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n°135 - mars/avril 08

 


VIH – DEBAT

Un appel "pour une nouvelle politique de prévention"

 

propos recueillis par Eric Favereau

journaliste à Libération (Paris)

 








Didier Lestrade, fondateur d'Act Up, et Pierre-Marie Girard, professeur de maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, se sont entretenus avec Eric Favereau à l'occasion du 1er décembre. Transcriptases publie, en partenariat avec Libération, leurs réflexions sur la reprise de l'épidémie chez les gays.

 

En France, si l’épidémie marque le pas, se pose de façon cruelle la question de la prévention chez les gays. Les conduites à risques se multiplient. Deux figures de la lutte contre le sida en France, depuis près de 20 ans, lancent un appel "pour une nouvelle politique de prévention".
Didier Lestrade est fondateur d’Act Up. Pierre-Marie Girard est professeur, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Tous les deux se disent très inquiets par la reprise de l’épidémie chez les gays.

Qu’est-ce qui justifie votre appel ?
Didier Lestrade : Les chiffres sont clairs. L’essentiel de la reprise de l’épidémie en France est réservée aux homos. On pouvait penser qu’il y aurait une réaction forte de tous les acteurs, dont celle des médecins. Non. De 1997 à 2001, on se disait : "Ce sont des fantasmes, attendons les chiffres". On a les chiffres. Que fait-on ?
Pierre-Marie Girard : Cela fait 10 ans qu’on le sait, 10 ans que l’on assiste à une reprise des pratiques à risques, et depuis 10 ans on reste timorés. Nous médecins, sommes restés trop silencieux, adoptant une position discrète, ayant peur d’être taxés de moralisme ou de vouloir stigmatiser la communauté homo.

Comment en est-on arrivé là ? Est-ce l’échec du risque zéro avec l’usage du préservatif à 100% ?
DL : Je suis malade depuis assez longtemps pour savoir que le risque zéro, ce n’est pas possible. Mais ces dernières années, on a vu que derrière ceux qui remettaient en cause le risque zéro, il y avait une volonté de dire : "Laissez nous baiser comme on veut". Aujourd’hui, il n’y a plus d’accord, il n’y a plus de leaders. C’est chacun dans son coin. Hier, nous étions dans une situation de solidarité, d’exemplarité : séropositif comme séronégatif, il s’agissait de faire attention. Aujourd’hui, on baigne dans un individualisme. Les associations sont divisées. Les séropos sont comme tout le monde, ils ont envie de ne pas utiliser la capote, de ne plus se faire chier. Après 20 ans d’épidémie, ils considèrent qu’ils ont le droit de revenir à une sexualité qu’ils ont choisie.
PMG : De même chez les jeunes : le sida est souvent perçu comme une maladie d’hier et, comme le dit Didier, les gays plus âgés se protègent moins, tout cela provoque des phénomènes d’entraînement. Pour autant, ne nous trompons pas. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de risque zéro qu’ils vont prendre tous les risques. Les patients ne sont pas inconscients. Leurs prises de risque sont conscientes, presque assumées. En somme, on assiste à une banalisation de la prise de risque. Il y a, aussi, une majorité silencieuse. Ils voudraient être conseillés. Que faire, quelle attitude pour réduire le risque ? Cette grande majorité se protège la plupart du temps, mais a parfois des écarts. Comment les gérer ? Cette majorité se retourne vers les associations, mais celles-ci n’ont pas de réponse cohérente, ni de message fort. On devrait, nous médecins, faire de la prévention plus active chez nos patients. Quand on a, comme dans mon service, près de 3000 patients, on peut faire des choses.

Certains spécialistes du sida disent que les séropositifs traités, et dont la charge virale est indétectable, ne sont plus contaminants. Et peuvent donc avoir des relations sexuelles sans préservatif...
PMG : Il faut aborder de front la situation des patients chez qui le traitement marche bien. Ils sont moins contaminants, on le sait. Que leur dire ? Le risque qu’il transmette le virus est minime, mais il existe. Il faut en parler, que cela soit débattu dans le couple.
DL : Dans d’autres maladies, le médecin s’implique. Il dit : "Il faut arrêter le sucre, ou les cigarettes". Dans le sida, ce type de message devrait être dit. Je crois que le médecin a parfois un rôle d’autorité à tenir. Les patients attendent quelque chose : ils ont besoin d’aide.

En parler, donc. Mais comment ?
DL : Nous sommes restés sur des outils d’hier. Il y aurait tant de choses à faire. Il n’y a rien sur Internet, sur SMS. On pourrait aussi utiliser les bornes actives pour les téléphones portables. Tout est à revoir, comme la politique de dépistage. Il y a, aujourd’hui, les tests rapides. Pourquoi cela bloque-t-il en France ? Dans certains des Etats des USA, depuis deux ans que le test rapide est utilisé, on note que le dépistage a une incidence directe sur le fait de se dépister et de se protéger. Et la courbe de l’épidémie baisse. En France, les jeunes gays se dépistent moins. Et mal. Pourquoi faire le dos rond ?
PMG : Dans le monde entier, le premier goulot d’étranglement n’est pas dans la distribution des traitements, mais dans le dépistage et dans l’accès aux tests. On a tous été formatés sur le fait que le VIH est terrible, qu’il faut prendre des précautions sur les tests, sur les conditions de délivrance du diagnostic, et donc on a mis des consultations de counselling. Aujourd’hui, tout est immobile. Il faut ouvrir ce dispositif, rendre le test facile et accessible. Il faut, de ce point de vue, en finir avec l’"exceptionnalisme" du sida. Et changer radicalement l’accès au dépistage, grâce à ces tests rapides. La fille de 16 ans qui se fait un test de grossesse, c’est aussi un drame si elle s’aperçoit qu’elle est enceinte. Pourquoi ne pas rendre ce test largement accessible ? On met en avant le risque d’un suicide si l’on apprend ce résultat seul chez soi. Je n’y crois pas. Et on empêche une gestion personnelle de la santé qui est une donnée nouvelle.
DL : Tout à fait d’accord. On a besoin d’un nouveau leadership. Les associations ont montré qu’elles étaient incapables de s’entendre autour d’une table pour faire du lobbying. On sait très bien qu’il y a une nouvelle génération de militants. Il faut qu’elle émerge. La rupture est aussi là.
PMG : Et peut-être aussi une nouvelle génération de médecins. Depuis 25 ans, ce sont les mêmes. Entre nous, il n’y a plus beaucoup de réflexion, on est enfermés dans les dogmes. Et les conflits du passé. On a été un modèle, on ne l’est plus.