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n°136 - mars/avril 08

 


VIH – TRANSMISSION

Des facteurs amplificateurs du VIH dans le sperme

 

Asier Sáez-Cirión

Unité de régulation des infections rétrovirales, Institut Pasteur (Paris)

 






Semen-derived amyloid fibrils drastically enhance HIV infection
Münch J., Rücker E., Ständker L., Adermann K., Goffinet C., Schindler M., Wildum S., Chinnadurai R., Rajan D., Specht A., Giménez-Gallego G., Cuevas Sánchez P., Fowler D.M., Koulov A., Kelly J.W., Mothes W., Grivel J.-C., Margolis L., Keppler O.T., F
Cell, 2007, 131, 6, 1059-71

Une étude récemment publiée dans Cell montre que l'adjonction du VIH au sperme ou au liquide séminal augmente de façon importante sa capacité infectieuse. Principaux "suspects" : des fragments "actifs" de la protéine PAP. Une cible potentielle pour diminuer le risque de transmission du virus par la voie sexuelle ?

 

Des particules virales infectieuses peuvent être détectées même dans le sperme des hommes qui suivent une thérapie antirétrovirale efficace, et le liquide séminal protège les particules virales de l’inactivation, en particulier dans le vagin. Bien que la quantité de virus transmise lors d’un acte sexuel soit, dans la majorité des cas, insuffisante à infecter des cellules in vitro, les rapports sexuels non protégés constituent la principale route de transmission du VIH-1. Ce paradoxe pourrait s’expliquer par la présence dans le sperme d’un facteur qui augmente la capacité infectieuse du virus.
L’étude de Münch et coll. publiée récemment dans la revue Cell explore cette hypothèse. Les auteurs démontrent que le sperme augmente la capacité infectieuse du VIH et identifient un mécanisme et un facteur associés à cette activité. Même si l’importance de ce mécanisme dans la transmission sexuelle du VIH n’est pas formellement démontrée, les résultats de cet article peuvent avoir des retombées importantes.

Dans un remarquable travail précédent, Frank Kirchhoff et ses collaborateurs ont mis en évidence l’utilité d’analyser des "bibliothèques" peptidiques provenant de fluides humains pour identifier des molécules qui peuvent agir en tant que modulateurs naturels de l’infection par le VIH1. Dans cette étude fondatrice, Münch et coll. ont analysé une banque des peptides issus d’hémofiltrats de patients atteints d’insuffisance rénale. Après criblage d’environ un million de peptides, ils ont identifié un peptide de 20 acides aminés capable d’inhiber la réplication du VIH avec une très grande efficacité. Ce peptide, qui a été dénommé VIRIP (de l’anglais "peptide inhibiteur du virus"), bloque l’entrée du VIH dans la cellule en interagissant très spécifiquement avec la glycoprotéine transmembranaire virale gp41, responsable de la fusion des membranes du virus et de la cellule cible, et pourrait mener à l’élaboration d’une nouvelle classe d’antirétroviraux1.

Dans cette nouvelle étude, la même équipe a utilisé cette approche pour analyser une banque de près de 300 fractions peptidiques et protéiques dérivées d’un pool de spermes humains, afin d’identifier des facteurs impliqués dans la transmission sexuelle du VIH. Une des fractions étudiées augmentait très significativement l’infection par le VIH in vitro. Après purification de la fraction, les auteurs ont observé que l’activité amplificatrice de l’infection VIH résidait dans plusieurs peptides de taille similaire (4000-4500 Dalton). Ces peptides étaient tous des fragments dérivés de la protéine phosphatase acidique prostatique (PAP), qui est produite par la glande prostatique et sécrétée dans des quantités très importantes (1-2 mg/ml) dans le sperme. Les auteurs ont utilisé ensuite des peptides synthétiques de la PAP (correspondant aux fragments présents dans la fraction peptidique de sperme analysée) pour confirmer la capacité de ces fragments à amplifier l’infection VIH. La tâche n’a pas été simple. La protéine PAP complète n’avait aucun effet sur l’infection VIH in vitro, mais en revanche plusieurs des fragments synthétiques de cette protéine montraient une capacité très significative à augmenter l’infection VIH dans des cellules cibles. Néanmoins, cette capacité amplificatrice n’a pas pu être mise en évidence en utilisant des solutions fraîches de peptides. En effet, après cette désagréable surprise, les auteurs ont observé que soit une incubation des peptides sur la paillasse pendant la nuit soit leur agitation était nécessaire pour retrouver cette activité. Dans ces conditions, les solutions peptidiques présentaient un dépôt et c’était dans ce dépôt que les formes actives se trouvaient.

L’analyse des dépôts a permis de déterminer que les fragments "actifs" de la protéine PAP, dénommés SEVI par les auteurs (de l’anglais "amplificateur de l’infection virale dérivé du sperme"), avaient formé des fibrilles de type amyloïde. La notion que ce type de fibrilles, qui se déposent caractéristiquement dans des plaques dans le cerveau lors de maladies prioniques ou des démences tels que l’Alzheimer, ont une forte capacité d’amplification de l’infection VIH n’est pas nouvelle, car elle avait été déjà démontrée par Wojtowicz et ses collaborateurs en 20022. Dans son étude, Wojtowicz et coll. avaient montré que les fibrilles amyloïdes interagissent directement avec les particules virales et favorisent l’interaction de ces particules avec les cellules cibles. C’est aussi le cas pour le SEVI. Malheureusement, Münch et coll. ne font pas de progrès dans la compréhension du mécanisme qui mène à cette activité.

En revanche, les auteurs ont exploré si l’activité amplificatrice du SEVI était retrouvée dans des conditions plus physiologiques. D’abord, ils ont démontré que le SEVI était capable d’augmenter l’infection VIH des cellules mononucléaires sanguines, macrophages primaires et tissus lymphoïdes, ainsi que de favoriser la transmission du virus par les cellules dendritiques. De façon intéressante, l’effet amplificateur du SEVI (capacité infectieuse des virus augmentée jusque de 400000 fois) est plus important aux plus faibles concentrations virales similaires à celles liées à la transmission du VIH-1 par voie sexuelle. En outre, les fragments de PAP dans le sperme sont à des concentrations dix fois plus importantes que celles requises par le SEVI pour induire l’augmentation de l’infection VIH in vitro.

En accord avec ces résultats, les auteurs montrent enfin que le mélange de VIH avec du sperme ou du liquide séminal augmente de façon importante sa capacité infectieuse. Il est à noter qu’à la différence de ce qui avait été observé avec les peptides synthétiques, la capacité amplificatrice du sperme est observée en l’absence d’incubation. Cependant, comme pour les fragments synthétisés, les fragments de PAP naturels isolés à partir de différents échantillons de sperme humain étaient capables d’amplifier l’infection du VIH... uniquement s’ils avaient étés incubés sur la paillasse préalablement à son mélange avec les particules virales. Cette divergence entre le sperme et les prétendus principes actifs soulève certaines questions. Pourquoi, une fois isolé, le SEVI requiert-il une pré-incubation pour exercer sa capacité amplificatrice tandis que cette capacité est instantanée dans le cas du sperme ? Y a-t-il d’autres facteurs dans le sperme qui pourraient contribuer à ce processus ? Ou le catalyser ? Ce n’est pas exclu. Les temps d’incubation sur la paillasse nécessaires pour observer une augmentation de la capacité infectieuse du VIH sont plus courts lorsque le SEVI se rajoute au sperme ou au liquide séminal que lorsque le SEVI est dans un tampon... Les auteurs suggèrent que des petits agrégats ou fibrilles préexistants dans le liquide séminal pourraient être en cause. Néanmoins, c’est aspect de l’article est plutôt confus. Malgré les 16 figures supplémentaires (uniquement accessibles en ligne et non publiées dans la revue) qui sont citées dans l’article (et n’aident pas à sa compréhension), les auteurs n’ont pas montré si le liquide séminal perd sa capacité amplificatrice après avoir éliminé le SEVI.

Toutefois, les résultats de cet article sont enthousiasmants. La PAP peut être détecté dans le vagin jusqu’à 24 heures après les rapports sexuels, et dans ce temps la PAP peut se dégrader, facilitant la formation des fragments, agrégats et fibrilles qui constituent le SEVI. Il reste à démontrer la capacité amplificatrice de l’infection par le VIH du SEVI dans ce contexte, mais, si c’est le cas, bloquer cette activité constituerait une excellente possibilité de diminuer le risque de transmission du virus par la voie sexuelle. Pour en arriver là, il faudra d’abord clarifier le rôle physiologique du SEVI ainsi que son mécanisme d’action dans l’augmentation de la capacité infectieuse du VIH.

Les points clés

Des estimations montrent que la quantité de VIH transmise normalement lors d’un acte sexuel serait insuffisante pour produire une infection in vitro.

Le sperme amplifie la capacité infectieuse des particules du VIH.

Des produits de dégradation d’une protéine secrétée par la glande prostatique, la PAP, forment des agrégats et des fibrilles amyloïdes qui favorisent l’interaction des particules du VIH avec des cellules cibles.



1 - Münch J, Ständker L, Adermann K et al.
"Discovery and optimization of a natural HIV-1 entry inhibitor targeting the gp41 fusion peptide"
Cell, 2007, 129, 2, 263-75
2 - Wojtowicz WM, Farzan M, Joyal JL et al.
"Stimulation of enveloped virus infection by beta-amyloid fibrils"
J Biol Chem, 2002, 277, 38, 35019-24