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SWAPS nº 54

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Dossier : Les dents

Délabrement dentaire et usage de drogues vus par les études scientifiques

par Vincent Pachabézian

De nombreuses études montrent que l'usage régulier des drogues peut provoquer des dégradations ­dentaires extensives, allant de la simple carie à la destruction totale des dents. D'importantes études randomisées seraient nécessaires pour comprendre ce ­phénomène. Mais le sujet est complexe vu le statut illégal des drogues et la variété des paramètres à considérer : teneur en principe actif, produits de coupage, associations diverses, modes de vie et d'alimentation, hygiène - sans parler des multiples facteurs individuels. Certains points semblent néanmoins faire consensus. Le Dr Vincent Pachabézian livre ici une petite synthèse des connaissances dans ce domaine, soutenue par sa propre expérience clinique.

Le rôle fondamental de la salive
La salive a une fonction d’hydrolyse (digestion) des glucides, un rôle tampon dans l’équilibre acide/base et du pH ainsi qu’une action antibactérienne. La modification de l’acidité salivaire a tendance à entraîner la formation de tartre qui va se transformer en plaque dentaire favorisant les caries et affections parodontales telles que gingivites, parodontites...

De nombreux produits psychoactifs tels les opiacés (y compris les médicaments opiacés de substitution), amphétamines, cannabis, médicaments psychotropes, mais également le tabac et l’alcool peuvent contribuer à diminuer le débit de salive (hyposialie), provoquant une sécheresse de la bouche (xérostomie). L’existence d’une l’hépatite C peut favoriser cette hyposialie (surtout en cas de cryoglobulinémie ou de lésions hépatiques sévères).

En cas d’usage plus ou moins prolongé, ce phénomène peut altérer toutes les parties de la bouche (langue, gencives, glandes salivaires...) et entraîne une prolifération bactérienne qui va développer la plaque dentaire à partir du tartre qui se dépose sur les dents. En l’absence de soins, la zone qui entoure la dent en dessous du collet (le parodonte ou périodonte) va être attaquée, entraînant, en l’absence de soins, des caries puis la chute des dents.

Les facteurs d’aggravation
Les conditions de vie de certains usagers de drogues s’accompagnent souvent d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire par absence de brossage. L’usage de certains stimulants (comme le crack) peut entraîner une trituration intempestive et maniaque des gencives entraînant une lacération gingivale. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui ont une alimentation très déséquilibrée, essentiellement tournée vers les sucres rapides. Le recours à des opiacés, de par leur effet anti-douleur, mais aussi les antalgiques et anti-inflammatoires classiques, ainsi que la prise d’antibiotiques pour parer aux risques d’infection peut amener un retard (parfois très dommageable) dans la mise en route des soins dentaires. Une baisse des défenses générales de l’immunité (VIH, hépatites auto-immunes et autres affections) favorise aussi la charge bactérienne, encore aggravée chez les fumeurs. Il existe par ailleurs un facteur héréditaire de fragilité buccodentaire.

Les pathologies les plus fréquentes
Les caries Elles sont dues à une déminéralisation progressive des tissus durs de la dent qui gagne peu à peu la face externe (vestibulaire) et la jonction entre la dent et la gencive des dents, (le collet). Non soignées elles risquent d’entraîner une fracture des dents. Elles sont en général causées par la plaque dentaire, la consommation de sucres, un déficit d’hygiène, la négligence des soins, des facteurs individuels, le temps... paramètres qui se conjuguent avec les conséquences de l’usage ou de l’abus des produits psychotropes, qui peuvent aggraver le problème.

Les mycoses buccales La modification de la sécrétion salivaire favorise le développement de mycoses (perlèche, muguet...).

L’halitose Les altérations dentaires, foyers infectieux, perturbations de l’écologie buccale peuvent générer une mauvaise haleine ; souvent majorée par l’alcool, le tabac, les psychotropes et les troubles digestifs.

Les parodontites ou altérations du parodonte Le développement de la plaque dentaire (dont la couleur peut varier du blanc au noir) au niveau du collet va provoquer une inflammation des gencives, qui deviennent rouges, gonflées, et entraîner des saignements (gingivite). Non traitée, l’inflammation devient un foyer infectieux et évolue vers la parodontite, qui va progressivement détruire l’os alvéolaire. La dent se déchausse et devient mobile, créant un espace appelé poche parodontale (sa gravité peut être testée à l’aide d’une sonde). Cliniquement, la mobilité des dents atteintes augmente alors jusqu’à leur chute, parfois spontanée.

Crispations des mâchoires, serrage des dents ou bruxisme Le fait de serrer fortement les dents, fréquent lors de la consommation de stimulants et de certains hallucinogènes, peut entraîner douleurs musculaires et "courbatures" de la mâchoire. Chez certains, cela entraîne des grincements de dents avec déplacements de la mâchoire, essentiellement nocturne et inconscient. En cas d’usage fréquent, le bruxisme a tendance à provoquer une usure progressive des dents, voire des fractures.

Lésions muqueuses type fissuration, érosion Les lésions décolorées des muqueuses (leucoplasies) sont principalement liées à l’usage du tabac et de l’alcool, mais aussi du cannabis et des fumées aspirées très chaudes.
Toute lésion persistante ou grave de la bouche nécessite impérativement une exploration plus poussée et doit faire discuter une éventuelle néoplasie des voies aérodigestives supérieures.

Les souffrances dentaires et les problèmes de mastication Quand l’inflammation s’est installée, les muqueuses sont épaissies, rouges et lissées, provoquant des douleurs de la langue (glossodynie) et de l’ensemble de la bouche (stomatodynie) rendant la mastication très douloureuse, voire impossible. L’alimentation devient de plus en plus difficile et peut devenir un véritable calvaire. Le chaud, le froid, l’acide, le sucré, la simple pression vont déclencher des rages de dents aiguës (pulpites).
Par ailleurs, la douleur et l’hypersensibilité permanente ainsi que la prise de psychotropes modifient la réaction aux anesthésiants locaux, nécessitant une adaptation des dosages qu’il convient parfois d’augmenter.

Retentissement général Le délabrement dentaire va ainsi entraîner une perte de l’esthétique et une difficulté d’élocution. Toute tentative de réinsertion sociale passe par une réhabilitation de l’appareil dentaire (prothèses, bridges, soins divers...). La souffrance dentaire et la détérioration de l’image de soi peuvent accentuer les troubles psychiatriques et anxio-dépressifs.

Bibliographie

Madinier I, Colloque "L’impact des addictions sur la santé bucco-dentaire", Paris 5 mai 2007

Hubert-Grossin K, George Y, Laboux O, "Toxicomanie illicite : manifestations bucco-dentaires et prise en charge odontologiques", Rev Odont Stomal, 2003, 32, 119-34

Madinier I, Harrosch J, Dugourd M et al., "État de santé bucco-dentaire des toxicomanes suivis au CHU de Nice", Presse Med, 2003, 32, 919-23

Cohen F, Le Courrier des Addictions, 1999, 1, 32-37

Nathwani NS, Gallagher JE, "Methadone : dental risks and preventive action", Dent Update, 2008, 35(8), 542-4, 547-8

Colloque "Addictologie et santé bucco-dentaire", 5 octobre 2007 (textes disponibles sur le site de l’Union française pour la santé bucco-dentaire : www.ufsbd.fr)

Quelques conseils pratiques

/ L’accompagnement d’un usager de drogues ou d’un ancien usager de drogues (en traitement de substitution ou non) nécessite une démarche volontaire, systématique et préparée.

/ La planification des rendez-vous auprès d’un praticien impliqué dans la démarche de soin des UD devra être organisée avec le patient avec la mise en évidence des objectifs. Ce praticien devra envisager des séances courtes et bien rassurer et soulager le patient sur sa crainte de la douleur.

/ Une attention particulière doit être portée sur les personnes en traitement de substitution aux opiacés quand elles sont amenées à diminuer, voire à arrêter, leurs traitements, laissant émerger des pulpites douloureuses.

/ L’hygiène bucco-dentaire doit être rigoureuse, avec brossage des dents de qualité, utilisation du fil dentaire de soie, brossettes interdentaires ; il est recommandé se faire aider des conseils d’un dentiste.

/ Il ne faudra pas omettre la discussion sur le tabac et sur l’impact d’une décision d’arrêter de fumer, quand un patient décide de prendre en charge sa bouche et se rend chez son dentiste.