Santé
Réduction des Risques
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SWAPS nº 6

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Actualité

Recommandations pour "ici et maintenant"

par Pierre Poloméni

Dans son discours d'introduction, Bernard Kouchner enregistrait les changements intervenus depuis 1992, époque à laquelle "la situation était particulièrement difficile, crispée, sinon bloquée, où les concepts étaient plus des sujets de bataille et d'invectives...".

L'évolution ayant été finalement favorable en 1997, le projet, le "contrat" pour les journées consistait à approfondir trois axes de réflexion : explorer des pistes pour faire évoluer la politique de réduction des risques ; envisager sa traduction pour intégrer les nouveaux défis que sont les nouveaux produits et les nouveaux comportements ; émettre des propositions pour une démarche cohérente de santé publique.

"Tirer des leçons à partir des pratiques" : le message a été bien entendu et les 15 ateliers ont produit près de 80 recommandations.

Plutôt que de faire la liste de l'ensemble des propositions, nous avons retenu 10 thèmes qui sont revenus régulièrement dans plusieurs ateliers et qui nous semblent par ailleurs particulièrement importants.

1 - La quasi-totalité des intervenants a demandé une modification de la loi du 31 décembre 1970. Cette rédéfinition du cadre légal devrait permettre de dépasser le clivage produit licite/produit illicite, de reconsidérer l'usage simple, de réaffirmer que la répression n'est pas un outil de prévention.

2 - Dans plusieurs domaines, tels que la prévention et la recherche, une coordination des moyens s'impose. Une instance nationale de coordination devrait être créée. Il est demandé au "minimum" que les différents ministères ou institutions s'entendent, se concertent pour engager des actions en cohérence avec une vision à moyen terme. Ce rôle est (était) théoriquement dévolu à la DGLT ou à la MILDT, mais leurs résultats ne sont pas à ce jour à la hauteur des attentes.

3 - Les usagers ou ex-toxicomanes doivent être reconnus, en particulier regroupés en associations représentatives, et leur participation à des groupes de travail ou à des instances décisionnelles locales ou nationales fait partie des évolutions nécessaires. On observe à ce niveau l'importance d'une évolution de la législation.

4 - Dans le même ordre d'idées, la question de la formation initiale et continue des professionnels de la santé et du social se pose encore et ce 25 ans après l'apparition de la toxicomanie actuelle. Les médecins, en particulier, sont sous-formés à la réponse aux pathologie liées à l'usage de drogues. Ces formations doivent promouvoir le décloisonnement au sein des différents cursus initiaux par un processus de co-formation. Dans le même temps, la reconnaissance du savoir-faire des acteurs de terrain par un diplôme qualifiant - le statut d'intervenant en toxicomanie n'est pas reconnu - prend du retard.

5 - La prévention reste un sujet très frustrant ! Fondamentale, mais mal définie, improvisée en fonction des convictions des intervenants, elle s'impose comme un des champs prioritaires à renforcer. Elle ne doit pas se limiter au sanitaire, mais s'insérer dans l'éducatif, le social, l'économique et intégrer une dimension européenne. L'élaboration et la coordination des stratégies de prévention nécessitent une instance nationale indépendante.

6 - La prise en compte des "familles" est à l'ordre du jour. Trois aspects peuvent être différenciés : un travail thérapeutique sur la souffrance des parents de toxicomanes, l'investissement des associations (familiales), et enfin les questions liées à la parentalité des usagers de drogues eux-mêmes (créations d'unités mères-enfants par exemple).

7 - Les préoccupations sur la santé des toxicomanes sont à l'origine de la "réduction des risques". Cette politique intègre les traitements de substitution, et devrait assurer la reconnaissance de la toxicomanie comme affection de longue durée et une prise en charge à 100 %. L'accès aux soins implique une diversité des lieux " d'accueil ", même en garde à vue ou en prison, avec des intervenants et des relais à l'hôpital, en ville, etc. Des "services de première ligne" doivent permettre, par exemple, d'améliorer l'accès au matériel d'injection stérile , 24 h sur 24, sur tout le territoire, de façon anonyme et gratuite, en complément des pharmaciens et du dispositif existant.
Par ailleurs, l'infection par le VHC doit réellement être considérée comme une priorité de santé publique.
Enfin, aux frontières de ce domaine, nous retiendrons la prise en compte de la souffrance psychique : la complémentarité des dispositifs existants (urgences psychiatriques, lits de sevrage, équipes de liaison...) est à renforcer.

8 - Plusieurs recommandations abordent la place de la recherche. Une collaboration accrue avec les chercheurs est souhaitée et passerait par le renforcement des interactions acteurs-chercheurs et la mise en place d'une coordination entre les organismes de recherche. La nécessité de développer des programmes à moyen et à long terme est également soulignée.

9 - Les mots "partenariat", "complémentarité", "décloisonnement" reviennent régulièrement dans les recommandations. Une bonne articulation police-justice-santé doit accroître la capacité d'expertise permanente sur l'effet des produits licites et illicites, sur les risques sanitaires et sociaux liés à leur mode d'utilisation. Les collectivités locales sont également concernées par la nécessité de former et de sensibiliser les élus et la population. Dans ce contexte, la place de la répression est encore posée : la répression est un facteur qui aggrave l'exclusion. Il faudrait plutôt travailler sur l'insertion et les droits sociaux, et élargir le dispositif du RMI aux personnes de moins de 25 ans.

10 - Enfin le financement de ces différentes propositions implique de faire de la toxicomanie une priorité financière (priorité de santé publique), et d'engager une planification sur le long terme pour permettre une évolution et une adaptation du dispositif spécialisé. Un changement de cadre légal s'impose pour planifier, développer et généraliser l'évaluation. Il s'agit enfin de mieux coordonner les interventions publiques et de trouver de nouveaux modes de financement pour la médecine ambulatoire.

Ces dix points avec leurs différentes déclinaisons seront à suivre au cours de l'année 1998 : les progrès, les avancées, les stagnations ou les reculs, seront au programme des prochaines rencontres nationales.

L'atelier 12 dont le thème était "innovation" reprend ainsi de façon explicite les questions fondamentales de ces journées :

- Toute innovation en matière de politique de soins et de prévention en toxicomanie est freinée par les effets contreproductifs de la loi de 1970, laquelle mérite d'être révisée ;

- toute innovation en matière de substitution doit reconnaître les différentes fonctions qu'elle occupe pour le sujet : outils thérapeutiques, outils de réduction des risques, outils d'autosupport ;

- toute innovation se devrait de prendre en compte la participation des usagers et ex-usagers aux programmes de soins, de prévention et de réinsertion ;

- les innovations menées dans le cadre de la prise en charge globale du toxicomane doivent tenir compte de ses liens familiaux ;

- toute innovation suppose la nécessité d'une cohérence et d'une coordination des politiques publiques (justice, intérieur, santé) par des directives d'homogénéisation issues du premier ministre.