Revue
critique |
n°136 - mars/avril 08
Asier Sáez-Cirión
Unité de régulation des infections
rétrovirales, Institut Pasteur (Paris)
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Semen-derived amyloid fibrils
drastically enhance HIV infection |
Une étude récemment publiée dans Cell montre que l'adjonction du VIH au sperme ou au liquide séminal augmente de façon importante sa capacité infectieuse. Principaux "suspects" : des fragments "actifs" de la protéine PAP. Une cible potentielle pour diminuer le risque de transmission du virus par la voie sexuelle ?
Des particules virales infectieuses peuvent être détectées même dans le sperme des hommes qui suivent une thérapie antirétrovirale efficace, et le liquide séminal protège les particules virales de linactivation, en particulier dans le vagin. Bien que la quantité de virus transmise lors dun acte sexuel soit, dans la majorité des cas, insuffisante à infecter des cellules in vitro, les rapports sexuels non protégés constituent la principale route de transmission du VIH-1. Ce paradoxe pourrait sexpliquer par la présence dans le sperme dun facteur qui augmente la capacité infectieuse du virus.
Létude de Münch et coll. publiée récemment dans la revue Cell explore cette hypothèse. Les auteurs démontrent que le sperme augmente la capacité infectieuse du VIH et identifient un mécanisme et un facteur associés à cette activité. Même si limportance de ce mécanisme dans la transmission sexuelle du VIH nest pas formellement démontrée, les résultats de cet article peuvent avoir des retombées importantes.Dans un remarquable travail précédent, Frank Kirchhoff et ses collaborateurs ont mis en évidence lutilité danalyser des "bibliothèques" peptidiques provenant de fluides humains pour identifier des molécules qui peuvent agir en tant que modulateurs naturels de linfection par le VIH1. Dans cette étude fondatrice, Münch et coll. ont analysé une banque des peptides issus dhémofiltrats de patients atteints dinsuffisance rénale. Après criblage denviron un million de peptides, ils ont identifié un peptide de 20 acides aminés capable dinhiber la réplication du VIH avec une très grande efficacité. Ce peptide, qui a été dénommé VIRIP (de langlais "peptide inhibiteur du virus"), bloque lentrée du VIH dans la cellule en interagissant très spécifiquement avec la glycoprotéine transmembranaire virale gp41, responsable de la fusion des membranes du virus et de la cellule cible, et pourrait mener à lélaboration dune nouvelle classe dantirétroviraux1.
Dans cette nouvelle étude, la même équipe a utilisé cette approche pour analyser une banque de près de 300 fractions peptidiques et protéiques dérivées dun pool de spermes humains, afin didentifier des facteurs impliqués dans la transmission sexuelle du VIH. Une des fractions étudiées augmentait très significativement linfection par le VIH in vitro. Après purification de la fraction, les auteurs ont observé que lactivité amplificatrice de linfection VIH résidait dans plusieurs peptides de taille similaire (4000-4500 Dalton). Ces peptides étaient tous des fragments dérivés de la protéine phosphatase acidique prostatique (PAP), qui est produite par la glande prostatique et sécrétée dans des quantités très importantes (1-2 mg/ml) dans le sperme. Les auteurs ont utilisé ensuite des peptides synthétiques de la PAP (correspondant aux fragments présents dans la fraction peptidique de sperme analysée) pour confirmer la capacité de ces fragments à amplifier linfection VIH. La tâche na pas été simple. La protéine PAP complète navait aucun effet sur linfection VIH in vitro, mais en revanche plusieurs des fragments synthétiques de cette protéine montraient une capacité très significative à augmenter linfection VIH dans des cellules cibles. Néanmoins, cette capacité amplificatrice na pas pu être mise en évidence en utilisant des solutions fraîches de peptides. En effet, après cette désagréable surprise, les auteurs ont observé que soit une incubation des peptides sur la paillasse pendant la nuit soit leur agitation était nécessaire pour retrouver cette activité. Dans ces conditions, les solutions peptidiques présentaient un dépôt et cétait dans ce dépôt que les formes actives se trouvaient.
Lanalyse des dépôts a permis de déterminer que les fragments "actifs" de la protéine PAP, dénommés SEVI par les auteurs (de langlais "amplificateur de linfection virale dérivé du sperme"), avaient formé des fibrilles de type amyloïde. La notion que ce type de fibrilles, qui se déposent caractéristiquement dans des plaques dans le cerveau lors de maladies prioniques ou des démences tels que lAlzheimer, ont une forte capacité damplification de linfection VIH nest pas nouvelle, car elle avait été déjà démontrée par Wojtowicz et ses collaborateurs en 20022. Dans son étude, Wojtowicz et coll. avaient montré que les fibrilles amyloïdes interagissent directement avec les particules virales et favorisent linteraction de ces particules avec les cellules cibles. Cest aussi le cas pour le SEVI. Malheureusement, Münch et coll. ne font pas de progrès dans la compréhension du mécanisme qui mène à cette activité.
En revanche, les auteurs ont exploré si lactivité amplificatrice du SEVI était retrouvée dans des conditions plus physiologiques. Dabord, ils ont démontré que le SEVI était capable daugmenter linfection VIH des cellules mononucléaires sanguines, macrophages primaires et tissus lymphoïdes, ainsi que de favoriser la transmission du virus par les cellules dendritiques. De façon intéressante, leffet amplificateur du SEVI (capacité infectieuse des virus augmentée jusque de 400000 fois) est plus important aux plus faibles concentrations virales similaires à celles liées à la transmission du VIH-1 par voie sexuelle. En outre, les fragments de PAP dans le sperme sont à des concentrations dix fois plus importantes que celles requises par le SEVI pour induire laugmentation de linfection VIH in vitro.
En accord avec ces résultats, les auteurs montrent enfin que le mélange de VIH avec du sperme ou du liquide séminal augmente de façon importante sa capacité infectieuse. Il est à noter quà la différence de ce qui avait été observé avec les peptides synthétiques, la capacité amplificatrice du sperme est observée en labsence dincubation. Cependant, comme pour les fragments synthétisés, les fragments de PAP naturels isolés à partir de différents échantillons de sperme humain étaient capables damplifier linfection du VIH... uniquement sils avaient étés incubés sur la paillasse préalablement à son mélange avec les particules virales. Cette divergence entre le sperme et les prétendus principes actifs soulève certaines questions. Pourquoi, une fois isolé, le SEVI requiert-il une pré-incubation pour exercer sa capacité amplificatrice tandis que cette capacité est instantanée dans le cas du sperme ? Y a-t-il dautres facteurs dans le sperme qui pourraient contribuer à ce processus ? Ou le catalyser ? Ce nest pas exclu. Les temps dincubation sur la paillasse nécessaires pour observer une augmentation de la capacité infectieuse du VIH sont plus courts lorsque le SEVI se rajoute au sperme ou au liquide séminal que lorsque le SEVI est dans un tampon... Les auteurs suggèrent que des petits agrégats ou fibrilles préexistants dans le liquide séminal pourraient être en cause. Néanmoins, cest aspect de larticle est plutôt confus. Malgré les 16 figures supplémentaires (uniquement accessibles en ligne et non publiées dans la revue) qui sont citées dans larticle (et naident pas à sa compréhension), les auteurs nont pas montré si le liquide séminal perd sa capacité amplificatrice après avoir éliminé le SEVI.
Toutefois, les résultats de cet article sont enthousiasmants. La PAP peut être détecté dans le vagin jusquà 24 heures après les rapports sexuels, et dans ce temps la PAP peut se dégrader, facilitant la formation des fragments, agrégats et fibrilles qui constituent le SEVI. Il reste à démontrer la capacité amplificatrice de linfection par le VIH du SEVI dans ce contexte, mais, si cest le cas, bloquer cette activité constituerait une excellente possibilité de diminuer le risque de transmission du virus par la voie sexuelle. Pour en arriver là, il faudra dabord clarifier le rôle physiologique du SEVI ainsi que son mécanisme daction dans laugmentation de la capacité infectieuse du VIH.
Les points clés
Des estimations montrent que la quantité de VIH transmise normalement lors dun acte sexuel serait insuffisante pour produire une infection in vitro.
Le sperme amplifie la capacité infectieuse des particules du VIH.
Des produits de dégradation dune protéine secrétée par la glande prostatique, la PAP, forment des agrégats et des fibrilles amyloïdes qui favorisent linteraction des particules du VIH avec des cellules cibles.
1 - Münch J, Ständker L, Adermann K et al.
"Discovery and optimization of a natural HIV-1 entry inhibitor targeting the gp41 fusion peptide"
Cell, 2007, 129, 2, 263-75
2 - Wojtowicz WM, Farzan M, Joyal JL et al.
"Stimulation of enveloped virus infection by beta-amyloid fibrils"
J Biol Chem, 2002, 277, 38, 35019-24