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SWAPS nº 6

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Etat des lieux

Substitution et univers carcéral

par Betty Brahmy

La question des traitements de substitution pour les toxicomanes incarcérés qu'il s'agisse de la méthadone ou du Subutex® est très clairement abordée dans les circulaires ministérielles récentes (1996). Toutefois, leur application demeure problématique pour les soignants travaillant en milieucarcéral.

Lorsque l'on aborde ce sujet, il faut d'une part dater ses propos car les mentalités, et les pratiques aussi, évoluent très vite, et d'autre part situer précisément de quel établissement pénitentiaire on parle, car la situation est radicalement différente d'une prison à l'autre, voire d'un médecin à l'autre dans une même prison.

Le cadre légal de la substitution en milieu carcéral date de 1996. La circulaire DGS (Direction Générale de la Santé)/DH (Direction des Hôpitaux) n° 96-239, en date du 3 avril 1996, permet la prescription du Subutex® "essentiellement dans la perspective d'une préparation à la sortie". Ainsi, la poursuite et l'initialisation d'un traitement par le Subutex® deviennent possibles en milieu carcéral. En revanche, en ce qui concerne la méthadone, cette même circulaire rappelle la possibilité de poursuivre un tel traitement (circulaire de mars 1995) mais réaffirme l'interdiction d'effectuer la première prescription, même lorsque l'établissement est doté d'un Centre Spécialisé pour les Soins aux Toxicomanes (CSST ou antennes toxicomanie). La circulaire précise que les traitements de substitution doivent être distribués pour chaque prise par le personnel soignant.

Une autre circulaire (n° 739 DGS/DH/Direction de l'Administration Pénitentiaire du 5 décembre 1996) relative à la lutte contre l'infection par le VIH en milieu pénitentiaire va élargir le cadre légal des traitements de substitution en prison : "un traitement de substitution par la méthadone ou le Subutex® peut être poursuivi ou initié".

Dès lors, il devient possible de proposer un traitement de substitution dans le cadre de la prise en charge des toxicomanes incarcérés et de se rapprocher ainsi des possibilités de prise en charge à l'extérieur. C'était l'un des objectifs de la loi du 18 janvier 1994 concernant les soins aux détenus.

La situation à Fleury-Mérogis

Cependant, on peut dire (en janvier 1998) que la situation est très différente d'un établissement pénitentiaire à l'autre. Il n'existe pas de consensus sur le sujet entre les différents acteurs du système de santé en milieu carcéral : une récente rencontre des psychiatres exerçant au Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) a montré que tous les cas de figure existent : de l'absence totale de traitement de substitution au tout méthadone, en passant par une durée de prescription limitée d'autorité à trois mois ou à la dispensation complètement déresponsabilisée. Ici des critères de sélection draconiens, là signature d'un contrat...

Bref les textes sont en avance sur les pratiques. A Fleury-Mérogis, certains médecins de l'Unité de Consultations et Soins Ambulatoires (UCSA) et certains psychiatres du SMPR ont, avec le soutien actif du comité départemental des traitements de substitution, tenté l'expérience de la prescription large (poursuite des traitements et initialisation) du Subutex® et de la méthadone. Il faut d'emblée préciser que tous les médecins de l'UCSA et tous les psychiatres du SMPR ne sont pas partie prenante de l'expérience du fait de leurs positions personnelles et philosophiques. Cependant l'accord des deux médecins chefs et le soutien du Dr Wluczka, médecin inspecteur de la DDASS de l'Essonne, ont permis de mettre en place ces traitements. Certains problèmes se sont vite fait jour : il a fallu très vite renoncer à la distribution quotidienne par le personnel soignant et demander au comité départemental des traitements de substitution, l'autorisation de distribuer à titre expérimental le Subutex® comme les autres psychotropes en distribution journalière pendant 10 jours, puis bihebdomadaire ensuite.

La distribution de méthadone reste quotidienne et effectuée par le personnel soignant du fait du nombre plus restreint de personnes concernées. En effet, aujourd'hui à Fleury-Mérogis, 223 personnes reçoivent de la méthadone et du Subutex® (40 sous Méthadone, 183 sous Subutex®, 1 sous Skenan®) (1). Par ailleurs, la nécessité de proposer une formation aux personnes concernées - infirmiers, travailleurs sociaux, personnels de surveillance -, animée notamment par un médecin de l'UCSA et un psychiatre du SMPR s'est rapidement imposée.

Procédures

Concrètement, toute personne arrivant de l'extérieur est vue systématiquement par un médecin de l'UCSA. Si elle est sous traitement de substitution, le médecin de l'UCSA vérifie la prescription de méthadone ou de Subutex® en prenant contact par téléphone avec le centre prescripteur ou le médecin de ville. L'envoi d'un fax authentifie les éléments de la prescription (produit et posologie). De manière générale, sauf si le sujet ne le souhaite pas, le traitement est poursuivi. Dans le cas où le médecin prescripteur ne peut être joint, la décision revient au médecin du bâtiment - médecin de l'UCSA ou psychiatre du SMPR - où sera affecté le détenu. Par ailleurs, on essaiera de proposer dans tous les cas une prise en charge psychosociale qui sera effectuée par les membres du centre spécialisé pour les soins aux toxicomanes. Dans certains cas, on pourra initialiser un traitement par le Subutex® ou la méthadone. En ce qui concerne la méthadone, il s'agit dans notre expérience, soit de sujets incarcérés et traités à l'extérieur par du Moscontin® ou du Skenan®, soit de sujets qui, ayant eu un échec avec le Subutex®, souhaitent un cadre serré de prise en charge pour leur traitement de substitution. La décision d'initialiser le Subutex® durant l'incarcération se fait dans deux situations extrêmement différentes. La première correspond aux conséquences du trafic qui existe dans les cours de promenade : un détenu peut acheter du Subutex® moyennant plusieurs paquets de cigarettes. Il devient dépendant à ce produit et fait alors une demande de soins vers le SMPR. Il faut noter qu'il s'agit ici souvent du premier contact du sujet avec une structure de soins et que cette démarche peut s'avérer extrêmement positive même si elle apparaît discutable au plan théorique puisqu'elle revient à cautionner le trafic. Nous avons des nouvelles de l'extérieur de plusieurs patients ayant ainsi débuté leur substitution et qui l'ont poursuivie régulièrement à l'extérieur. La deuxième situation est plus classique : il s'agit de sujets qui souhaitent un traitement de substitution dans le cadre de la préparation à la sortie. Cela peut se faire 3 mois avant la date prévue de la sortie afin de suivre le patient et l'habituer à l'idée d'un suivi régulier à l'extérieur.

Continuité du traitement

Dans tous les cas, on essaie de préparer la sortie : rendez-vous au centre méthadone ou avec le médecin prescripteur à l'extérieur dans le cas où le sujet était déjà sous Subutex® avec lettre adressée au médecin de l'extérieur. Lorsque la méthadone est initialisée, le contact est pris avec un centre méthadone dès la décision de commencer ce traitement. Pour le Subutex®, le SMPR et l'antenne de toxicomanie essaient d'adresser le patient qui a débuté la substitution en prison à un centre afin de mettre en place, au moins dans un premier temps, un suivi un peu cadré. Un grand nombre de nos patients n'ont pas de médecin à l'extérieur. De toute façon, à part ceux qui sont suivis dans un CSST, le problème de la continuité du traitement se pose du fait des difficultés sociales et notamment des problèmes d'hébergement de nos patients.

Pour les patients menacés d'expulsion, si nous décidons avec le patient de poursuivre le traitement, il existe un risque de sevrage brutal lors de l'expulsion puisque les pays concernés n'ont pas ces traitements de substitution.

Globalement, après un an d'expérience à Fleury, il apparaît que la mise en place de ces traitements de substitution pour un grand nombre de patients s'avère positive. Elle permet souvent de mettre en place des entretiens authentiques car le sujet est apaisé par son traitement et de ce fait accessible à autre chose. Cependant, des moyens complémentaires seraient nécessaires pour améliorer la dispensation par du personnel soignant et garder ainsi un contact quotidien entre le patient et les acteurs sanitaires. En outre, une augmentation du temps médical psychiatrique et psychologique, pour améliorer la prise en charge sanitaire et psychologique de ces patients sous substitution, serait la bienvenue.


(1) Chiffres produits par la pharmacie du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, rattachée au centre hospitalier Louise-Michel d'Evry.