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SWAPS nº 58

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Prévention et traitement

Les options pharmacologiques actuelles dans la dépendance à la cocaïne

par Laurent Karila et Michel Reynaud, Centre référence cocaïne (Certa), Hôpital universitaire Paul Brousse (Villejuif)

La cocaïne est actuellement la seconde drogue illicite consommée en France, après le cannabis. L’usage de cette substance psychostimulante est en augmentation croissante et touche toutes les classes sociales. Les demandes de soins pour la cocaïne, comme motif principal de consultation, suivent la même trajectoire1. Il n’existe actuellement aucun traitement pharmacologique validé par les autorités compétentes. Les avancées de la recherche en neurobiologie, en neuroimagerie, en clinique et en neuropsychologie ont permis de mieux cerner les mécanismes physiopathologiques de l’addiction à la cocaïne. Différentes pistes thérapeutiques prometteuses ont alors émergé. Les principales cibles thérapeutiques à atteindre dans l’addiction à la cocaïne sont le blocage de l’euphorie, du craving (envie irrésistible de consommer), la gestion des manifestations de sevrage et une abstinence sur une période continue2,3.

Agents glutamatergiques et GABAergiques
Les principaux agents glutamatergiques testés dans des essais cliniques sont la N-Acetylcystéine, le modafinil et le topiramate4. La N-Acétylcysteine est un traitement mucolytique et un antidote des intoxications au paracétamol. Il a été montré une tendance à la réduction du syndrome de sevrage et une réduction du craving en cocaïne à des posologies allant de 1200 à 3600 mg/j. Ayant très peu d’effets secondaires, il s’agit d’une piste pharmacologique intéressante dans la gestion du syndrome de sevrage.

Le modafinil est habituellement prescrit dans la narcolepsie ou dans l’hypersomnie idiopathique. Ses mécanismes neurobiologiques ne sont pas clairement élucidés, mais ses propriétés d’activateur glutamatergique en font un traitement intéressant pour la dépendance à la cocaïne. Les différents essais cliniques ont montré une réduction de l’euphorie, du craving et un maintien de l’abstinence notamment chez les patients dépendants à la cocaïne non dépendants à l’alcool, à une posologie variant de 200 à 400 mg/j. L’étude d’imagerie cérébrale CAIMAN évaluant l’impact du modafinil contre un placebo sur le transporteur de la dopamine, principale cible de la cocaïne, de patients dépendants à cette drogue psychostimulante vient de démarrer en France (Centre référence cocaïne, Hôpital universitaire Paul Brousse en collaboration avec le CEA à Orsay, les services d’addictologie de l’APHP et les Csapa d’Ile-de-France).

Le topiramate, agent glutamatergique et GABAergique, est habituellement utilisé comme anticonvulsivant et en traitement préventif de la migraine. Ce traitement a permis une réduction du craving et le maintien d’abstinence en cocaïne.

Les principaux agents GABAergiques testés sont le baclofène, la tiagabine, la vigabatrine et la gabapentine4. Malgré un potentiel anticraving cocaïne du baclofène entre 20 et 40 mg/j, cette donnée n’a pas été confirmée dans un grand essai clinique contrôlé à la posologie de 60 mg/j. Il serait intéressant de tester ce médicament à plus forte posologie et dans une optique de prévention de rechute. La tiagabine a montré des résultats intéressants à des posologies variant entre 12-24 mg/j chez des patients dépendants à la cocaïne sous substitution opiacée par chlorhydrate de méthadone (réduction de la consommation de la cocaïne, des comportements de recherche de cocaïne).

Distinguer phase de sevrage et prévention de la rechute
La dopamine est une cible neurobiologique importante dans les addictions et notamment dans les troubles liés à l’usage de cocaïne. Ont été évalués le disulfirame et les antipsychotiques de première et seconde génération. Ces derniers ne sont clairement pas indiqués dans la dépendance à la cocaïne. Les résultats avec l’aripiprazole, molécule prometteuse dans la prévention de rechute, ne sont pas encore publiés. Le disulfirame est certainement l’agent pharmacologique qui a bénéficié du plus grand nombre d’essais cliniques contrôlés. Il a démontré son efficacité dans la réduction de la consommation, du craving, de la dysphorie, et dans le maintien de l’abstinence. Même s’il a un effet (non antabuse) sur la cocaïne seulement, il semble plus prudent d’envisager sa prescription, après bilan préthérapeutique, chez les patients dépendants à la cocaïne et à l’alcool4.

Selon la même approche que dans l’addiction aux opiacés ou au tabac, différents traitements comme le méthylphénidate LP et la d-amphétamine ont été testés à visée substitutive. Le modafinil pourrait être également envisagé sous cet angle4. Enfin, un vaccin anticocaïne est en cours d’étude chez l’homme en Amérique du Nord et en Espagne5.

Pour conclure, il est important de distinguer dans la prise en charge des patients dépendants à la cocaïne la phase de sevrage de celle de la prévention de rechute. Comme nous l’avons vu, il existe différentes approches thérapeutiques médicamenteuses qu’il faut intégrer dans un programme thérapeutique structuré. La plateforme idéale de ces pharmacothérapies est la psychothérapie qu’il faut adapter à chaque phase du traitement de ces patients (par exemple, entretiens motivationnels pendant le sevrage et thérapie cognitive et comportementale pendant la phase de prévention de rechute)6.



1 Haas C, Karila L, Lowenstein W, "Cocaine and crack addiction: a growing public health problem", Bull Acad Natl Med, 2009, 193, 4, 947-63
2 Karila L et al. "Cocaine: from recreational use to dependence", Rev Prat, 2009, 59, 6, 821-5
3 Karila L, Reynaud M, "Therapeutic approaches to cocaine addiction", Rev Prat, 2009, 59, 6, 830-4
4 Karila L, et al., "New treatments for cocaine dependence: a focused review", Int J Neuropsychopharmacol, 2008, 11, 3, 425-38
5 Moreno AY, Janda KD, "Immunopharmacotherapy: vaccination strategies as a treatment for drug abuse and dependence", Pharmacol Biochem Behav, 2009, 92, 2, 199-205
6 Vocci FJ, Montoya ID, "Psychological treatments for stimulant misuse, comparing and contrasting those for amphetamine dependence and those for cocaine dependence", Curr Opin Psychiatry, 2009, 22, 3, 263-8