mois dans la presse scientifique.

 

Dans les pages qui précèdent (lire l'article "Un appel "pour une nouvelle politique de prévention"" dans ce numéro), un militant de la première heure et un clinicien chevronné partagent un constat d’impuissance face au regain de l’épidémie VIH chez les gays. L’épuisement des mouvements identitaires, le repli individualiste, la fragmentation associative, le renoncement des médecins à leur rôle d’entrepreneurs de morale expliquent cette impuissance, et nos deux débatteurs en appellent au sursaut et à l’avènement de nouvelles générations de militants et de médecins.
Pendant ce temps-là, la science fait-elle beaucoup mieux que ce discours désenchanté ? Que nous apporte sur ce thème l’échantillon des publications extrait sur trois mois de PubMed, le moteur de recherche de la base de données Medline ?
Aux Etats-Unis, la préoccupation du moment porte sur le gradient ethnique : pourquoi les homosexuels afro-américains ont-ils une prévalence d’infection VIH plus élevée que les blancs ? Une méta-analyse des 53 études comportant cette indication ethnique1 nous apprend que, comparés aux blancs, les noirs américains consomment moins de drogues et d’alcool, ont moins de partenaires, moins d’auto-identification comme gay, moins de "coming out" de leur homosexualité, moins de traitement antirétroviral s’ils sont séropositifs. Pourtant, ils ont les mêmes comportements de non-protection, la même utilisation du test, la même proportion de partenaires positifs, le même niveau de travail sexuel, mais ils ont plus d’IST et, rappelons-le, plus de VIH. Donc, concluent les auteurs, les facteurs comportementaux ne sont pas la clé de l’explication, qui est à chercher ailleurs.
Même constat dans une plus modeste étude au Sud des Etats-Unis : noirs et blancs se protègent autant, et même plus chez les noirs séronégatifs2. Berry3 révèle peut-être la clé de cette énigme : les noirs ont plus souvent des relations sexuelles avec des hommes de leur communauté, mais avec une grande différence d’âge. A suivre donc, cette nouvelle preuve d’une ségrégation tenace. Autre piste, les préservatifs seraient inadaptés à leur physionomie : à Atlanta, chez les Afro-Américains gays, ceux qui trouvent les préservatifs trop étroits, trop courts ou encore trop lâches ou trop longs ont plus souvent fait l’expérience de la rupture ou du glissement de ce fichu latex4. Ce "feel and fit" doit interpeller les fabricants et les professionnels de la santé sexuelle, concluent sagacement les auteurs de la recherche.
Autre recherche instructive, celle sur le mardi-gras à la Nouvelle-Orléans5. Les chercheurs nous le rappellent, les vacances donnent du temps pour draguer, ce dont usent, comme le pékin moyen, les "men who have sex with men" (MSM) : la moitié des participants à l’étude ont eu des relations avec des hommes de statut inconnu et sans rien révéler du leur, et les rapports non protégés sont accrus lors de la prise d’alcool. Conformément au modèle IMB (information, motivation and behavior skills), les mieux informés prennent moins de risques, et ceux venus célébrer mardi-gras pour le sexe en prennent plus - et plus encore s’ils ont bu et pris des drogues. Heureusement que la théorie est là pour expliquer ce "surprenant" résultat...
Réellement surprenants en revanche, les résultats d’Australie6, souvent à l’avant-garde de la compréhension du comportement homosexuel. Ici, l’usage de "crystal" (méthamphétamine) apparaît comme un facteur indépendant de prise de risque : plus de partenaires, plus de présence dans les lieux de drague, plus de rapports non protégés, plus de pratiques "esoteric" (sic) - et pourtant, malgré l’augmentation de la consommation de crystal dans cette population (de 26% à 39% en 3 ans), les comportements de prévention s’améliorent plutôt chez les gays australiens. Donc on consomme plus de drogue, qui fait prendre plus de risques, mais les comportements s’améliorent ? C’est à n’y rien comprendre ! Au moins, consolons-nous, entre 2002 et 2005 aux antipodes, les choses allaient plutôt dans le bon sens.
Retour aux Etats-Unis, où l’effet de l’alcool a été regardé de près7 : 143 homosexuels masculins ont tenu pendant 30 jours le journal scrupuleux de leur consommation d’alcool et de leurs actes sexuels. Qu’apprend-on ? Un même individu prend plus de risque quand il a bu, mais un peu moins quand même s’il est plus âgé. Le contrôle, même alcoolisé, s’apprend avec l’âge : ces jeunes, on vous l’avait bien dit, c’est eux qu’il faut éduquer.
Toujours à la recherche de la réponse à la question "pourquoi ça va si mal chez les gays", la modélisation des comportements hétéro et homosexuels quantifiés par les enquêtes8 nous apprend que c’est la pratique des rapports rectaux (de surcroît le plus souvent "versatiles" (sic), c’est-à-dire qu’un homme a parfois le rôle réceptif, parfois insertif) et non le comportement sexuel (c’est-à-dire le nombre de partenaires) qui est la clé de l’épidémiologie du VIH chez les gays. Résultats éclairants, mais qu’en faire ? Pas de suggestion des auteurs, hélas.
En Chine aussi, à Harbin, on enquête et on teste les "MSM"9. Les choses se sont améliorées entre 2002 et 2006 : plus d’identification comme gay, plus de vie de couple, plus d’utilisation du préservatif... mais il y a encore de la marge pour progresser puisque l’on passe de 90% à 72% d’hommes qui ont eu des rapports anaux non protégés dans les six derniers mois, et logiquement la prévalence, encore faible (2,2%), s’accroît. En Croatie, on enquête aussi10 : la prévalence du VIH reste basse mais les comportements laissent présager des lendemains difficiles : 44% de ces jeunes hommes (27 ans en moyenne) n’ont pas utilisé les préservatifs de façon systématique.
En Espagne11, les homosexuels masculins n’utilisent pas les préservatifs avec leurs "fuck buddies" (partenaires uniquement destinés au sexe) parce qu’ils se fient à l’intuition que le dit "fuck buddy" est de même statut qu’eux puisqu’il ne dit rien. Voilà enfin un résultat nouveau : vive la sociologie et non ces vilains chiffres ! On les retrouve pourtant avec les champions de l’épidémiologie, les Britanniques12, chez qui on compte avec sérieux : la gonorrhée se calcule par orientation sexuelle, par groupe ethnique (là-bas, les pauvres, pas de Conseil constitutionnel pour interdire pareille faute contre l’universalisme), par quartier : voilà la gonorrhée 4,5 fois plus fréquente chez les gays que chez les noirs ; et si on compte par quartier, c’est bien la proportion de noirs et pas la pauvreté qui fait le gradient géographique. Plus encore, quand on étudie les souches, on voit qu’elles circulent et ne se contentent pas d’infecter les gens d’un même quartier car leurs porteurs se déplacent pour draguer.
Ce cru de trois mois de publications sur l’infection VIH et les gays (au moins aucun papier français, ouf !) conduit hélas au même constat désabusé sur la contribution de la recherche à la prévention que nos polémistes dépités du début : les militants auraient baissé les bras, les médecins perdu leur autorité... et donc les chercheurs leur imagination ! Soyons positifs, inventons, mettons à l’épreuve du réel des idées neuves, passons de l’observation à l’expérimentation de stratégies nouvelles même si elles remettent en question nos dogmes anciens.



1 - Millett GA et al.
"Explaining disparities in HIV infection among black and white men who have sex with men : a meta-analysis of HIV risk behaviors"
AIDS, 2007, 21, 15, 2083-91
2 - Crosby R et al.
"Differences in HIV risk behaviors among black and white men who have sex with men"
Sex Transm Dis, 2007, 34, 10, 744-8
3 - Berry M et al.
"Same race and older partner selection may explain higher HIV prevalence among black men who have sex with men"
AIDS, 2007, 21, 17, 2349-50
4 - Reece M et al.
"Experiences of condom fit and feel among African-American men who have sex with men"
Sex Transm Infect, 2007, 83, 6, 454-7
5 - Benotsch EG et al.
"Sexual risk behavior in men attending Mardi Gras celebrations in New Orleans, Louisiana"
J Community Health, 2007, 32, 5, 343-56
6 - Rawstorne P et al.
"Differences between HIV-positive gay men who “frequently”, “sometimes” or “never” engage in unprotected anal intercourse with serononconcordant casual partners : positive Health cohort, Australia"
AIDS Care, 2007, 19, 4, 514-22
7 - Mustanski B
"Moderating Effects of Age on the Alcohol and Sexual Risk Taking Association : An Online Daily Diary Study of Men Who have Sex with Men"
AIDS Behav, 2008, 12, 1, 118-26
8 - Goodreau SM, Golden MR
"Biological and demographic causes of high HIV and sexually transmitted disease prevalence in men who have sex with men"
Sex Transm Infect, 2007, 83, 6, 458-62
9 - Zhang D et al.
"Changes in HIV prevalence and sexual behavior among men who have sex with men in a northern Chinese city : 2002-2006"
J Infect, 2007, 55, 5, 456-63
10 - Stulhofer A et al.
"HIV-related Sexual Risk Taking Among HIV-negative Men Who Have Sex with Men in Zagreb, Croatia"
AIDS Behav, 2007, [Epub ahead of print]
11 - Fernandez-Davila P et al.
"Fuck buddies : a high risk behavior for contracting HIV among homo/bisexual men”
Gac Sanit, 2007,
21, 6, 471-8
12 - Risley CL et al.
"Geographical and demographic clustering of gonorrhoea in London"
Sex Transm Infect, 2007, 83, 6, 481-7