Santé
Réduction des Risques
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SWAPS nº 5

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Etat des lieux : Dossier Hépatite C

La réduction des risques à l'épreuve du VHC

par Brigitte Reboulot

Si les stratégies de réduction des risques ont montré leur efficacité pour limiter la progression de l'infection à VIH chez les usagers de drogues par voie intraveineuse, beaucoup de questions restent par contre en suspens concernant l'incidence de l'infection par le VHC dans cette population et l'impact des programmes de réduction des risques.
Une équipe australienne a mené une étude parmi les usagers de drogues bénéficiant d'un traitement de substitution dans le cadre des programmes méthadone.

Une enquête de 1994 estimait à moins de 4 % la proportion d'usagers de drogue infectés par le VIH dans l'Etat de Victoria, sur une population de 50000 à 80000 toxicomanes. La politique de réduction des risques était basée sur l'éducation des usagers de drogues, l'échange et la distribution de seringues, la mise à disposition de désinfectant pour les injections. En outre, l'accent avait été mis sur la nécessité de diminuer la fréquence des injections parmi les usagers de drogues ou tout au moins les pratiques de partage.

Une présentation de la situation montre qu'il existe un très large accès au matériel stérile avec 167 points d'échange de seringues et la délivrance par 70 % des 1300 pharmacies de l'Etat. Le délai d'attente pour entrer dans un programme méthadone est inférieur à un jour et plus de 3 200 personnes ont intégré un tel programme entre 1992 et 1994.

L'étude rétrospective (1) menée par Crofts concerne 1741 personnes consultant pour un programme méthadone entre 1991 et 1995. Ces patients ont bénéficié d'une recherche d'anticorps anti-VHC lors de leur première consultation. Les sujets, qui étaient initialement séronégatifs et qui ont eu un test répété, ont été inclus dans la deuxième partie de l'étude.
Une enquête rétrospective a permis d'identifier ces personnes suivant leur âge, la durée d'usage de drogues par voie intraveineuse, l'usage de drogue intraveineuse pendant le traitement par méthadone, les doses de méthadone prescrites et de retrouver parfois une phase symptomatique au moment de la primo-infection par le VHC, c'est-à-dire antérieurement à la séroconversion.

Les détails de l'histoire de ces sujets initialement séronégatifs vis-à-vis du VHC ont permis de comparer les caractéristiques de ceux qui avaient séroconverti et de ceux qui étaient restés négatifs, en essayant d'identifier des facteurs de risques pour le VHC.

Prévalence VHC élevée

Les résultats globaux de l'enquête mettent en évidence que parmi la population étudiée, l'exposition au VHC est beaucoup plus fréquente que pour le VIH avec 68 % des sujets ayant des anticorps anti-VHC. Cette proportion décroît sensiblement de 1991 à 1995, de 71,1 % à 52,3 %.

Au cours de ces cinq ans, 73 sujets séronégatifs au premier test de dépistage ont bénéficié d'un deuxième test. Les proportions sont à peu près identiques dans les trois groupes déterminés :

- sous traitement de méthadone en continu entre les deux tests (25 personnes) ;

- traitement par la méthadone interrompu ou intermittent (26) ;

- jamais traités par la méthadone (22).

Les résultats de cette étude mettent en évidence une haute incidence de l'infection par le VHC parmi les usagers de drogues initialement séronégatifs et retestés, que ceux-ci soient ou non sous méthadone. 26 % des sujets, soit 19 patients, ont séroconverti pendant cette période. Il n'y a pas de différence significative du taux d'incidence cumulée sur cinq ans, entre les trois groupes.

Les résultats comparés entre sujets séroconvertis et non-séroconvertis (toujours VHC-) sont résumés dans le tableau suivant :

séroconvertis

non-séroconvertis
(VHC-)

p

Nombre

19

54

Proportion d'hommes

47,4 %

53,7 %

NS

Age moyen à la 1ère injection

21,7 (4,5)

25,2 (6,6)

0,01

Age moyen lors du 1er test VHC

29,2 (4,3)

32,8 (6,3)

0,09

Durée moyenne UDVI

7,5 (3,2)

7,9 (2,9)

NS

Exposition antérieure au VHB

6 (31,6 %)

5 (9,2 %)

0,03

Transaminases élevées

9 (47,4 %)

5 (9,02 %)

0,001

Méthadone :

- dose moyenne initiale (mg)
- dose moyenne maximum (mg)

33,9 (16,4)
44,5 (18,4)

35,3 (15,5)
49,2 (22,4)

NS
NS

Méthadone entre les 2 tests :

- en continu
- interrompue
- jamais sous méthadone

9
6
4

16
20
18



NS

Usage d'héroïne prouve entre les deux tests

17 (89,5 %)

50 (92,7 %)

NS

Les usagers de drogues par voie intraveineuse qui se sont infectés par le VHC sont plus jeunes, ont commencé leur pratique d'injection plus tôt et ont plus fréquemment été exposés au VHB antérieurement. Ce sont les seules différences significatives entre les deux groupes.
Il est important de noter que l'on retrouve dans les deux groupes, la même proportion très élevée, autour de 90 %, d'usagers qui ont eu des pratiques d'injection. Il est à noter que la deuxième recherche d'anticorps anti-VHC n'a pas été faite systématiquement à tous les sujets initialement séronégatifs de la population étudiée, ce qui introduit probablement un biais. On peut supposer que pour les sujets, pour lesquels le deuxième test n'a pas été jugé utile, la continuité d'une pratique d'injection n'a pas été mise en évidence. L'incidence du VHC est peut-être moins élevée chez les non-injecteurs.

De nombreux patients sous méthadone, dans cette étude, interrompent parfois leur traitement, voire ont un traitement par intermittence, et ont des pratiques d'injection au moins occasionnelles.

La substitution ne suffit pas

Il est évident que l'inclusion dans un programme méthadone ne garantit pas l'arrêt des pratiques d'injection, mais il est important de noter que si l'infection par le VIH reste à des taux très faibles parmi les usagers de drogues en Australie, l'infection par le VHC continue à progresser.

L'enquête ne met pas en évidence, comme pour le VIH, de relation entre un dosage suffisant de méthadone et une diminution de l'incidence du VHC, ce qui laisse supposer que la persistance des pratiques d'injection n'est pas le seul facteur en cause.
Les auteurs soulignent l'importance que pourrait revêtir un counselling vis-à-vis de l'hépatite C pour tous les patients, soit pour se protéger, soit pour minimiser le risque de transmission. En effet, on sait maintenant qu'il existe un risque de transmission du VHC par le partage du matériel, autre que la seringue et l'aiguille. Il est donc important d'informer et d'éduquer les usagers de drogues, comme on a pu le faire pour le VIH, en insistant sur la nécessité de ne partager aucun matériel et d'éviter la contamination des surfaces et des objets par du sang souillé.
Il serait nécessaire de faire une étude prospective avec des tests de dépistage du VHC systématiques et répétés chez les patients inclus dans les programmes méthadone, compte tenu de la prévalence élevée dans cette population et du fait que la primo-infection est le plus souvent asymptomatique. Cela permettrait d'avoir une idée réelle de l'incidence de l'hépatite C dans cette population et d'évaluer le rôle de la substitution dans la réduction des risques vis-à-vis du VHC.

ette étude rétrospective australienne menée de 1991 à 1995, malgré ses imperfections, a le mérite de démontrer dans ce pays, où l'épidémie de VIH ne touche que 4 % des usagers de drogues par voie intraveineuse, grâce aux stratégies de réduction des risques mises en place depuis de nombreuses années, que le problème posé par le VHC est sensiblement différent et ne peut être résolu en appliquant stricto sensu les mêmes méthodes.
Mais il ne faut également pas perdre de vue que les modes de transmission du virus de l'hépatite C sont encore mal connus. En France, par exemple, pour 30 % des quelque 100000 personnes diagnostiquées infectées par le VHC, le mode de transmission n'a pas été mis en évidence et aucun facteur de risque n'a été retrouvé.


(1) N. Crofts, L. Nigro, K. Oman, E. Stevenson, J. Sherman, Methadone maintenance and hepatitis C virus infection among injecting drug users, Addiction , 1997, 92(8), 999-1005.