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n°134 - Décembre 2007

 


VIH – PRIMO-INFECTION

Primo-infection et prévention

 

Gilles Pialoux

Pistes (Paris)

 






High rates of forward transmission events after acute/early HIV-1 infection
B.G. Brenner, M. Roger, J.P. Routy, D. Moisi, M. Ntemgwa, C. Matte, J.G. Baril, R. Thomas, D. Rouleau, J. Bruneau, R. Leblanc, M. Legault,C. Tremblay, H. Charest, M.A. Wainberg; Quebec Primary HIV Infection Study Group.
JID 2007,195, 951-9

Le rôle de la primo-infection VIH dans la propagation de l'épidémie a été souligné dès le début du sida, puisque dès les années 1985-1986, des modélisations ont été faites, notamment à partir de la cohorte MACS, sur l'importance qu'ont pu jouer les primo-infections dans les épidémies survenues au sein de la communauté gay de San Francisco ou Philadelphie.

 

Depuis ces études princeps, le sujet n’avait été que rarement évoqué, jusqu’à quelques publications récentes au Nord mais aussi au Sud qui réactualisent ce thème. Dans la province de Rakai, en Ouganda, une étude de 2005 a montré que 43,8% des nouvelles transmissions apparaissaient chez des couples sérodifférents 10 à 15 mois après la séroconversion du patient source au sein du couple1.

Par ailleurs, l’étude récente issue du groupe canadien de Marc Wainberg montre, parallèlement, que 50% de l’ensemble des nouveaux cas d’infection du VIH identifiés dans le contexte du programme de génotypage du Québec et des études de cohorte sur la primo-infection, peuvent être attribués aux personnes qui ont elles-mêmes été infectées très récemment par le VIH. C’est en effet un article publié tout récemment dans le Journal of Infectious Diseases qui présente des résultats particulièrement saisissants. Ce travail a été réalisé à partir des séquences pol issues de la cohorte québéquoise de primo-infection, soit 215 patients (1998-2005) et du programme de génotypage national, soit 481 patients (2001-2005). Le principe du travail a été de réaliser une analyse phylogénétique qui permet d’établir si une infection VIH survient au sein d’un groupe d’individus qui semblent partager des séquences de VIH liées. Ceci indiquant que des infections multiples peuvent survenir par cascades (cluster) de contaminations au sein d’une population.

Jusqu’à 17 contaminations par personne source

Cette analyse a porté sur 717 séquences, issues soit d’infections récentes ou primo-infections, incluant 593 sous-types B, 65 infections de sous-types non B, en comparaison phylogénétique. La moitié (293/593) des patients évaluables en arbre phylogénétique au sein du groupe des primo-infectés sont liés à 75 "clusters" différents de transmission. Les autres (300/593) présentent a priori des séquences uniques. En d’autres termes, près de 50% des contaminations seraient des contaminations de proximité à partir de patients ayant eu une primo-infection et qui auraient été accessibles, de fait, à la fois à une prise en charge thérapeutique et à des messages de prévention spécifique. L’analyse de ces "clusters" montre que cela concerne 2 à 17 contaminations par personne source. Parmi ces contaminations, 49% concernent un cas-index pour 2 à 4 cas secondaires et 51% de ces "clusters" sont liés à 8,8 >= 3,5 transmissions par cas-index. L’analyse phylogénétique est, par ailleurs, suffisamment importante dans le temps (1997-2005) pour poser avec force la question de la nécessité d’une prévention ciblée.

Les caractéristiques ont été analysées en comparant le groupe de "clusters" de transmission versus ceux pour lequel il n’y a pas eu de transmission. Il n’y a pas de différence significative sur les facteurs de risque entre les deux groupes ("clusters" ou non) en termes de modes de transmission (ie homo, hétéro, usagers de drogues...), de comportements à risques et sur le nombre de partenaires. Il est clair que cette différence entre les deux groupes n’est pas attribuée à une différence en termes de comportements, notamment, sexuels et que l’effet "cluster" est bien induit par l’augmentation du risque de transmission dans la période de primo-infection.
Qui plus est cette étude ne concerne pas uniquement des homosexuels masculins (57%) mais aussi des usagers de drogues par voie intraveineuse (25%) et des hétérosexuels (7%). En effet il est parfaitement reconnu que la primo-infection représente une période de haut risque en raison de charges virales extrêmement élevées, et cela a été démontré chez les couples homosexuels en Afrique et chez les couples du Nord hétérosexuels sérodiscordants. Au delà de la qualité du travail scientifique, cette publication et l’éditorial qui y est adjoint dans JID, soulèvent deux questions essentielles.

Initiation du traitement

En premier lieu, il conviendrait de reposer la question de l’initiation d’un traitement. Les recommandations actuelles tant aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France fixent l’initiation d’un traitement antirétroviral uniquement sur le critère du rapport bénéfice/risque individuel, donc sur les CD4 du patient. Une seule étude en cours actuellement évalue l’impact qu’une initiation d’un traitement antirétroviral plus précoce aurait sur une éventuelle prévention de la transmission chez les couples sérodiscordants. Il est vrai que le potentiel effet positif que l’augmentation du nombre de patients sous traitement aurait sur la transmission sexuelle du VIH pourrait avoir pour contrepartie négative une possible augmentation de souches multirésistantes en circulation dans les pays ayant accès aux antirétroviraux.

Prévention

Ces données concernant le lien entre les "clusters" de primo-infections et d’infections récentes et l’augmentation de transmission du VIH sont si clairement pertinentes dans d’autres études, qu’elles pourraient imposer un changement de paradigme concernant le traitement de la primo-infection. En effet, la balance bénéfices/risques de l’indication du traitement de la primo-infection a toujours été évaluée sur un critère individuel, en termes de réponse virologique, de réponse immunologique et d’histoire naturelle de l’infection à VIH. Mais pas en termes collectifs. Et cela mérite d’être évalué. Le traitement de la primo-infection à grande échelle ne faciliterait-il pas la diminution de la contamination chez les patients de couples discordants ? Voilà une question de santé publique pour les années à venir.



1 - Wawer MJ, Gray RH, Sewakambo NK, et al.
"Rates if HIV1- transmission per coital act, by stage of HIV-1 infection in Rakai, Uganda"
J Infect Dis, 2005,191,1403-9
Pillay D, Fisher M,
"Primary HIV infection, phylognetics, and antiretroviral prevention"
J Infect Dis, 2005, 191, 924-5