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SWAPS nº 53

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Compte rendu

La RdR vue de Montréal

par Mustapha Benslimane

Le premier colloque international francophone sur le traitement de la dépendance aux opioïdes, organisé par le Centre de recherche et d'aide pour narcomanes (Cran) et ses partenaires français, suisses et belges, s'est tenu fin octobre 2008 à Montréal. Son objectif : échanger sur les similitudes et les différences observables dans les expériences cliniques et comparer les approches développées dans les différents pays représentés. Swaps en a extrait la "substantifique moelle".

En Belgique, en France, en Suisse, au Québec, les pratiques cliniques en matière de traitement de la dépendance aux opiacés présentent des similitudes, mais aussi de nombreuses différences. La palette des médications disponibles s’élargit, inégalement selon les pays, et renvoie à la question du traitement le mieux adapté à la situation de chaque patient.

Avec près de 350 participants, ce premier colloque international francophone sur le traitement de la dépendance aux opioïdes a connu un incontestable succès de participation. Quelque 35 conférenciers se sont succédés au cours de ces trois journées pour faire le point sur les pratiques en matière de traitement de la dépendance aux opiacés. Voici un florilège non exhaustif de quelques interventions.

Les premiers résultats de Naomi
Le projet Naomi (North American Opiate Medication Initiative) est un essai clinique multicentrique randomisé et contrôlé comparant un programme de prescription d’opiacés injectables au traitement avec méthadone - une première en Amérique du Nord. Ce projet de recherche cible une population dépendante des opiacés depuis au moins 5 ans et utilisatrice d’héroïne par voie intraveineuse. Les sujets doivent être âgés d’au moins 25 ans et avoir fait deux tentatives de traitement, dont un à la méthadone.

Entre mars 2005 et mars 2007, 251 personnes ont été sélectionnées, 192 à Vancouver et 59 à Montréal. 140 (55%) étant randomisés dans le groupe qui recevait un opiacé injectable et 111 (45%) dans le groupe contrôle recevant de la méthadone. Dans le groupe qui recevait un opiacé injectable, soit 55% du total des patients, 45% ont reçu de la diacétylmorphine (héroïne) par voie intraveineuse et 10% de l’hydromorphone (un autre dérivé semi-synthétique de la morphine) aussi par voie intraveineuse. L’hydromorphone était prescrite en double insu, ni les investigateurs, ni les patients ne savaient qui recevait ce traitement.

Chaque personne pouvait faire 3 injections par jour avec une dose maximale de 1000 mg par jour. La méthadone en appoint était proposée aux patients pour sauter une séance d’injection en cas d’activité professionnelle ou lors des week-ends.

Pour évaluer les résultats, les critères retenus sont le taux de rétention dans le projet et le nombre de jours de consommation d’héroïne et d’autres opiacés illicites et le nombre de jours d’injections “illicites” dans le mois précédent. L’échelle utilisée est l’ASI (addiction severity index).

Après douze mois de traitement, les résultats indiquent que la rétention dans le programme est de 87,8% pour les sujets qui ont reçu un traitement injectable versus 54,1% pour les sujets qui ont reçu de la méthadone. De la même façon, le nombre de sujets qui ont amélioré leur condition dans le domaine de la consommation de drogues est beaucoup plus important dans le groupe expérimental (67%) que dans le groupe contrôle (47,7%).

La dose moyenne utilisée a été de 164 mg/injection et 383,7 mg/jour.

Enfin, autre élément intéressant (et peut-être une piste à exploiter ?), aucun des sujets n’a pu faire la différence entre la diacétylmorphine et l’hydromorphone.

Prise en charge du syndrome d’hyperactivité
Nos amis suisses de la Fondation Phénix ont présenté un modèle de prise en charge intégrée du syndrome d’hyperactivité avec déficit de l’attention (Thada) et de la dépendance à l’héroïne dans un programme de substitution à la méthadone.

Ils précisent que le syndrome se présente de nos jours comme une entité clinique qui ne serait pas la simple apparition simultanée d’un trouble psychiatrique et d’un trouble lié à l’abus de substances, mais bien d’un nouveau syndrome, résultat de leur interaction, qui va se différencier des troubles psychiatriques classiques dans son diagnostic et dans son pronostic, nécessitant une prise en charge spécifique.

Selon différentes études, entre 10 et 20% de la population qui abuse de substances présente des antécédents de Thada. (Goodwin et al. 1995 ; Horton et al. 1987 ; Carroll et Rousanville, 1993).

Les programmes de substitution de la Fondation Phénix révèlent une forte proportion de patients opérant un transfert de consommation de l’héroïne vers la cocaïne. Leurs approches cliniques ont mis en évidence chez certains patients traités avec la méthadone, une comorbidité primaire (troubles de l’attention, de la concentration, anxiété et impulsivité) déterminante dans les conduites d’automédication.

Dans leur pratique clinique, ils préconisent une prise en charge conjointe et intégrée de la synergie clinique entre le Thada et l’abus de substances : traitement de la comorbidité psychiatrique et des dépendances associées, intégrant la psychopharmacologie et les approches psychothérapeutiques qui visent entre autres à préparer le patient à l’intégration d’un nouvel état psychique induit par le traitement du syndrome.

Comment terminer un traitement aux agonistes opiacés ?
Le docteur Marc Reisinger est venu de Belgique expliquer comment terminer un traitement aux agonistes opiacés. Il estime que l’émergence des traitements agonistes étant relativement récente en Europe, le manque de recul entraîne encore une tendance à prescrire des doses aussi basses que possible, le moins longtemps possible. Il souligne l’irrationalité de cette démarche, la dépendance aux opiacés étant une affection chronique récidivante qui nécessite un traitement à durée indéterminée, à dose adéquate, comme toute affection chronique.

Il explique les résistances face à la durée des traitements par le fait que les praticiens restent anxieux à l’idée de s’engager dans des traitements longs, car ils n’ont pas encore assez de recul pour être certains que ces traitements sont bénéfiques et qu’ils pourront un jour les achever. Les patients eux-mêmes ressentent l’anxiété des soignants qui s’ajoute à la culpabilisation familiale et sociale de rester dépendants. Par conséquent, ils réclament souvent des traitements rapides à doses aussi faibles que possible.

Marc Reisinger estime que le premier objectif de ces traitements est de guérir "l’obsession de la fin du traitement" chez les soignants, les patients et dans le milieu environnant. Cela suppose une démarche introspective des soignants : en quoi l’altérité les dérange, pourquoi veulent-ils la faire disparaître aussi rapidement que possible ? Il faut également aider les patients à prendre conscience de leur culpabilité, de leur impatience, du déni de leurs difficultés et déceler les pressions familiales et sociales.

Le deuxième objectif est d’atteindre la dose adéquate qui correspond à celle faisant disparaître quatre symptômes : suppression du manque et arrêt de l’usage quotidien d’héroïne, arrêt de l’abus d’alcool et de tranquillisants, disparition des envies spontanées et des rêves d’héroïne et enfin résistance aux tentations.

Une fois ces quatre symptômes disparus, la diminution du dosage peut alors commencer, à raison de 1 mg par mois.

Dépendance à l’alcool et substitution à la méthadone
Les docteurs Thomas Rathelot et David Knobel, de la consultation de la Navigation, à Genève, ont présenté une réflexion autour de la prise en compte de la dépendance à l’alcool dans les protocoles de substitution et la façon dont ils ont modifié leur approche, passant d’une évaluation de l’état du patient basée sur l’éthylomètre à un protocole basé sur l’évaluation clinique globale.

Selon plusieurs études, 13 à 31% des patients sous méthadone sont dépendants à l’alcool. De plus, il existe plusieurs niveaux d’interactions entre l’alcool et la méthadone tels que la diminution de l’absorption, l’augmentation des liaisons aux protéines plasmatiques, la modification du métabolisme et des sites de liaison. Ce sont les effets conjugués de ces interactions qui présentent des risques et notamment des risques de surdosage.

Jusqu’en 2006, l’évaluation de l’aptitude d’un patient à recevoir son traitement était basée sur l’éthylomètre, l’alcoolisation n’était pas évaluée comme un signe de pathologie. Le protocole s’appuyait sur une limite fixe à partir de laquelle le traitement de méthadone ne pouvait être administré qu’après une évaluation médicale. Il fallait ne pas favoriser le surdosage en donnant de la méthadone à un patient alcoolisé. Cela conduisait souvent à des modifications ou des suspensions d’administration du traitement et ce contrat était appliqué à tout patient sous substitution. Tout patient avec une dépendance à l’alcool qui se présentait régulièrement dans le centre avec une alcoolémie supérieure au seuil prédéterminé ne pouvait bénéficier d’une substitution stable Cette attitude générait de la violence de la part des patients et de la peur de la part de l’équipe, qui avait tendance à se rigidifier.

Ces difficultés ont conduit à la mise en place d’un nouveau protocole centré sur l’état clinique du patient, en particulier son état de vigilance. L’état de vigilance est un indicateur plus fiable de la capacité d’un patient à supporter la prise d’un médicament dépresseur du système nerveux central comme la méthadone. Il s’agit de mesurer un score d’intoxication selon la vigilance et la motricité, d’après le score de Glasgow qui est une échelle d’évaluation de l’état de conscience. Si le score est inférieur ou égal à 3, le patient reçoit son traitement habituel, s’il est de 4 où de 5, le patient reçoit une demi-dose avec une réévaluation dans les 12 heures, enfin si le score est égal à 6, c’est le transfert aux urgences de l’hôpital.

Les patients présentant une dépendance alcoolique chronique peuvent ainsi bénéficier d’une prise en charge de leur addiction aux opiacés sans risquer de voir leur traitement de méthadone interrompu en fonction d’un seul examen paraclinique ne présentant que peu de signification physiologique, parce que ne tenant pas compte du phénomène de tolérance.

Le changement de protocole a permis de prendre en soins des patients présentant une dépendance aux opiacés et à l’alcool, en remettant la relation et les besoins des patients au centre de la de prise en charge. La dépendance à l’alcool, initialement source de conflit et d’exclusion, devient un élément intégré dans la problématique clinique globale du patient.

La question du vieillissement des patients
Le docteur Barbara Broers, de Genève, a proposé de discuter des défis que pose le vieillissement des personnes dépendantes aux opiacés bénéficiant d’un traitement de substitution.

Les mesures de réduction des risques et l’introduction des traitements de substitution ont fait diminuer la surmortalité liée aux surdoses et à l’infection au VIH chez les usagers de substances psychoactives. En Suisse, l’âge moyen des patients à l’entrée en traitement de substitution par la diacétylmorphine était de 31 ans en 1995, 33 en 2000, 35 en 2006. Pour l’ensemble des patients dans ces programmes la moyenne d’âge était de 39 ans en 2006, avec 17% d’entre eux âgés de plus de 45 ans (âge maximum 69 ans).

A part l’augmentation de l’âge, d’autres facteurs influencent la santé des patients comme l’augmentation des poly-consommations et des prescriptions des médicaments psychiatriques et les conséquences à long terme des hépatites chroniques.

A Genève, les motifs d’hospitalisation des usagers à l’hôpital général ont été répertoriés depuis 1993, et de façon intermittente les motifs de consultations médicales ambulatoires dans les programmes de substitution aux opiacés.

Le constat est qu’à l’hôpital, il y a une nette baisse des hospitalisations pour des problèmes liés au VIH, une fluctuation de celles pour des abcès - principalement grâce aux mesures de réduction des risques - et une augmentation des hospitalisations pour cirrhose hépatique, cancers (notamment hépatique, pulmonaire et ORL), interactions médicamenteuses et fractures pathologiques dues à l’inactivité physique et à l’usage chronique d’opiacés.

En ambulatoire, il y a une baisse des consultations pour des problèmes infectieux aigus, mais une augmentation des consultations pour des interactions médicamenteuses (allongement de l’intervalle QT), des complications des insuffisances hépatiques et des maladies liées à une nutrition inadéquate, à une inactivité physique et au tabagisme (diabète de type 2, hypertension, bronchite chronique et COPD, ostéoporose précoce).

Le Dr Broers considère qu’on est de plus en plus concerné par des "problèmes de gériatrie avant l’âge de 50 ans". Elle propose les défis suivants : Les professionnels du domaine des addictions doivent être conscients de ces changements démographiques et des problèmes médicaux que posent les patients en traitement de substitution. Ils doivent inclure dans leurs prises en charge les comportements de santé habituels comme la nutrition, l’activité physique, l’usage de tabac et d’alcool.

Pour les patients, le défi consiste à gérer plusieurs maladies chroniques à la fois, la complexité des traitements et plusieurs changements de comportements de vie.

Enfin, au niveau communautaire et sociétal, les défis sont de mettre en place des structures de soins adéquates et de maintenir une volonté politique et sociale de soutien aux populations défavorisées.