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SWAPS nº 4

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Drogues et interactions médicamenteuses

Antiprotéases et substitution : premiers résultats de la clinique liberté

par P. Beauverie et J. Bouchez

Le dossier que consacre Swaps aux interactions entre produits de substitution et drogues illustre la complexité de l'évaluation médicale des usages de drogues.
Avant tout, parce que l'on connaît peu ou pas, la composition réelle des produits qui circulent. Et parce que l'on connaît tout aussi mal les différentes interactions entre produits de substitution, inhibiteurs de protéase et autres molécules anti-VIH, interféron alpha (encas d'hépatite C) et drogues faute d'études cliniques spécifiques.
Grâce à une meilleure prise en charge globale de la santé des usagers, développée ici et là, le voile commence à se lever sur certaines de ces interactions qui menacent à la fois le rapport aux drogues et les effets attendus des médicaments. Comme l'illustre parfaitement l'expérience préliminaire relatée par Patrick Beauverie. D'autres questions se posent encore dès lors qu'il existe à la fois de nouvelles pratiques addictives.
C'est dire si Swaps se devra de revenir sur ce dossier.

Deux spécialités ont été étudiées et sont indiquées dans le traitement substitutif de la dépendance majeure aux opiacés.
Il s'agit de la méthadone (méthadone AP/HP®) et de la buprénorphine (Subutex®).
Toutes deux permettent une substitution par voie orale ou sublingualeen administration unique quotidienne. Au cours des traitements de substitution des dépendances majeures aux opiacés, la possibilité d'engager des traitements pour les pathologies associées s'est révélée efficace.

Depuis dix ans, le nombre de spécialités disponibles dans le traitement du sida s'est accru. Mais beaucoup reste en cours d'étude et rares sont celles qui ont connu un développement " classique " en raison de l'urgence face à l'épidémie de sida et au risque vital. Les démarches de soins centrées sur les nouveaux antirétroviraux font l'objet de recommandations provisoires et donc prudentes. Ainsi le rapport bénéfice/risque engage-t-il les prescripteurs. Le risque encouru par les patients, en cas d'association traitements de substitution-antiprotéases, amène à discuter les éventuelles interactions pharmacocinétiques et à présenter les premiers suivis de patients.

Mécanisme de l'interaction suspectée

L'instauration d'un antirétroviral antiprotéase (indinavir, ritonavir, saquinavir) peut, en théorie, induire une inhibition d'enzymes impliquées dans le métabolisme des médicaments. Chaque antiprotéase possède vraisemblablement un pouvoir et une cinétique d'inhibition qui lui est propre : mais quelle que soit l'antiprotéase, cette action a pour cible un cytochrome : le CYP3A. Toute inhibition mesurée in vitro ne se traduit pas nécessairement par une réalité clinique. Ainsi, le blocage d'une voie métabolique peut entraîner une réponse physiologique, soit par augmentation du nombre de cibles, soit par recrutement d'autres voies métaboliques. Ces mécanismes de compensation nécessitent ou non un temps de réponse.

Le métabolisme de la méthadone a été intensivement exploré, et sa principale voie catabolique engage le CYP3A. Dès lors, l'association méthadone-antiprotéase pourrait provoquer une élévation progressive ou rapide des concentrations plasmatiques de méthadone. A l'inverse, le métabolisme de la buprénorphine et sa pharmacodynamie (effet " plafond " lors de l'augmentation des posologies) limitent les risques d'interaction médicamenteuse et assurent une sécurité d'emploi sur le plan clinique.

A contrario, en dehors de l'influence de la méthadone sur la biodisponibilité de l'AZT (majoration d'intensité extrêmement variable selon les sujets), on ne connaît pas d'interaction théorique ou pratique de la méthadone ou de la buprénorphine sur la cinétique des molécules antirétrovirales.

Marge thérapeutique et risques cliniques liés à la méthadone

Toute modification de la posologie autour de la dose de maintien ou toute fluctuation importante des concentrations plasmatiques de la méthadone peut avoir une incidence clinique différente selon l'intensité et le sens de la variation. La diminution de moins de 20 % de la dose administrée ou de la concentration plasmatique de méthadone, entraîne un manque subjectif léger. A l'inverse, toute augmentation de dose ou de concentration plasmatique de méthadone entraîne des effets différents selon les modalités de cette élévation. Nous pouvons distinguer les effets résultant d'une augmentation progressive accompagnée d'un phénomène de tolérance partielle, des effets induits par une augmentation rapide (cf Tableau n° 1).

SIGNES D'UNE ELEVATION DES CONCENTRATIONS SANGUINES DE MÉTHADONE

ELEVATION RAPIDE

  • Sédation
  • Manque de concentration
  • Myosis
  • Dépression respiratoire
  • Hypotension artérielle
  • Apnée
  • Bradycardie
  • œdème pulmonaire
  • Coma

ELEVATION PROGRESSIVE

  • Symptômes subjectifs signant des troubles du rythme cardiaque
  • Allongement de l'intervalle QT à l'ECG
  • Elévation précoce de la cortisolémie
  • Hypothyroïdie biologique précoce
  • Diminution tardive de la LH associée à une augmentation tardive de la prolactinémie

Quel suivi thérapeutique ?

Compte tenu de la marge thérapeutique de la buprénorphine, de son métabolisme et du mécanisme impliqué dans l'interaction, le risque clinique d'interaction buprénorphine-antiprotéase semble réduit et permet un suivi clinique simple : suivis clinique et biologique habituels pour ce type de pathologie et observation de la compliance aux traitements substitutifs et anti-infectieux.

En ce qui concerne le suivi des patients en traitement de substitution par la méthadone et recevant un traitement antiprotéase, la clinique Liberté a mis au point un suivi thérapeutique standardisé en complément des suivis habituels des traitements substitutifs et anti-infectieux. Ce suivi comprend un volet médical (recherche des effets adverses ou inattendus, demande d'examens complémentaires pharmacologiques), un volet infirmier (suivi au quotidien pendant les sept premiers jours et conseils thérapeutiques) et un volet pharmacologique (mesures du ratio métabolique et des concentrations plasmatiques résiduelles de la méthadone avant l'instauration du traitement antiprotéase, sept jours et trente jours après).

Résultats

Aujourd'hui, sept patients en traitement substitutif de maintien par la méthadone bénéficient de plus de trois mois de traitement antiprotéase. Ces patients suivaient au préalable une mono ou une bi-thérapie initiée après stabilisation sous méthadone. Chaque patient prend quotidiennement entre quatre et dix médicaments différents (cf tableau n°2). Le suivi standardisé a permis de s'entretenir avec les patients des traitements en cours, d'accéder au niveau de compliance et de discuter de la difficulté de respecter les rythmes des prises ou l'apport hydrique minimum. Tous ont ressenti positivement cette approche complémentaire. Pour chaque patient, la trithérapie a permis une diminution de la charge virale et une restauration sur le plan clinique. Aucun incident lié à l'association méthadone-antiprotéase (Crixivan® et Invirase®) n'a été observé d'un point de vue clinique. Et les résultats toxicologiques permettent de continuer les traitements sans modification de la posologie journalière de la méthadone.

Perspectives

Les résultats de notre suivi restent parcellaires. D'une part, il n'a pas été initié de traitement antirétroviral chez des patients en traitement de substitution par la buprénorphine ; d'autre part, par prudence, il n'a pas été initié de traitement antirétroviral par Norvir® chez des patients traités par la méthadone. Ce suivi ne nous permet pas de conclure, il nous impose de rester vigilant. Ainsi pour les prochains patients traités par antiprotéases, le suivi restera tout aussi rigoureux. Seule la pharmacovigilance ou une étude clinique appropriée apporterait la réponse quant à l'existence ou non d'un risque d'interaction clinique entre la méthadone et chaque antiprotéase. Mais nos observations permettent de relever la possibilité d'engager des traitement antirétroviraux complexes, avec des molécules dont le rapport bénéfice/risque engage les prescripteurs et ce dans une population autrefois éloignée de toute considération sanitaire. Nous retrouvons, là encore, l'intérêt de répondre à la demande de soins des sujets dépendants aux opiacés, par un traitement substitutif de maintien.

Traitements des patients suivis :

Patients

Médicaments associés

1er*

Rétrovir Epivir Crixivan Bactrim Triflucan

2e**

HIVID Epivir Crixivan Aldactone Lasilix

3e

Rétrovir Epivir Crixivan Triflucan

4e

Retrovir Epivir Invirase Pentacarinat

5e***

HIVID Epivir Crixivan Bactrim Dépakine

6e

Retrovir HIVID Invirase Bactrim Triflucan

7e

Retrovir HIVID Crixivan

tableau 1

*Traitement antiprotéase arrêté à M+4 pour aggravation de l'insuffisance hépatique d'origine virale.

**Confusion à J+7 sans élévation des concentrations plasmatiques de la méthadone - recrudescence d'une dépendance aux benzodiazépines et à l'alcool ou séquelles de toxoplasmose cérébrale ?

***Antécedent d'anémie aiguë attribuée à la zidovudine.