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n°135 - hiver 07/08

 


VIH – STOP

Interruptions thérapeutiques programmées : les leçons de SMART

 

Christine Danel

Programme PAC-CI, Site ANRS Abidjan (Côte d'Ivoire)

 






CD4+ count-guided interruption of antiretroviral treatment
El-Sadr WM, Lundgren JD, Neaton JD, Gordin F, Abrams D, Arduino RC et al.
The New England Journal of Medicine, 2006, 355, 22, 2283-96

Mené dans 33 pays, l'essai SMART a mis en évidence l'échec de la stratégie d'interruption de traitement guidée par les CD4 avec les seuils 250-350 comme critères de reprise et de nouvel arrêt. D'autres schémas d'interruption sont-ils envisageables ?

 

L’objectif de l’essai SMART était de comparer une stratégie d’interruption du traitement antirétroviral guidée par les CD4 à une stratégie de traitement antirétroviral continu. L’essai a été mené dans 33 pays (318 sites), essentiellement en Amérique du Nord et en Europe.
Les principaux critères d’inclusion dans l’étude étaient : âge supérieur à 13 ans, pas de grossesse ni d’allaitement en cours, CD4 supérieurs à 350/mm3, traitement antirétroviral en cours (hautement actif ou non), et consentement éclairé signé.
L’étude comportait deux bras : un bras de traitement continu et un bras adapté aux taux de CD4 (CD4-A). Dans ce bras, les patients interrompaient leur traitement lorsque les CD4 étaient supérieurs à 350/mm3 et le reprenaient quand les CD4 devenaient inférieurs à 250/mm3. Le rythme des examens (CD4 et charge virale) était de tous les 2 mois pendant la première année de suivi puis tous les 4 mois à partir de la deuxième année. Les patients reprenaient le traitement en continu s’ils présentaient des symptômes liés au VIH ou si le pourcentage de CD4 baissait au-dessous de 15%.
Le suivi était prévu pour durer 6 ans. Le critère de jugement principal était la survenue d’un événement opportuniste (essentiellement des événements classant sida) nouveau ou récurrent ou du décès, quelle que soit la cause. Les principaux critères de jugement secondaires étaient la survenue d’un événement grave cardiaque, rénal, hépatique, et de tout événement indésirable de grade 4.
Commencé en janvier 2002, l’essai a été interrompu prématurément en janvier 2006 en raison d’une plus grande incidence de décès dans le bras CD4-A par rapport au bras continu en analyse intermédiaire.
Au moment de l’arrêt, 5472 patients avaient été inclus, 2720 avaient été randomisés dans le groupe CD4-A et 2752 dans le groupe continu. Les caractéristiques initiales étaient les suivantes : âge médian 43 ans, 27% de femmes, 40% de fumeurs, 24% de personnes au stade sida, 49% de personnes sous INNTI, 71% de personnes avec une charge virale plasmatique < 400 copies/ml. Le taux de CD4 médians était de 597/mm3, la médiane du nadir de CD4 250/mm3, et la durée médiane de suivi sous HAART avant randomisation de 6 ans.
Le suivi dans l’essai a été de 3700 patients-années, soit une moyenne de 16 mois par ­personne. Plus de 94% des visites ont été effectuées, avec 1,2% de valeurs manquantes pour le critère de jugement principal dans le bras CD4-A et 1,5% dans le bras continu. Les patients du groupe CD4-A ont eu un arrêt de traitement médian de 16,8 mois et avaient en moyenne 206 CD4/mm3 de moins par rapport au groupe traitement continu sur l’ensemble des valeurs pendant l’essai.
Quand on rentre dans le détail du temps de suivi, le pourcentage de temps passé (i) sous ARV était de 33% dans le groupe CD4-A et de 94% dans le groupe continu ; (ii) au-dessus de 350/mm3 était de 68% dans le groupe CD4-A et 93% dans le groupe continu ; (iii) en dessous de 250/mm3 était de 9% dans le groupe CD4-A et 1,8% dans le groupe continu. Le pourcentage de temps passé avec CV < 400 copies/ml était de 9% dans le groupe CD4-A et 72% dans le groupe continu.
Les résultats sur les critères de jugements étaient les suivants : le risque du critère de jugement principal, "décès ou événement sida", était significativement supérieur dans le groupe CD4-A comparé au groupe continu (RR = 2,6 [IC95% 1,9-3,7] p < 0,0001). La différence significative persistait pour les risques de décès seuls (RR = 1,8 [IC95% 1,2-2,9] p = 0,007), d’événements sida (RR = 6,6 [IC95% 1,5-29,1] p = 0,009), ou d’événements morbides non sida (RR = 3,6 [IC95% 2,1-6,1] p < 0,001). A noter que 8% seulement des décès ont été imputés à des infections opportunistes.
Concernant les critères de jugement secondaires, le risque d’événements graves cardiovasculaires, rénaux, hépatiques était également significativement supérieur dans le groupe CD4-A (RR = 1,7 [IC95% 1,1-2,5] p = 0,009). A lui seul, le risque d’effets indésirables de grade 4 n’était pas significativement différent dans les deux groupes (RR = 1,2, [IC95% 1-1,5] p = 0,13), mais associé au décès dans un critère composite "grade 4 ou décès" il devenait également significativement supérieur dans le groupe CD4-A (RR = 1,3 [IC95% 1-1,6] p = 0,03).
Enfin, en stratifiant les analyses de survenue du critère de jugement principal "décès ou événement sida" sur les groupes de caractéristiques initiales, on retrouvait un RR plus élevé dans les groupes CD4-A chez les personnes noires (RR 3,7 vs RR 2,1 ; p = 0,02), chez les personnes avec CV à l’inclusion < 400 copies/ml (RR à 4,0 vs RR à 1,2), et un RR variant suivant les strates de CD4 initiales (RR variant de 1,5 pour la strate 350-449/mm3 à 4,1 pour la strate 450-549/mm3). Après ajustement sur les CD4 et la CV, le risque relatif d’événement sida dans le groupe CD4-A comparé au groupe continu passait de 3,6 à 1,7 et le risque relatif de décès passait de 1,8 à 1,2.

Cette étude menée avec un très grand nombre de patients montre donc très nettement l’infériorité de la stratégie interruption de traitement guidée par les CD4 avec les seuils 250-350 comme critères de reprise et de nouvel arrêt.
Cette infériorité de la stratégie d’interruption est attribuable en grande partie à la différence en CD4 liée au design de l’étude, puisque les patients dans le bras d’interruption se sont trouvés maintenus dans une zone de CD4 entre 250 et 350 alors que les patients du bras continu pouvaient augmenter leur chiffre de CD4 régulièrement. Elle peut aussi être attribuable aux rebonds viraux.
Cependant, ces deux facteurs n’expliquent pas tout. Après ajustement sur les CD4 et la charge virale, le risque de morbidité sévère diminuait certes nettement mais demeurait un peu plus élevé dans le groupe d’interruption, ce qui suggère le rôle d’autres facteurs non identifiés pour expliquer l’infériorité de cette stratégie.
L’élément le plus surprenant et important de cette étude est la plus grande fréquence dans le bras d’interruption d’événements graves traditionnellement attribués aux antirétroviraux, notamment la morbidité cardio-vasculaire. Ce constat remet en cause les hypothèses physiopathologiques sur la cause de cette morbidité, et fait se poser la question de la responsabilité du VIH lui-même (via des mécanismes inflammatoires ?) plus que de la toxicité des antirétroviraux.
De ce fait, il est difficile de conclure dans SMART sur la fréquence réelle des effets indésirables effectivement liée aux antirétroviraux, puisqu’aucune mesure d’imputabilité des événements supposés "indésirables" n’est précisée dans l’article. Même si les événements sévères classifiés comme indésirables (grade 4) n’étaient pas plus fréquents dans le groupe CD4-A que dans le groupe continu, ce point reste insuffisamment exposé.

Les résultats de SMART doivent être interprétés à la lumière des autres résultats d’essais d’interruption publiés ces dernières années, et notamment depuis 2006. Dans l’interprétation des résultats de ces essais, il faut entre autres prendre en compte la nature des modalités d’interruption (adaptées aux chiffres de CD4, ou à cycles fixes), le contexte des essais (pays industrialisés ou Afrique subsaharienne), les seuils de CD4 choisis pour les interruptions et la puissance des essais.
Ainsi, SMART compris, trois essais d’interruption adaptée aux chiffres de CD4 ont été récemment publiés. Deux d’entre eux, SMART et Trivacan (ANRS 1269)1 ont utilisé des seuils de CD4 identiques pour interrompre et reprendre, et ont montré une même surmorbidité ou surmortalité dans les bras d’interruption. Cependant, ils l’ont fait dans des contextes de morbidité très différents. Dans SMART, l’incidence de survenue des événements sida (principalement des candidoses oesophagiennes et des pneumocystoses) était respectivement de 0,4 et 0,1 pour 100 patients-années dans le bras d’interruption et dans le bras continu.
Dans Trivacan, réalisé en Afrique subsaharienne, l’incidence de survenue des événements liés au VIH (principalement des tuberculoses et des infections bactériennes invasives, et ce malgré la prophylaxie par le cotrimoxazole fort dès le passage en dessous de 500 CD4/mm3) était respectivement de 17,6 et 6,7 pour 100 patients-années dans le bras d’interruption et dans le bras continu. A risque relatif à peu près identique entre les deux stratégies, le risque absolu d’interrompre le traitement était donc beaucoup plus élevé en Afrique.
Le troisième essai d’interruption adaptée aux chiffres de CD4 était l’essai Staccato, réalisé en Suisse, en Thaïlande et en Australie, avec un seuil de reprise à 350/mm3, donc plus élevé que dans SMART et Trivacan2. Cet essai n’a pas montré de différence de risque de mortalité ou de morbidité, peut-être en raison de ce seuil, mais aussi d’une puissance moindre à celle de SMART ne lui permettant pas de montrer des différences sur des incidences faibles.
D’autres essais ont étudié des cycles fixes d’arrêt/reprise du traitement, comme par exemple l’essai Window ANRS 106, qui proposait des cycles d’interruption/reprise fixes de 2 mois/2 mois à des personnes ayant plus de 450 CD4/mm3 à l’inclusion dans l’essai3. Globalement, ces essais n’ont pas montré non plus de différence de risque de mortalité, de morbidité et/ou d’échecs virologiques entre divers schémas d’interruptions fixes et le traitement continu, sauf lorsqu’on utilisait des cycles très courts de l’ordre de la semaine.
Là encore, on pourrait incriminer un phénomène de puissance dans la différence entre ces résultats et ceux de SMART, aucun autre essai n’ayant inclus le même nombre de participants que SMART. Mais on peut aussi penser que ces schémas d’interruptions "fixes" permettent de garder un niveau de CD4 globalement plus élevé que dans les interruptions adaptées et de "re-contrôler" la charge virale de manière plus régulière.
Suite à ces essais, les interruptions programmées ont-elles une place dans la pratique clinique quotidienne ? La réponse est délicate. D’un côté les résultats de SMART incitent à la plus grande prudence, d’un autre côté l’ensemble des essais – SMART compris – montrent que le risque encouru est probablement faible, en tout cas dans les pays industrialisés et dans certains sous-groupes de population, notamment les personnes ayant des chiffres de CD4 élevés. La traduction de ces résultats en termes de recommandations précises reste à faire.
En attendant, les résultats des essais SMART et Trivacan ont ouvert un champ de réflexion nouveau : s’il n’est pas recommandé d’interrompre les traitements entre 250 et 350 CD4, peut-être faudrait-il les débuter avant le chiffre de 350 CD4 ? Dans ce cas, quel serait le bon seuil ? Cette question "quand commencer les traitements antirétroviraux ?" - devrait faire l’objet d’essais thérapeutiques rigoureux.
Ces essais devront probablement avoir des schémas différents suivant les contextes de morbidité. En Afrique, débuter plus tôt pourrait diminuer une morbidité fréquente à la fois opportuniste et communautaire, tuberculose et maladies bactériennes. Dans les pays industrialisés, débuter plus tôt pourrait avoir pour principal effet de diminuer une mordidité "non opportuniste" mais liée au VIH, peu fréquente, dont la mise en évidence est un bénéfice majeur de l’essai SMART.



1 - Danel C, Moh R, Sorho S et al.,
"The CD4-guided strategy Arm stopped in a randomizedstructured treatment interruptions trial in West African adults : ANRS 1269 Trivacan trial"
2006, 13th Conference on retroviruses and Opportunistic Infections,
abstract 105 LB
2 - Ananworanich J, Gayet-Ageron A, Le Braz M et al.,
"CD4-guided scheduled treatment interruptions compared with continuous therapy for patients infected with HIV-1 : results of the Staccato randomised trial",
Lancet, 2006, 368, 9534, 459-65
3 - Marchou B, Tangre P, Charreau I et al.,
"Intermittent antiretroviral therapy in patients with controlled HIV infection",
Aids, 2007, 21, 4, 457-66