Revue
critique |
n°136 - mars/avril 08
Stéphane Le Vu
INVS
Legal and ethical implications of
opt-out HIV testing |
Impact of counseling in voluntary
counseling and testing programs for persons at risk for or
living with HIV infection |
Editorial : Funding and implementing
routine testing for HIV |
Ensuring access to treatment for HIV
infection |
Implementing HIV screening |
Cost-effectiveness of HIV testing and
treatment in the United States |
Le dépistage en routine n'est pas une chose facile : c'est ce que met en évidence un numéro spécial de la revue Clinical Infectious Diseases consacré aux obstacles légaux, éthiques et économiques posés par la mise en place des recommandations aux Etats-Unis en matière de dépistage du VIH.
Dans un numéro spécial de Clinical Infectious Diseases, trois articles et un éditorial sintéressent aux obstacles légaux, éthiques et économiques posés par la mise en place des recommandations aux Etats-Unis en matière de dépistage du VIH.
Ces recommandations préconisent quun dépistage du VIH soit systématiquement proposé comme partie intégrante des soins en routine, et sans requis de consentement écrit ni de counselling (conseil).
Lenjeu au centre de ces articles peut être résumé par la question suivante : comment rendre effective la nouvelle stratégie de dépistage afin daugmenter la connaissance du statut dans la population des séropositifs, tout en étant sensible à ses conséquences notamment sur les populations vulnérables ?
Certaines critiques suscitées par les recommandations édictées par les CDC fin 2006 en matière de dépistage sont rassemblées dans ce numéro spécial. Elles sont émises par des chercheurs et des acteurs communautaires, dans le champ de la santé publique et de la prévention pour la question du counselling ; dans le champ de léthique pour la question du consentement ; dans le champ du droit pour celle de lorganisation des soins.Obstacles légaux et éthiques
Catherine Hanssens, du Center for HIV Law and Policy, évoque dans son article les obstacles légaux et éthiques. Dans un premier chapitre, elle recense les différents niveaux réglementaires de protection des patients en matière de dépistage, de confidentialité, de droit à linformation et daccès aux soins du VIH. Elle montre que certaines lois et droits constitutionnels peuvent entrer en conflit avec lapplication des recommandations. Le point de départ se situe au niveau des Etats (state laws), mais le droit fédéral, le droit de lexercice professionnel et les principes moraux généraux sont également concernés. Pour une revue plus récente des mêmes obstacles légaux, on peut se reporter à larticle de Leslie Wolf dans PLoS one1.Il est important de noter que les recommandations des CDC, si elles exercent une influence, ne dictent pas directement les politiques des Etats. Ceux-ci conservent lautorité en matière de santé et de santé publique. Et, comme le notent Wolf et coll., les aménagements récents des politiques de dépistage votés par les Etats ne vont généralement pas dans le sens dune routinisation des tests. Cest plutôt un renforcement des mesures de protection des personnes, réaffirmant la place du patient et la nécessité dun counselling adéquat, qui avaient été choisi ces dernières années.
Hanssens poursuit son article avec les considérations éthiques sur lexpression du consentement. Elle soulève le fait que considérer la connaissance du statut séropositif comme une fin en soi du dépistage nest pas éthiquement acceptable. Même si cette connaissance peut apporter le bénéfice (collectif) dune réduction des comportements à risque de transmission, le processus de dépistage doit inclure à part entière la prise en charge des nouveaux séropositifs, et donc garantir un bénéfice individuel certain.Point important du débat autour de ces recommandations, Catherine Hanssens estime que le consentement global ne peut se substituer au consentement éclairé. La différence se situe dans le fait que le consentement éclairé passe par une communication entre patient et médecin qui dépasse les généralités sur les risques et bénéfices de lacte. "Un protocole qui permet dinterpréter le silence du patient comme un consentement ne peut pas revendiquer un consentement éclairé." En reprenant les termes de "lexceptionnalisme" du sida, maladie chronique mortelle impliquant des traitements lourds et entraînant une exclusion sociale et économique, Hanssens considère quelle ne peut pas être comparée aux autres maladies. Et les bénéfices et les risques associés au dépistage peuvent ne pas être apparents aux patients.
Pour inclure le point de vue du soignant, Hanssens évoque la question de la responsabilité. En labsence de preuve de consentement, la responsabilité des soignants peut être mise en jeu par les patients subissant les conséquences dun diagnostic positif en estimant ne pas y avoir été préparés. Et la meilleure façon de prévenir cela est le recueil dun consentement écrit, qui nest pas recommandé par les CDC mais peut sintégrer dans ces recommandations.
Dans sa conclusion, Catherine Hanssens sinterroge sur lintérêt de se passer des outils du counselling adapté et de la preuve de consentement qui ont prouvé leur efficacité, au prix de la mise en jeu de la responsabilité des soignants.Faut-il renoncer au counselling ?
Cest justement de lefficacité du counselling que discutent David Holtgrave, de lécole de santé publique John Hopkins, et Jean McGuire dans ce même numéro. Ils y insistent sur limportance du counselling accompagnant le test et des conséquences de son abandon.
Les auteurs citent les deux études majeures ayant évalué limpact du counselling pour les personnes séronégatives à risque. La première, publiée par Kamb et coll., montrait en 1998 un impact propre (distinct de leffet du test) du counselling sur le port du préservatif durant les 6 mois de suivi. Mais ce résultat positif fut atténué par la parution de la seconde étude, une méta-analyse (Weinhardt, 1999), qui ne montrait pas dimpact du couselling associé au dépistage parmi les séronégatifs. Les CDC avaient tenu à lépoque à moduler ce résultat en précisant que la majorité des études comprises dans la méta-analyse dataient davant leurs recommandations de bonnes pratiques du counselling et du dépistage édictées en 1993. Et que ce résultat de la mesure conjointe des effets du test et du conseil ne permettait pas de conclure à leffet propre du conseil.De la même façon que la question se pose en France, le constat que le counselling associé au test puisse être réalisé imparfaitement dans un certain nombre de sites et, du coup, quil ne présente plus dintérêt amène deux types de réponses. Soit, dans une logique pragmatique de simplification, les CDC décident dabandonner sa pratique. Soit, comme lont choisi certains Etats, il est décidé daugmenter sa qualité pour atteindre les standards recommandés.
Justement, comment augmenter la qualité du counselling, particulièrement dans le contexte où les soignants nont pas de temps supplémentaire à y consacrer ? Les auteurs de larticle proposent plusieurs pistes à explorer, comme la délégation de tâche aux non-soignants, par exemple les acteurs communautaires (lire "Dépistage rapide communautaire : lexpérience américaine" dans ce numéro).
La conclusion des auteurs est que le conseil pré et post-test pour les personnes testées négatives a un effet bénéfique sur les comportements à risque et est peu coûteux. Il doit être amélioré et non pas abandonné. Mais ceci implique de recruter des non-cliniciens pour aider le système de soins à y parvenir.La vision de la communauté
Dans son éditorial, David Munar, de la AIDS Foundation de Chicago, évoque la perte de confidentialité et de counselling adapté due au dépistage de routine. Tout en reconnaissant le besoin dintensifier leffort pour identifier les personnes ayant une infection non diagnostiquée, Munar interroge le choix de la stratégie "opt-out" (consentement implicite, par opposition à "opt in", consentement explicite) pour élargir le dépistage. Il réaffirme limportance du consentement écrit comme garantie contre un dépistage non éclairé ou involontaire.
La réaction de la majorité des responsables communautaires, dont Munar rappelle que leur adhésion est un élément clé dune nouvelle politique de prévention, est le sentiment que les CDC ont privilégié la quantité à la qualité. Il cite en contre-exemple des expériences réussies dun dépistage accompagné de toutes les garanties de confidentialité, de conseil pré-test, de recueil écrit du consentement et de relais vers la prise en charge. Cest le cas dans le contexte des urgences médicales, dans les hôpitaux publics de New York2 et pour le dépistage anténatal en Illinois.
Munar insiste sur lintérêt dun changement de stratégie avec laugmentation des financements de formation des personnels médicaux au dépistage. Enfin, il rejette lidée avancée notamment par les CDC selon laquelle rendre le dépistage du VIH plus routinier et finalement le rapprocher du dépistage dautres maladies puisse diminuer la stigmatisation et la discrimination des personnes atteintes.
Pour mettre en place effectivement cette nouvelle politique, il faut des fonds. Munar rapporte à titre dexemple que certaines structures de lEtat de lIllinois sont dores et déjà amenées à refuser des consultants au dépistage par manque de moyens.Laspect du financement
Larticle de Laura Cheever se penche sur limpact dune politique de dépistage élargi sur les besoins en prise en charge et en traitement des personnes nouvellement diagnostiquées. Lauteur explique que les structures de santé soccupant des personnes atteintes vont devoir sadapter à une demande plus importante si le dépistage de routine devient effectif et produit les résultats attendus. Il sagit donc de déterminer les besoins en moyens humains et financiers pour convenablement prendre en charge le surplus de cas nouvellement diagnostiqués.
Robert Janssen, chef de la division sida des CDC, le note dans un autre article de ce numéro : le remboursement est une barrière à lélargissement de la pratique de dépistage VIH. Les CDC ont négocié avec les assurances privées et les agences publiques pour encourager le remboursement du test VIH pratiqué dans le cadre des recommandations. Le problème demeurera pour les personnes non assurées. Les CDC ont encouragé un financement dans ce cadre, mais il nentre pas dans leur mandat de le planifier directement. Le débat sur les couvertures santé, déjà fertile en cette période délection présidentielle aux Etats-Unis, trouve là un nouveau terrain.
On limagine bien, la démonstration de lapport en termes de coût-efficacité du dépistage en routine (cf. larticle de Walensky et coll. dans le même numéro) ne garantit pas que lintervention et ses conséquences soient immédiatement et convenablement financées. Même si un retour sur investissement est promis, les canaux de financement (remboursement des procédures de soins supplémentaires, prise en charge des nouveaux patients) vont devoir sadapter à ce bouleversement.De nouvelles stratégies à inventer
Les recommandations pour le dépistage dans le cadre des soins aux Etats-Unis représentent une évolution importante dans la lutte contre linfection. Mais leur mise en place effective va nécessiter une réorientation des cliniciens, des institutions de santé... et des assureurs.
On comprend également à la lecture de ces articles que la nouvelle politique de dépistage ne pourra être appliquée sans aménagements de la loi et engagement des pouvoirs publics. En 2007, quatorze Etats américains imposaient un consentement écrit pour un test VIH. Dautres Etats possèdent un cadre de counselling spécialisé VIH en contradiction apparente avec les recommandations des CDC.
Dans le contexte des Etats-Unis, les réglementations qui entourent la pratique du dépistage sont exigeantes en termes de procédure de consentement et de définition du rôle du soignant. Si les mêmes principes visant la protection et linformation des patients sont admis, la réglementation est finalement beaucoup moins stricte en France.
On nassistera donc pas à une mise en place "telle que" de la stratégie proposée par les CDC. Dautant que lon ne parle ici que du dépistage au travers du système de soins. La réorganisation du dépistage doit aussi concerner à lavenir le contexte non médical, notamment l"outreach" (actions menées dans les communautés) où, comme en France, des nouvelles stratégies sont à inventer, notamment avec lapport des test rapides.
Pour les coutumiers des questions de politiques publiques, il doit paraître assez prévisible que lévidence épidémiologique et la volonté dun modèle simple réunies par les CDC ne suffisent pas à établir un système unique. Surtout en matière de sida.
1 - Wolf LE, Donoghoe A, Lane T.
"Implementing routine HIV testing : the role of State law"
PLoS ONE, 2007, 2, 10, e1005
2 - Expérience débutée en 2005 dans la ville de New York. En un an, le nombre de tests a augmenté de 63% et le nombre de nouvelles infections détectées a doublé