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n°134 - Décembre 2007

 


VIH – RELATIONS INTERNATIONALES

Sécurité sanitaire : quels outils pour une solidarité mondiale ?

 

Mélanie Heard

PISTES

 




Meeting the Survival Needs of the World’s Least Healthy People. A Proposed Model for Global Health Governance
L.O.Gostin
JAMA, 2007, 298(2), 225-8

Pour un avenir plus sûr, Rapport sur la santé dans le monde
OMS
Genève, 2007

Jamais auparavant dans l'histoire la sécurité sanitaire mondiale n'avait autant été tributaire de la solidarité internationale.

 

C’est le message du Rapport sur la santé dans le monde, Un avenir plus sûr, publié par l’OMS en août. Au moment où le monde est confronté à nombre de menaces nouvelles ou récurrentes, le Rapport sur la santé dans le monde de cette année s’est fixé un objectif ambitieux : montrer comment, par une action collective de santé publique au niveau international, il est possible de créer, pour l’humanité, les conditions d’un avenir plus sûr.
Alors que, depuis 1967, ce sont au moins 39 agents pathogènes nouveaux qui ont été identifiés, parmi lesquels le VIH, les virus des fièvres hémorragiques Ebola et Marburg et le SRAS, aujourd’hui des menaces séculaires, comme la grippe pandémique, le paludisme ou la tuberculose, continuent de peser sur la santé mondiale. "La sécurité sanitaire internationale est à la fois une aspiration collective et une responsabilité mutuelle. La diplomatie, la coopération, la transparence et la préparation en sont les nouveaux mots d’ordre. Compte tenu de la vulnérabilité universelle d’aujourd’hui face à ces menaces, l’amélioration de la sécurité passe par une solidarité mondiale", a déclaré Margaret Chan, directrice générale de l’OMS. Une solidarité mondiale au service de laquelle ce sont cependant des moyens plus ambitieux qu’il est temps de mettre en oeuvre, selon le juriste et spécialiste de santé publique Lawrence Gostin.

Le rapport 2007

Le rapport 2007 permet à l’OMS de faire le point sur les facteurs de la vulnérabilité mondiale à l’égard des menaces infectieuses. Le premier déterminant, bien connu, de l’importance des menaces pesant sur la sécurité sanitaire est la grande mobilité des populations, les compagnies aériennes transportant désormais plus de 2 milliards de passagers par an. Mais le rapport décrit également d’autres facteurs humains responsables des problèmes de sécurité sanitaire :
- l’insuffisance des investissements dans la santé publique en raison d’un faux sentiment de sécurité ;
- les changements inattendus de politique, comme la décision d’interrompre temporairement la vaccination anti-poliomyélite en 2003 au Nigeria, causant une résurgence épidémique dans la région tout entière ;
- les situations de conflits obligeant des populations à vivre dans des conditions de promiscuité, de manque d’hygiène et de pauvreté qui accroissent le risque épidémique ;
- l’évolution des micro-organismes et des résistances aux antibiotiques.
Le rapport insiste tout particulièrement sur l’insuffisance des investissements dans les systèmes de santé et d’alerte. L’OMS fait ainsi valoir que bien des urgences de santé publique auraient pu être évitées ou circonscrites si les systèmes de santé concernés avaient été plus solides et mieux préparés. C’est le cas de l’épidémie de VIH/sida, dont "l’émergence et la propagation rapide dans les années 1970" illustre les conséquences dramatiques de l’insuffisance des systèmes de santé dans les pays du Sud : "La présence d’une nouvelle menace pour la santé n’a pas été détectée par des systèmes de santé invariablement faibles dans de nombreux pays en développement, ne devenant une préoccupation internationale que tardivement, lorsque le premier cas a été enregistré aux Etats-Unis"1.
Or les difficultés des systèmes de santé des pays du Sud sont multifactorielles. Les pays en développement ont plus de peine que d’autres à faire face aux menaces qui pèsent sur la sécurité sanitaire parce qu’ils ne disposent pas des ressources nécessaires, que leur infrastructure médico-sanitaire s’est effondrée par suite de l’insuffisance des investissements et de la pénurie de personnel de santé dûment formé, ou encore parce que cette infrastructure a été mise à mal ou détruite par un conflit armé ou une catastrophe naturelle.
L’OMS recommande en conséquence que davantage de ressources aux niveaux mondial et national soient désormais affectées à la formation du personnel de santé, à l’amélioration de la surveillance, au renforcement et au développement des moyens de laboratoire, à l’appui des réseaux d’intervention ainsi qu’à la poursuite et à l’avancement des campagnes de prévention : "Les premières mesures à prendre pour mener l’action sécuritaire en santé publique au niveau mondial consistent donc à faire en sorte que tous les pays disposent des capacités principales requises pour la surveillance et l’action et à établir de nouveaux liens de coopération interpays de manière à réduire les risques pour la sécurité sanitaire."
C’est précisément l’objectif du nouveau Règlement sanitaire international en vigueur depuis juin (voir encadré) que d’accompagner les pays et la communauté internationale dans le renforcement des capacités de santé publique. Selon le nouveau règlement, il incombe à tous les pays de mettre en place, d’ici 2012, des systèmes efficaces de détection et de maîtrise des risques pour la santé publique. Si les 193 pays membres de l’OMS sont tenus par le nouveau Règlement, nombreux sont ceux qui ne seront pas en mesure de présenter en 2012 les capacités de santé publique qu’il requiert. L’OMS en appelle donc à la solidarité sanitaire internationale pour apporter à ces pays un soutien financier et technique, au besoin au moyen d’accords bilatéraux, insistant sur le fait qu’"une carence dans un pays constitue un risque pour tous les autres".

Vers une solidarité sanitaire mondiale

L’appel à la solidarité sanitaire mondiale de l’OMS dans son rapport 2007 ne semble pas avoir emporté la conviction de tous ses lecteurs. Un éditorial du Lancet déplore dans ce rapport une "opportunité manquée". Si l’édiction du nouveau RSI marque une avancée incontestable pour le contrôle des menaces sanitaires mondiales, il reste toutefois à approfondir les formes que la solidarité mondiale pourra prendre pour assurer l’efficience du RSI et soutenir le renforcement des capacités sanitaires au Sud : "ce dont nous avons besoin, c’est du leadership de l’OMS pour dessiner la façon dont la santé doit impacter sur les relations internationales"2.
Si l’appui de la communauté internationale au développement des systèmes de santé des pays du Sud est un impératif pour la sécurité sanitaire mondiale, il s’agit de créer des outils capables de stabiliser cette solidarité au sein d’une gouvernance globale de santé. Le droit international peut-il être un outil créant une obligation juridique de solidarité globale ? C’est la question que pose Lawrence Gostin dans JAMA cet été, notant : "La gouvernance mondiale de santé est lamentablement déficiente, et il y a terriblement besoin d’approches neuves. L’OMS a, grâce à sa Constitution, de vastes pouvoirs, mais son potentiel ne s’est jamais réalisé. En 60 ans, l’OMS n’a édicté qu’une réglementation significative (le RSI) et un traité (la convention-cadre pour la lutte anti-tabac). (...) L’OMS s’est éloignée de sa compétence à faire le droit, parce qu’elle s’est principalement vue comme une agence scientifique et technique."
Gostin est juriste et spécialiste de santé publique, directeur du "Center for Law and Public’s Health" de l’Université Johns Hopkins et de l’université Georgetown. Il propose dans JAMA un modèle de convention-cadre sur la santé globale qui, sur le modèle de la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique, fixerait des normes juridiques contraignant la communauté internationale a mettre en oeuvre une solidarité effective au service des pays les moins avancés. Les objectifs de la convention seraient de développer les systèmes de santé des pays du Sud, de définir des besoins prioritaires de santé, et de réduire les inégalités globales de santé. Liés par une telle convention, les états membres de l’OMS parviendraient à donner à la gouvernance globale de la santé un contenu effectif. "Sans un engagement à la solidarité qui ait une valeur contraignante, les états riches sont susceptibles de penser qu’il est économiquement ou politiquement plus simple de différer leur juste contribution à l’assistance sanitaire globale, en espérant que d’autres prennent le relais." Une convention-cadre aurait ainsi pour vertu de sécuriser la pérennité des mécanismes de solidarité Nord/Sud, de systématiser ces mécanismes au sein d’un socle normatif global de gouvernance internationale, et, à terme, de garantir la sécurité sanitaire mondiale. Au vu des inquiétudes qui ont précédé la récente Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial à Berlin fin septembre3, cet appel à l’institutionnalisation de la solidarité mondiale pour la santé prend tout son sens.

Le Règlement sanitaire international 2005 verbatim OMS

Un nouveau Règlement sanitaire international (RSI) est en vigueur depuis juin.
Plus exigeant et d’une portée plus vaste que celui datant de 1969 qu’il remplace, il insiste sur le fait qu’il incombe à tous les pays de mettre en place, d’ici 2012, des systèmes de détection et de maîtrise des risques pour la santé publique. Le nouveau RSI 2005 part du principe qu’aucun pays ne peut pleinement protéger ses citoyens seul ou en se contentant de prendre des mesures classiques de contrôle aux frontières. Le nouveau règlement établit un donc ensemble de règles stipulant comment les pays doivent évaluer et notifier à l’OMS les urgences de santé publique de portée internationale.
"Selon la définition qu’en donne le Règlement révisé, une urgence s’entend d’un "événement extraordinaire" qui présente un risque de propagation internationale ou qui pourrait requérir une action internationale coordonnée. Les événements susceptibles de constituer une urgence de santé publique de portée internationale sont évalués par les Etats Parties au moyen d’un instrument de décision et, si certaines conditions sont remplies, l’OMS doit en avoir notification. La notification est obligatoire devant un cas unique d’une maladie susceptible de menacer la sécurité sanitaire mondiale : grippe humaine due à un nouveau sous-type viral, poliomyélite due à un virus de type sauvage, SRAS ou variole.
La large définition qui est donnée de l’"urgence de santé publique de portée internationale" et de la "maladie" permet, en ce qui concerne les menaces d’ordre sanitaire, d’aller plus loin que les maladies infectieuses et d’inclure dans le RSI (2005) celles qui résultent de la libération accidentelle ou intentionnelle de germes pathogènes, ou encore de l’exposition à des substances chimiques ou radioactives. Le Règlement voit ainsi sa portée accrue dans le sens d’une protection étendue de la sécurité sanitaire mondiale.
Avec le RSI (2005), on passe d’un instrument portant presque exclusivement sur les mesures à prendre dans les aéroports et ports pour faire barrage aux cas importés, comme c’était le cas du RSI (1969), à des dispositions tendant essentiellement à organiser une intervention rapide à la source d’une flambée épidémique.
Le texte énumère les "principales capacités requises" dont tous les pays doivent se doter pour détecter, évaluer, déclarer et notifier les événements qui tombent sous le coup du RSI (2005), et il vise à renforcer la collaboration à l’échelon mondial en améliorant les capacités des pays et en leur prouvant qu’ils ont tout intérêt à respecter les dispositions du Règlement. Il y a en effet trois facteurs décisifs qui incitent à respecter le Règlement : la limitation du risque de désorganisation consécutive à une épidémie, la possibilité de la contenir rapidement et le fait de conserver une bonne réputation aux yeux de la communauté internationale.
En s’écartant des précédentes conventions et réglementations internationales, le RSI (2005) accomplit une véritable révolution, en ce sens qu’il reconnaît explicitement qu’en ce qui concerne les épidémies, des sources d’information non liées aux pouvoirs publics pourront souvent prendre le pas sur les notifications officielles. Ce peut notamment être le cas si un pays se révèle peu disposé à dévoiler un événement qui se produit sur son territoire. Désormais, le RSI (2005) autorise l’OMS à s’adresser à d’autres sources d’information que les notifications officielles. Toutefois, l’OMS s’efforcera toujours d’obtenir la vérification officielle de ce genre d’information auprès du pays en cause avant d’entreprendre toute action fondée sur les données obtenues. Cette situation traduit une nouvelle réalité de ce monde de la communication instantanée, à savoir que, pour un Etat, dissimuler une flambée épidémique ne constitue plus une option valable".
Source : OMS, RSI 2005



1 - Un avenir plus sûr, p. 42
2 - "WHO fails to address health security",
Lancet, 2007, 370, 714
3 - AMP,
"Le directeur du Fonds mondial contre le sida, le paludisme et la tuberculose espère que la contribution de la France ne diminuera pas",
10/09/2007