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n°135 - hiver 07/08

 


VHC – PRISE EN CHARGE

Traitement du VHC chez les patients "difficiles" : se donner les moyens...

 

Jean-Philippe Lang, Stéphane Schmitter

Service de psychiatrie, Centre Hospitalier d'Erstein (Bas-Rhin)


Prevalence of hepatitis C among psychiatric patients in the public sector"
Dinwiddie SH et al.
AM J Psychiatry, 2003, 160, 172-174

"Adherence and mental side effects during hepatitis C treatment with interferon alpha and ribavirin in psychiatric risk group"
Schaeffer M et al.
Hepatology, 2003, 37, 443-451

Hepatits treatment in "difficult to treat" psychiatric patients with pegalyted interferon-alpha and ribavirin : response and psychiatric side effects
Schaefer M., Hinzpeter A., Mohmand A., Janssen G., Pich M., Schwaiger M., Sarkar R., Friebe A., Heinz A., Kluschke M., Ziemer M., Gutsche J., Weich V., Halangk J., Berg T.
Hepatology, 2007, 46, 991-998

Une faible proportion des patients présumés "à risque" sont traités pour le VHC. Une étude d'Hepatology montre pourtant la bonne réponse virale et l'observance satisfaisante de ces "patients difficiles". Des recommanda­tions précises en ce qui concerne la prise en charge de ces patients s'imposent.

 

L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) est une maladie transmissible touchant 0,86% de la population française. Sa prévalence est estimée à près de 7% en milieu psychiatrique ou carcéral. 50% des patients sont actuellement traités (10000 patients par an, dont 5000 guérisons). Son évolution est aggravée par une co-infection par le VIH, et dans ce cadre, 30 à 40% des patients co-infectés sont actuellement traités. Dans ce contexte, il perdure 5000 nouvelles contaminations par an, essentiellement par usage à risques de substances psychoactives, et près de 3000 patients décèdent par an de cette maladie. L’hépatite C chronique est devenue une cause majeure de décès chez les patients sidéens.
Cette situation préoccupante est probablement secondaire à la faible proportion de patients présumés "à risque" traités alors qu’ils sont de fait plus fréquemment touchés par la maladie (malades psychiatriques, malades usagers de drogue). L’absence de recommandations précises en ce qui concerne ces patients "difficiles", la prégnance de nombreuses croyances médicales, la faiblesse des études actuelles dans ce domaine et une carence d’organisation de soins - notamment en ce qui concerne l’intervention des psychiatres, encore peu concernés par cette pathologie - sont probablement les principales causes de cette "exclusion".
L’article de Martin Schaefer dans Hepatology est très intéressant dans les résultats qu’il expose en ce qui concerne la bonne réponse virale et l’observance satisfaisante des "patients difficiles" dans certaines conditions de soin ainsi que sur les difficultés psychologiques engendrées par le traitement antiviral dans une population contrôle. Nous nous proposons dans cet article de faire une synthèse ainsi qu’une courte analyse de ce travail.

Méthodologie de l’étude

Il s’agit d’une étude réalisée à partir de 100 patients recrutés et suivis prospectivement entre 2001 et 2003. Seuls 70 patients ont été finalement inclus dans l’étude et répartis en 4 groupes distincts :
- 1 groupe contrôle de 17 patients indemnes de toute pathologie mentale (C) ;
- 1 groupe de 22 patients souffrant de troubles psychiques (P) ;
- 1 groupe de 18 patients sous traitement de substitution par méthadone (TS) ;
- 1 groupe de 13 patients anciens usagers de drogue (AUD).
Une évaluation et un suivi psychiatrique et/ou psycho-social adaptés étaient proposés à chaque patient avant et en cours de traitement. Les critères d’inclusion dans les différents groupes étaient précis et rigoureux. Néanmoins, l’existence d’une comorbidité psychiatrique était autorisée et fréquente chez les patients des groupes TS (83,3%) et AUD (92,4%). Les troubles psychiatriques retrouvés étaient très variés, se composant essentiellement de troubles affectifs, de schizophrénie ou de troubles de la personnalité.
Les 30 patients non inclus, bien que recrutés, se composaient de 20 patients présentant des troubles psychiques ou des usages de substances psychoactives "instables", de 3 patients du groupe contrôle qui ne souhaitaient pas avoir de suivi psychiatrique, et de 7 patients ayant finalement refusé de participer à l’étude (3 du groupe P, 2 du groupe TS et 2 du groupe AUD).
La cohorte définitive est donc relativement ancienne et de taille réduite. Elle se compose surtout d’hommes (62,9%) d’âge moyen infectés par les virus de type 1 (62%) et 3 (34,3%). La prévalence du génotype 1 était plus importante dans les groupes C (82,4%) et P (77,3%).
Les troubles psychiatriques ont été évalués par les échelles MADRS pour la dépression et la BPRS pour les troubles psychotiques. Le diagnostic étant confirmé en cas de score pathologique par un psychiatre selon les critères du DSM IV.
Les objectifs consistaient à analyser la réponse virale (RV), l’adhérence au traitement antiviral et les effets secondaires psychiatriques dans ces 4 groupes. Néanmoins, seule l’évolution des scores aux échelles psychiatriques a été évaluée au cours de l’étude sans que soit précisé le diagnostic des effets secondaires psychiques.

Résultats

Les résultats globaux étaient satisfaisants sur le plan de la réponse virale (58,6%) et comparables selon les génotypes à ceux classiquement obtenus (44,4% pour les génotypes 1 et 4, 84% pour les génotypes 2 et 3). En termes de réponse virale ou d’adhérence thérapeutique, il n’y avait aucune différence significative entre les 4 groupes. La RV était de 50% dans le groupe P, de 53,8% dans le groupe AUD, de 58,8% dans le groupe contrôle et de 74% dans le groupe TS.
Près de 14% des patients avaient globalement interrompu leur traitement avec plus d’arrêts prématurés dans le groupe TS (27,8%) et AUD (15,4%) contre 5,9% dans le groupe C et 9,1% dans le groupe P.
Les scores MADRS étaient souvent élevés avant le début du traitement dans les trois groupes P, TS et AUD. Cependant, les scores retrouvés évoquaient souvent des dépressions modérées ou moyennes et ne correspondaient pas forcément à un diagnostic de dépression de type DSM IV. Les scores BPRS étaient plus élevés dans les groupes TS et AUD.
En cours de traitement, les scores MADRS ont augmenté dans tous les groupes sauf dans le groupe TS, mais les scores initiaux dans ce groupe étaient déjà élevés. Les plus fortes variations étaient retrouvées dans le groupe contrôle, avec un potentiel effet "psy" du traitement plus important pour cette population.
Il y avait globalement peu d’évolution du score BPRS. Ceci témoigne de la symptomatologie essentiellement affective des effets secondaires psychiques du traitement antiviral.
En cours de traitement, 53 à 68% des patients avaient reçu un traitement antidépresseur (citalopram). Quelques patients des groupes P et TS avaient "bénéficié" d’un traitement antidépresseur préventif.
A l’aide d’une analyse statistique fine, seul le génotype influençait la réponse virale. Ni le profil de patients, ni le type de trouble psychiatrique, ni les scores de dépression n’influençaient le traitement antiviral dans son observance, sa tolérance et son efficience.

Discussion

Il est essentiel d’assumer l’idée que les patients usant de substances psycho-actives, sous traitement de substitution ou souffrant de troubles psychiatriques n’ont pas une réponse virale ou une observance moindre qu’une population contrôle dès lors qu’il existe un équilibre psycho-social et un cadre de soins adapté avant de débuter le traitement antiviral.
Les troubles psychiatriques sont fréquents en cours de traitement antiviral quelle que soit la population, et l’impact psychiatrique de ce traitement, essentiellement affectif, peut être plus difficile à "assumer" par un patient qui n’a jamais connu cette symptomatologie et qui ignore tout de sa gestion. Tout patient doit ainsi pouvoir bénéficier d’une information et d’une éducation en ce qui concerne les effets secondaires psychiques du traitement antiviral, et si possible par l’équipe de soins en santé mentale qu’il pourra rencontrer en urgence s’il le nécessitait en cours de traitement.
L’absence d’influence dans ce cadre d’un diagnostic catégoriel sur l’observance et la réponse virale corrobore l’idée qu’il est sans doute difficile de prévoir une "intolérance" au traitement antiviral et que la mauvaise tolérance psychique ou l’observance à ce traitement semble plus dépendre de traits de personnalité individuels comme l’impulsivité ou l’anxiété que de catégories nosographiques. Le nombre plus important d’arrêts prématurés chez les patients TS ou AUD témoigne de cette possibilité sans y négliger la potentielle influence d’un traitement antidépresseur préventif qui peut être sur certains terrains de ce registre "traitement" préventif.

Conclusion

Dans le cadre d’une prise en charge interdisciplinaire cohérente associée à une évaluation et à un soin psychiatrique, les patients souffrant de troubles psychiques, sous traitement de substitution ou usagers de substances psycho-actives (qui ont une forte comorbidité psychiatrique) peuvent être traités efficacement aux conditions qu’un équilibre psycho-social soit atteint avant l’initiation de ce traitement. Ce cadre de soins pourra aussi profiter à une population supposée moins à risques, pour laquelle l’effet "psy" du traitement peut être plus difficilement vécu et être potentiellement plus dangereux.
Il est essentiel que des recommandations de bonne prise en charge soient rapidement établies autant dans le domaine de l’organisation et du parcours de soin que dans le bon usage des traitements de substitution ou des psychotropes chez les patients mono ou co-infectés. Il est urgent que la psychiatrie s’interroge sur la nécessité de participer de façon active à cette prise en charge ainsi que sur la nécessité de modifier ses pratiques, notamment dans le domaine des addictions. C’est au prix de cette collaboration, qui doit être favorisée par les futures orientations politiques du comité national stratégique de lutte contre les hépatites B et C, que les études nécessaires à une meilleure "efficience" du traitement antiviral seront possibles.

Les points clés

Un cadre de soins "à la carte" avec une collaboration psychiatrique formalisée devrait être proposé à chaque patient.

L’impact psychiatrique du traitement antiviral peut être plus difficile à assumer par un patient présumé non à risque psy.

Des recommandations précises en ce qui concerne la prise en charge des "patients difficiles" doivent rapidement être proposées.



Dinwiddie SH et al.
"Prevalence of hepatitis C among psychiatric patients in the public sector"
AM J Psychiatry, 2003, 160, 172-174
Schaeffer M et al.
"Adherence and mental side effects during hepatitis C treatment with interferon alpha and ribavirin in psychiatric risk group"
Hepatology, 2003, 37, 443-451