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n°134 - Décembre 2007

 


PREVENTION VS MORALE

L'abstinence comme prévention du VIH au Nord : Revue de détail

 

Nicole Athéa

Crips (Paris)

 






Sexual abstinence only programmes to prevent HIV infection in high income countries : systematic review
K. Underhill, P. Montgomery, D. Operario
BMJ 2007, 335, 248-60

L'objectif de cette analyse était de mesurer les effets des programmes de prévention fondés sur l'abstinence sexuelle dans les pays développés.

 

Une revue exhaustive de la littérature a permis de recueillir 30 études, dont 13 études américaines randomisées ou quasi randomisées, publiées avant février 2007 ; les programmes ciblaient soit la prévention exclusive du VIH, soit la prévention de la grossesse et de l’infection VIH. Toutes les études rapportant plus de 33% de perdus de vue ont été éliminées. Les séances de prévention comportaient 5 à 720 sessions sur 4 ans (!!!) avec une moyenne de 8 interventions sur un an. La quasi-totalité des séances ont été effectuées en milieu scolaire (10 sur 13) et concernaient des adolescents de 10 à 14 ans. Un seul programme portait sur les 18-21 ans.

15940 jeunes

Les évaluations reposaient sur des éléments "biologiques" (incidence de l’infection HIV, des IST et de la grossesse) ou sur des éléments comportementaux (rapports vaginaux protégés ou non, fréquence des rapports de pénétration, nombre de partenaires sexuels, utilisation de préservatifs et âge des premières relations sexuelles). Les 13 études analysées ont inclus 15940 jeunes. Toutes les évaluations sont effectuées à partir des réponses des jeunes, par courrier retour anonyme, ou contactés par téléphone, à des temps très variables en fonction des études ; la moitié portaient sur des évaluations courtes, moins de trois mois, 2 sur un an et demi, et trois sur 5 ans (ces dernières concernaient les prises en charge de plusieurs années). Les réponses sont comparées à celles des groupes témoins, qui sont constitués d’adolescents ayant eu la "prévention habituelle" délivrée par l’école, dont il est bien difficile de savoir en quoi elle consiste dans ces études.
Dans l’ensemble, aucun programme n’a eu d’effet ni positif ni délétère sur l’ensemble des critères analysés :
- pas de modification de l’âge aux premiers rapports : mais, compte tenu de l’hétérogénéité de l’âge des jeunes concernés et du délai rapide d’évaluation, ce critère ne m’apparaît pas même analysable.
- pas de diminution du nombre de partenaires sexuels : ici encore, le délai rapide d’évaluation rend peu pertinent cette analyse : même si les adolescents ont des relations qui durent peu, trois mois, c’est bien court...
- aucun effet sur les rapports vaginaux non protégés : on peut féliciter les jeunes, qui recevant un message d’abstinence qui peut être considéré comme un message paradoxal quand on a des relations sexuelles, y résistent et continuent à utiliser leur protection habituelle quand ils en ont.
- pas de modification de l’utilisation du préservatif : même commentaire que ci-dessus.
- une étude rapporte des effets négatifs à court terme (3 mois) sur la fréquence plus grande des rapports sexuels et l’incidence des IST, et à long terme sur IST et grossesse. Une étude rapporte des effets positifs à court terme sur l’incidence des rapports vaginaux. Mais ces résultats sont contredits par toutes les autres études.

Echec

Il s’agit donc bien d’un échec des programmes de prévention visant à prévenir l’infection à VIH quand ils se cantonnent à prôner l’abstinence exclusive dans les pays développés.
Pourtant, ces populations, qui sont économiquement et culturellement favorisées, sont le plus à même de mettre à profit une éducation de l’abstinence, le statut plus favorisé des filles dans ces pays les rendant plus capables de s’opposer aux pressions des pairs et des petits copains pour éviter d’engager leur corps dans des relations sexuelles qu’elles ne souhaitent pas.

Enfin, dans ces programmes, rien de spécifique n’est prévu en direction des jeunes qui sont dans une attirance homosexuelle (pour les plus jeunes), ou homosexuels confirmés (pour les plus âgés), qui sont les plus vulnérables au risque de séropositivité. De plus, la connotation souvent religieuse des programmes d’abstinence, qui n’est pas évoquée dans cet article, rend ces jeunes certainement très en retrait de ces interventions, compte tenu des positions souvent peu favorables, voire franchement hostiles des autorités religieuses face à l’homosexualité. Il est difficile de prendre en compte positivement le discours de ceux qui vous excluent...

Du Nord au Sud

Ce message, qui ne fonctionne pas dans nos pays, où les adolescents sont bombardés de sollicitations sexuelles attachées aux impératifs de l’économie de marché, à travers la publicité, risque de ne pas être plus opérant dans des pays en développement à forte prévalence d’infection VIH, notamment les pays d’Afrique subsaharienne, mais pour des raisons différentes. En effet, le message de l’abstinence, c’est aussi le message religieux des relations sexuelles dans le mariage. Si des jeunes filles peuvent être sensibles à ce message, il n’est pas valide pour les jeunes garçons dont l’affirmation de la virilité passe par la relation de pénétration. De plus, dans ce contexte culturel fortement inégalitaire, souvent renforcé par les contextes politiques et législatifs locaux, les "droits" sexuels des garçons, ou les us et coutumes, les autorisent à une vie sexuelle très "diversifiée" avant et même après le mariage. Et l’on sait aujourd’hui que le mariage représente un facteur de risque élevé de contamination par le VIH pour les jeunes Africaines.

En matière de prévention, il est essentiel d’avoir des messages clairs, non porteurs d’ambiguïté ou de paradoxe. Le message exclusif de l’abstinence, qui est avant tout un message de morale sexuelle, ne saurait être un message de prévention ; cette étude le démontre de façon magistrale. Si le préservatif apparaît bien, en Afrique comme dans nos pays développés, le message de prévention à privilégier, il doit être intégré dans le cadre d’espace de parole sur la sexualité, prenant en compte tous les aspects de la vie affective et sexuelle des jeunes. Ce cadre permet aux jeunes de réfléchir aux enjeux de la prévention (qui expliquent les difficultés à mettre en pratique les informations que chacun connaît) et de trouver les stratégies de protection qu’il est capable de mettre en place. Et l’abstinence, primaire ou secondaire, peut alors prendre sa place, mais dans ce cadre-là, de façon non exclusive et comme une possibilité parmi d’autres.
Enfin, il n’est pas sans importance de souligner le prix des programmes de prévention basés sur l’abstinence : 204 millions de dollars donnés par la Maison Blanche en 2007, 3 à 4 millions d’origine fédérale, plus les fonds privés, et l’augmentation des fonds prévue n’est pas négligeable : 270 millions de dollars prévus pour 2009. Ce sont des sommes qui laissent rêveurs : on pourrait rêver, par exemple, que cet argent soit alloué à la lutte contre le VIH en Afrique. Mais ainsi, la morale est sauve ; peu importe l’hypocrisie ou le cynisme...