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SWAPS nº 4

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VIIIe Conférence

Une drogue dure : le sport

par Frédéric Nordmann

Mens sana in corpore sano... Citius, altius, fortius ...
Frédéric Nordmann, sportif de haut niveau, nous raconte son histoire (1). Comme lui, dix-neuf anciens sportifs "intensifs " sont venus au centre Monte-Cristo. Pour abandonner l'héroïne. Pour comprendre pourquoi ils en avaient eu tant besoin.
Pas seulement sous l'éclairage du doping et des produits à interdire et à traquer, mais aussi sous l'angle du sport comme première drogue dure. Nager, courir, taper,gagner, recommencer, s'améliorer, repousser les autres et les limites. À tout prix. Y compris celui de ne plus penser. Sauf au but à atteindre, à l'idéal... mais à quel idéal ?

Le médecin de famille a trouvé qu'il n'était pas très développé pour ses sept ans et que la coordination des mouvements n'était pas idéale.
" Il devrait aller à la piscine ", une médecine douce.
Il a commencé le jeudi et le samedi.
Une nouvelle bande de copains, un entraineur, les couleurs d'un club et des parents qui viennent de temps en temps pour le voir.

À neuf ans, premières compétitions, premières défaites et premières victoires. Petites coupes, petites médailles.
Le chef entraîneur le remarque.

Il change de groupe à onze ans, et s'entraîne quatre fois par semaine.
Esprit de club, petite structure, la compétition même à l'entraînement.

A treize ans, l'échéance olympique est quatre ans plus tard. L'entraîneur va voir les parents : " Il peut essayer, j'ai envie d'essayer, laissez-le moi ".
L'entraînement devient quotidien. En rentrant le soir à la maison, il fait ses devoirs dans sa tête car il est trop fatigué.
Les élus sont peu nombreux. Une dizaine. Ils se voient six heures par jour. Ils mangent, dorment, vivent ensemble. Ils nagent aussi : quatre heures par jour.
Il n'a plus de problèmes de coordination.

Ses parents ? Où sont-ils ?
L'entraîneur, lui, est là, il lui dit quand dormir, quoi manger, comment vivre.
Il s'occupe de lui seul, deux après-midi par semaine.

Championnats régionaux, nationaux, sélections, compétitions, victoires. Il évolue dans un milieu fermé, un univers bien clos. Répétition des gestes à l'infini. Il va plus loin dans l'effort, plaisir de se faire mal, pour être devant le voisin - ça fait encore plus mal d'être derrière - mais il s'accroche.

Hors de l'eau, discipline, codes et rituels du groupe. Initiations des nouveaux, transmission du message par les anciens, et la fête rituelle, un soir par an où tout est permis. Le dernier soir des championnats, l'hôtel, le train, la ville sont mis à sac. Les nageurs sont passés. La sélection aussi. Il n'en fait pas partie.

" En fait, tu es fait pour les études, lui dit l'entraîneur, vas-y fonce. "

Il sort la tête de l'eau, découvre un monde qu'il ne connaît pas.
La vie aussi, à l'air libre. Libre aussi de ses parents qu'il a peu vus ces quatre dernières années. Échec, rêve brisé, corps et tête usés, épuisés même.

Pour une critique du sport

Voilà en résumé une histoire banale, que l'on retrouve dans les enquêtes et les entretiens réalisés au centre Monte-Cristo de septembre 1995 à février 1997 auprès des vingt patients, sportifs de haut niveau fréquentant le centre. Doit-on dire que pour ces patients, le sport a été la première drogue dure de leur existence ?

À l'arrêt de l'activité sportive, comment compenser l'arrêt de sécrétion des endorphines (2) ?

Le sport, par nature, fabrique plus de perdants que de gagnants et personne ne prend en charge le désarroi physique et moral de ces personnes jeunes.

Le héros du village planétaire est désormais le sportif de haut niveau, un Dieu du stade qui court plus vite, lance plus loin et saute plus haut, repoussant toujours les limites humaines. L'athlète est soumis à des enjeux sportifs, mais aussi financiers, nationaux et médiatiques.

Dans un tel contexte, pour les perdants ou les has-been du système, la toxicomanie se situe dans la continuité de conduites où l'on ne vit pas, ou l'on ne ressent rien seul, où pour se supporter il faut être sous l'effet de tel ou tel produit.

" L'important, c'est de gagner. " Mais à quel prix ? Et comme toute bonne prévention a ses limites, la seule issue possible serait de pouvoir fournir les soins aux moments critiques de la vie d'un sportif. On l'aura compris, il n'est pas de notre ressort ici d'envisager le volet répressif d'un dopage qui, de toute façon, n'est trop souvent qu'un alibi commode que l'on oppose à la saine pratique sportive, ce qui permet d'éviter de remettre en cause une activité humaine où la compétition mortifère entre individus est érigée en système.

Le sport a ses propres lois et surtout celle du silence. Mais cela est une autre histoire.


(1) Ce témoignage a fait l'objet d'une communication dans le cadre de la session Implications sociales et sanitaires de l'usage des drogues et du sport.

(2) Les endorphines sont des substances sécrétées par le corps qui activent des récepteurs spécifiques. Ces substances sont stimulées par l'effort intensif et ont un effet semblable à celui de la morphine.