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SWAPS nº 4

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Conférence de Nashville

Tout savoir sur la cocaïne

par Florence Arnold-Richez et Didier Touzeau

Cela fait quelques années qu'aux Etats-Unis les "affaires " d'héroïnomanie semblent gérées comme si elles appartenaient déjà au passé. Certes, les traitements de substitution, la persistance de l'usage intraveineux et la consommation d'alcool, de cocaïne et de benzodiazépines restent des sujets de préoccupation et de recherches. Moins, cependant, que les usages de cannabis, de cocaïne, de méthamphétamines et même de nicotine.
Faut-il voir dans cette évolution singulièrement marquée lors de la 59e Conférence sur la dépendance à la drogue, qui s'est tenue à Nashville du 14 au 19 juin dernier, la préfiguration de nouvelles problématiques pour la scène européenne de la drogue dans les années à venir?

Il faut dire que les 200 000 consommateurs d'héroïne nord-américains pèsent de peu de poids face aux 1,5 million d'amateurs " abusifs " de cocaïne et de crack, aux 800 000 accros aux amphétamines et aux 10 millions d'adeptes de la marijuana. A cette liste, les autorités américaines ajoutent, dans le même tableau, les 11 millions de buveurs excessifs, les 61 millions de dépendants de la nicotine, et même les 130 millions d'adeptes de la caféine !

La dopamine et les gènes

Alcool, marijuana, héroïne, cocaïne, nicotine, on ne cesse d'étudier, outre-Atlantique, les mécanismes neurobiologiques intimes par lesquels ces différentes substances captent, bloquent la recapture des neuromédiateurs, et en particulier de celui qui pousse à la recherche compulsive de plaisir : la dopamine. La cocaïne bloque le processus normal de recapture de la dopamine par le neurone qui l'a émise. Celle-ci reste donc piégée dans la jonction entre le neurone émetteur et le neurone récepteur ou synapse, ce qui se solde par une intense activité dopaminergique (mais il n'est pas sûr non plus que la cocaïne agisse uniquement sur la recapture de la dopamine).

Une étude publiée durant l'hiver 1996 dans le Volume 15 du Journal of addictive Diseases, et discutée à Nashville, fait un parallèle entre les effets de la cocaïne consommée " en défonce " (binging ) et ceux d'une autre drogue stimulante, le méthylphénidate. Il en ressort que, à la différence de ce dernier, la cocaïne est bien plus vite éliminée des régions du cerveau dans lesquelles elle s'accumule, ce qui laisse place à un renouvellement fréquent de prises de doses. Une autre étude - parmi tant d'autres - fait le point sur les proximités d'appétences entre une substance et une autre : tel ce travail surprenant (1), réalisé à Baltimore, qui compare le plaisir éprouvé " en aveugle " par des cocaïnomanes, lorsqu'ils recoivent des injections de nicotine et de caféine, et où il apparaît que c'est la nicotine qui leur procure le maximum de plaisir - ou de déplaisir - et les " rapproche " le plus de la coke !

Toutefois, face à ces mécanismes, qui poussent les consommateurs de cocaïne, et de crack en particulier, à en consommer toujours plus, jusqu'à épuisement de leurs forces physiques et pécunières, ou à ceux qui conduisent à un usage compulsif de la " fumette ", nous ne sommes vraisemblablement pas tous égaux. De nombreuses études pilotées et financées par le National Institute on Drug Abuse (le NIDA ) cherchent à repérer les gènes de susceptibilité à la dépendance aux substances addictives. Ainsi, les docteurs Michael Lyons, Ming Tsuang et leurs collègues de l'Ecole de Médecine de Harvard à Boston, ont comparé les réactions de plaisir et de déplaisir de paires de vrais (352) et de faux jumeaux (255) après inhalation de marijuana. Les vrais jumeaux ressentent strictement le même plaisir, alors que les réponses des faux jumeaux sont très souvent discordantes.
" On n'a pas pu identifier le ou les gènes spécifiques impliqués dans cette réaction individuelle à la marijuana, mais on peut faire à coup sûr l'hypothèse que ce sont ceux qui régissent, dans le cerveau, le système de récompense ", commentait le docteur Lyons. Reste encore à démontrer la validité de cette hypothèse sur laquelle de nombreux chercheurs se sont cassé les dents depuis nombre d'années, l'histoire personnelle de l'individu et son contexte immédiat jouant un rôle certainement prépondérant dans l'attirance plus ou moins forte qu'il peut avoir pour l'une ou l'autre, ou pour toutes les drogues. De nombreux travaux sur l'histoire traumatique des toxicomanes (abus sexuels, viols plus ou moins jeunes, hyperactivité avec déficit de l'attention, histoire familiale...), exposés aussi à Nashville, allaient plutôt dans ce dernier sens.

De nombreuses études, tant épidémiologiques que comportementales et biologiques, cherchent, dans la même direction, à cerner l'origine objective, cérébrale, du craving, ce désir irrépressible, violent, incoercible, de reprendre de l'héroïne ou de la cocaïne, qui ressurgit, parfois de longues semaines après que l'usager " abusif ", comme on le qualifie outre-atlantique, eut été, en apparence, tiré d'affaire. On sait que les cocaïnomanes, et en particulier ceux qui ont consommé du crack, réagissent très vite à des stimuli environnementaux très variés, que les soignants doivent repérer au cours des prises en charge, avec beaucoup de soin et de patience, pour que le malade ne se retrouve pas, sans défense, trop vite en contact avec eux, et ne replonge. Une musique, un quartier, le tunnel où il rencontrait son dealer, une vidéo dans laquelle on suggère une consommation de cocaïne, une canette en alu bidouillée pour servir de pipe qui traine dans le caniveau... et le craving saisit avec violence le patient.
Des chercheurs de l'Université de Yale, financés par le NIDA, ont identifié, grâce à une caméra à positrons (Positron Emission Tomography ou PET), les principales régions du cerveau qui provoquent le craving des cocaïnomanes, : ce sont celles qui intègrent les aspects cognitifs et émotionnels de la mémoire et qui réagissent immédiatement à ces stimuli en relation avec la prise de drogue, par une augmentation du métabolisme du glucose, alors qu'elles ne marquent aucune réaction à des stimuli neutres (objets d'art ou d'artisanat, outils...) : il s'agit essentiellement du cortex préfrontal dorsolatéral, de l'amygdale et du cervelet. Reste à trouver le remède capable d'inhiber, sans dommage, ce mécanisme...

La cocaïne, sujet décidément inépuisable, n'a pas encore livré au grand jour tous ses secrets. Et les études de comportement sont là pour donner aux pouvoirs publics et aux soignants des pistes pour mieux comprendre ses modes d'action et prendre plus efficacement en charge ceux qui en " abusent ". Ainsi, comme pour l'excès de nicotine et parfois d'alcool, la prise réitérée de cocaïne, à l'instar de celle d'amphétamines, semble parfois un moteur puissant de contrôle du poids. Un travail mené mené par Carolyn Cochrane, Robert Malcolm et Timothy Brewerton, de la faculté de médecine de la Caroline du Sud, a montré que 49 % des 37 femmes cocaïnomanes participant à l'étude et 13 % des 40 hommes, âgés de 18 à 48 ans, recouraient à cette drogue comme anorexigène, pour maigrir. C'est un point important à prendre en considération pour faciliter les cures de sevrage.

Sur le front de la substitution : dosages en hausse

Plusieurs communications ont été consacrées, une fois de plus, et à la recherche d'une substance " vaccinale " contre la cocaïne (susceptible de provoquer la production d'anticorps), et d'un médicament de substitution, et à la gestion des posologies tant de la buprénorphine, que de la méthadone ou du LAAM. Ainsi, une équipe (2) du service de psychiatrie générale de Vienne, en Autriche, a comparé l'efficacité des traitements à la buprénorphine et à la méthadone, selon les dosages délivrés. Les résultats du traitement de 60 héroïnomanes autrichiens ont ainsi été évalués en 1996, pendant 6 mois. Les dosages moyens de buprénorphine sublinguale étaient de 7,43 mg, ceux de méthadone de 75 mg. Et les résultats des traitements, contrôlés par les analyses d'urine, ont été équivalents pour les deux médicaments de substitution ainsi dosés. En revanche, une autre étude (3), australienne celle-là, a conclu que des dosages quotidiens de 8 mg de buprénorphine (en solution alcoolique) donnaient de moins bons résultats que ceux de 80 mg de méthadone. Or, les solutions alcooliques ont une biodisponibilité double de celle des comprimés (4). Quelle est la juste posologie ? Celle fixée selon le principe de la plus grande flexibilité, semble-t-il, c'est-à-dire qui tient compte du métabolisme individuel et bien sûr de la dimension psychopathologique spécifique de chacun.


(1) Bridgette E. Garrett, Roland R.Griffiths, Behavioral Pharmacology Research Unit, John Hopkins, University School of Medicine.

(2) Harald Eder, Gabriele Fischer, Reinhold Jagsch, Shirt Schindler, Wolfgang Gomabs et Lukas Pezawas

(3) Richard P.Mattick, Dorothy A.Oliphant de Sydney, Département de Pharmacologie de l'Université d'Adelaïde.

(4) Kotra Ajir, Walter Ling et Nora Chiang du West Los Angeles VA Medical Center et du Nida, Rockville.