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n°136 - mars/avril 08

 


VIH – VOYAGE

La consultation du voyage doit devenir une démarche

 

Guillaume Le Loup

Clinique du voyage et des maladies d'importation, Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Tenon (Paris)

 






HIV and Travel
Schuhwerk M.A., Richens J., Zuckerman J.N.
Travel Medicine and Infectious Disease, 2006, 4, 174-183.

La revue de Schuhwerk et coll. fait un point très complet sur les conseils et les prescrip­tions médicamenteuses et vaccinales adaptés aux risques spécifiques des voya­geurs infectés par le VIH. En revanche, elle passe sous silence les questions d'organi­sation et de transmission des messages de prévention, pourtant cruciales afin que cette consultation du voyage ne demeure pas un acte isolé.

 

Comme le rappellent les auteurs de cette revue parue dans Travel Medicine and Infectious Disease, pour le patient infecté par le VIH, un voyage apporte d’indéniables bénéfices psychologiques mais présente des risques multiples. Outre l’exposition aux agents infectieux des pays à hygiène précaire, le voyage peut être une période de comportement à risques (sexuels, consommation d’alcool ou de stupéfiants) et de faible observance des traitements habituels.
Du point de vue du médecin du voyage, les inconnues, encore nombreuses, qui pèsent sur sa prescription s’ajoutent aux incertitudes du comportement futur du patient. Quels sont les risques infectieux spécifiques du patient traité par antirétroviraux (ARV) ? Quelle est la signification clinique des interactions entre anti-paludiques et ARV ? Quels sont les bénéfices et les inconvénients de la prescription des traitements de réserve du paludisme et d’infections présumées bactériennes ? Quelles sont les places respectives de la chimioprophylaxie (CP) et du traitement de réserve chez le migrant voyageant durablement dans son pays ?

Dans ce contexte difficile, la consultation du voyage requiert une expertise et prend une importance particulière. Or plusieurs indices laissent penser qu’elle manque parfois - voire souvent - sa cible. Elle serait faiblement attractive : seulement 10% des voyageurs séropositifs bénéficieraient d’une consultation de médecine du voyage. Son efficacité serait problématique : ainsi, un faible nombre de patients consultants suivent correctement une CP antipaludique.
La consultation du voyageur infecté par le VIH pose donc deux questions, l’une d’ordre médical, l’autre d’ordre économique, organisationnel et pédagogique :
- quels sont les conseils et les prescriptions médicamenteuses et vaccinales adaptés aux risques spécifiques des voyageurs ?
- comment organiser la consultation et transmettre le message de prévention de manière plus efficace ?
La revue de Schuhwerk et coll. apporte des réponses très complètes à la première question. En revanche, elle se contente d’effleurer la seconde.

Quels risques pour le voyageur ?
A l’évidence, les voyages en zones tropicales accroissent l’exposition à de nombreux micro­organismes pathogènes (parasites, agents des mycoses systémiques, virus transmis par les arthropodes et bactéries [salmonelles, mycobactéries...]). Chez le sujet séropositif, l’infection par ces microorganismes est en général plus sévère et plus complexe à traiter. Cependant, depuis la généralisation des trithérapies ARV, trois études seulement se sont penchées sur les problèmes de santé du voyageur infecté par le VIH. L’analyse de la cohorte suisse a porté sur l’augmentation du risque de 8 infections (tuberculose, salmonelle, histoplasmose...) ou syndromes (wasting syndrome, défini comme une perte de poids de plus de 10%, associée à une fièvre ou une diarrhée prolongées)1. Elle montre l’absence d’effet significatif du voyage sur la survenue de l’une de ces maladies ou manifestations, à l’exception du wasting syndrome. Une étude anglaise de 2003, portant sur 34 patients, a montré que 44% d’entre eux déclaraient avoir été malades pendant leur séjour et 47% à leur retour. Les manifestations respiratoires et digestives étaient les plus fréquentes, mais l’étude ne précise pas leur cause. Enfin, une étude canadienne récente montre que 18% des voyageurs ont présenté un problème de santé au cours ou au décours de leur voyage, sans préciser lequel. C’est dire si l’éclairage du problème est insuffisant.

Une opportunité vaccinale
Malgré cette incertitude, la consultation du voyageur représente d’abord une réelle opportunité de vérifier et compléter les vaccinations du patient, alors que cet acte simple de prévention est par ailleurs trop souvent négligé. En particulier sera vérifiée la réalisation des vaccins contre l’hépatite B et contre le pneumocoque, dont un essai récent de l’ANRS, Pneumovac, a souligné l’intérêt et précisé le schéma. D’autres vaccins contre des risques ubiquitaires pourront être réalisés : hépatite A, typhoïde, rougeole (si CD4+ > à 200), grippe. Il est acquis que le vaccin contre la fièvre jaune peut être réalisé chez le patient avec plus de 200 CD4+, même si la question du délai optimal entre la restauration de l’immunité et l’acte vaccinal reste posée. Les autres vaccins spécifiques du voyageur seront proposés en fonction de l’itinéraire et... des moyens financiers du patient.

La quadri-prophylaxie antipaludique
Au cours de la consultation, l’importance de la quadri-prophylaxie antipaludique (répulsifs cutanés, répulsifs vêtements, moustiquaires imprégnées, CP) sera expliquée au patient. Cette prescription doit prendre en compte trois écueils : les ressources financières du patient, les interactions médicamenteuses, l’observance. Pour les pays d’endémie classés en zone 3 de résistance à la chloroquine, la doxycycline semble être le choix de première intention en l’absence de grossesse. Elle est peu coûteuse et n’a pas d’interactions avec les ARV. Mais sa demi-vie impose une prise régulière, sans oubli, jusqu’à quatre semaines après le retour. La Malarone® n’a pas de contre-indication particulière et sa prise, limitée à 7 jours après le retour, favorise l’observance. Le proguanil et l’atovaquone, les deux molécules de ce médicament, présentent cependant des interactions avec les inhibiteurs de protéase (IP), en particulier le ritonavir, et le coût de la Malarone est souvent prohibitif. Le Lariam® a l’avantage d’une prise hebdomadaire, mais des inconvénients multiples : interactions avec les IP, contre-indications neuro-psychiatriques, coût élevé, effets indésirables nuisant à l’observance.

Les conseils de santé
Les conseils généraux à donner aux patients sont rappelés de façon exhaustive par les auteurs. Il s’agit notamment de l’hygiène de l’alimentation et de l’eau (finement analysée dans une autre revue récente2), de la protection solaire (en particulier pour les patients utilisant des médicaments photosensibilisants tels que la doxycycline), de la protection contre les piqûres d’insectes, de la consommation de drogues et d’alcool (qui interagissent avec le traitement du patient et affectent son observance) et de l’utilisation de préservatifs (pour prévenir les infections sexuellement transmissibles et la surinfection par le VIH).
Il est indispensable d’expliquer au patient la gestion de son traitement ARV pendant le voyage. Quelques règles simples doivent être rappelées : disposer d’un mois de traitement supplémentaire par rapport à la durée prévisible du voyage, transporter les médicaments en partie ou en totalité dans le bagage à main, adapter les prises au décalage horaire en respectant l’intervalle entre les prises, conserver les médicaments selon les indications du laboratoire pharmaceutique, transporter pendant le voyage les principales informations médicales du patient.
Enfin, la revue publiée par Schuhwerk analyse avec soin les problèmes administratifs et d’assurance qui devront être pris en compte par le voyageur. En revanche, elle passe sous silence la problématique pourtant essentielle de l’accès à la consultation spécialisée, de l’organisation de la consultation et de la pédagogie de la prévention.

L’accès à la médecine du voyage
L’accès à la consultation spécialisée de médecine du voyage semble limitée pour les patients séropositifs, comme en témoigne l’étude canadienne. Les dimensions de cette faible attractivité mériteraient d’être analysées en profondeur, notamment par des études qualitatives, d’autant plus que les données disponibles pour les patients VIH recoupent celles disponibles pour d’autres porteurs de pathologies chroniques. Dans le contexte français et des voyages des migrants séropositifs, un aspect du problème est le coût des vaccinations et de la quadri-prophylaxie antipaludique. Le coût du traitement de réserve, fondé principalement sur la Malarone, est aussi élevé. Une étude coût-efficacité sur le remboursement de la CP antipaludique sera bientôt publiée, éclairant l’intérêt de ce remboursement.
Le design de la consultation du voyage, telle qu’elle est le plus souvent pratiquée, est-il adapté aux voyageurs porteurs de pathologies complexes ? Une évolution de ce design peut-elle améliorer l’efficacité de la consultation ? Dans les cas difficiles, en particulier pour les patients présentant des problèmes d’observance, une coordination étroite, voire une consultation commune, par le médecin du voyage et le médecin VIH pourraient renforcer son impact. Le maintien d’une possibilité de contact entre le patient et le(s) médecin(s) au cours du voyage, facilitée par l’usage de l’Internet, doit être envisagé, tout comme le lien avec les structures spécialisées VIH dans le pays de destination. Enfin, une consultation de médecine des voyages systématique au retour permettrait de faire un bilan de l’observance du traitement habituel et des traitements spécifiques du voyage, de dépister des pathologies parfois asymptomatiques dont l’impact sur l’infection VIH commence à être mieux connu (helminthiases), mais aussi de discuter de la préparation des voyages ultérieurs.

Quelle pédagogie de prévention ?
En premier lieu se pose la question de la hiérarchisation des risques et des messages de prévention, compte tenu de la multiplicité des informations à transmettre, des difficultés parfois réelles de compréhension, du coût élevé de la prévention. Dans le cas du patient homosexuel infecté par le VIH, le contenu du message de prévention, notamment sur les risques sexuels, doit être repensé, comme le rappelait un éditorial récent de Transcriptases. Pour les migrants, hautement à risques de problèmes de santé au cours du voyage, la question de la pédagogie de la prévention est difficile, faisant intervenir les obstacles de la langue, les conceptions culturelles de la santé, l’expérience passée dans le pays d’origine. Au cours de la consultation, le clinicien est démuni face à ces difficultés. De rares études conduites en France et au Royaume-Uni3 montrent l’intérêt d’une approche multidisciplinaire, intégrant la psychologie. Les futures stratégies de prévention du paludisme chez le voyageur, évoquées dans un éditorial de juillet 2007 de l’American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, ne feront pas l’économie de cette approche, même si elles permettront à l’avenir de simplifier la CP.

Le temps de la recherche et de la réflexion
Le conseil au voyageur infecté par le VIH soulève de multiples questions qui demeurent aujourd’hui sans réponse. Le temps n’est pas à l’automatisme de la prescription ni à l’uniformité du message de prévention mais à la recherche et à la réflexion. Dans le cas du patient VIH, la consultation du voyage ne doit pas être un acte isolé, elle doit devenir une démarche : préparée en amont par des actions collectives de prévention dans les groupes à risque, associant étroitement le médecin du voyage et le médecin VIH, maintenant si nécessaire le lien au cours même du voyage, elle se poursuivra au retour par une consultation systématique d’évaluation des risques et de l’observance. Dans le domaine de la médecine du voyage comme dans d’autres auparavant, la prise en charge innovante du patient infecté par le VIH pourrait ouvrir la voie à une amélioration de la prise en charge d’autres patients porteurs de pathologies complexes et chroniques, à risque de décompensation et d’aggravation au cours de voyages de plus en plus fréquents.



1 - Furrer H, Chan P, Weber R et al.
"Increased risk of wasting syndrome in HIV-infected travellers : prospective multi­center study"
Trans R Soc Trop Med Hyg, 2001, 95, 484-86
2 - Couzigou C, Taburet AM, Voyer C et al.
"Le voyageur infecté par le VIH : risques infectieux et prévention"
Presse Méd, 2008, 37, 490-9
3 - Morgan M, Figueroa-Mutoz JI.
"Barriers to uptake and adherence with malaria prophylaxis by the African community in London, England : focus group study"
Ethn Health., 2005, 10, 355-72