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SWAPS nº 35

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Actualité

EGUS : Les États généraux des usagers de la substitution

par Marie Jauffret-Roustide

Swaps revient sur les premiers États généraux de la substitution, annoncés dans la précédente livraison. Les notions d'alliance thérapeutique et de plaisir étaient au premier plan. Une expérience novatrice, ou l'émergence d'un concept d'expertise du vécu, auquel on souhaite longue vie.

Un témoignage collectif sur la substitution
Les 5 et 6 juin 2004 se sont tenus à Paris les premiers États généraux des usagers de la substitution (EGUS), une manifestation organisée conjointement par Asud et Act Up. L’idée des EGUS a germé suite à une forte inquiétude de ces deux associations à l’égard des acquis de la politique de réduction des risques. Dans un contexte de "lois Sarkozy", de parution du rapport du Sénat Drogue : l’autre cancer, et de publication de l’étude de l’Assurance maladie sur le mésusage du Subutex® (voir Swaps n°34), il leur est alors apparu indispensable de faire entendre un autre discours sur les traitements de substitution aux opiacés (TSO), celui des usagers-substitués le plus directement concernés. En effet, pour qu’un traitement soit suivi et efficace, il est important de prendre en considération le point de vue des patients sur la thérapeutique qui leur est proposée. Et pourtant, dans le cas des TSO, l’évaluation que les usagers de drogues font de ces traitements est souvent écartée au profit de celle des professionnels considérée comme la plus légitime. Ainsi, comme un préalable à la Conférence de consensus sur les TSO des 23 et 24 juin 2004 à Lyon (voir page l'article "Substitution aux opiacés en France : état des lieux" dans ce numéro), ces EGUS ont été l’occasion de faire un bilan, 10 ans après la circulaire Veil-Douste-Blazy autorisant la diffusion des traitements de substitution à destination des usagers de drogues. Aujourd’hui, 85000 usagers sont en traitement Subutex®, 15000 sous méthadone et 3000 sous sulfate de morphine1.
Ce samedi 5 juin, seules quelques dizaines de personnes s’étaient déplacées et avaient pris place dans l’amphithéâtre de l’Hôpital européen Georges Pompidou. La majorité de l’assemblée était constituée de militants d’Asud et d’Act Up, de quelques usagers "anonymes" de Paris et de province, et de militants de la première heure de la réduction des risques. Même si le public n’était pas très nombreux, le souvenir du collectif Limiter La Casse était présent, et cela faisait bien longtemps qu’un tel élan ne s’était pas produit autour de la réduction des risques. A plusieurs reprises, l’émotion était palpable lors de l’évocation de militants de la réduction des risques absents, de proches disparus, et des usagers "morts de la guerre à la drogue". Les orateurs ont d’ailleurs utilisé à plusieurs reprises les termes de "survivant" et de "rescapé" pour se qualifier avant de prendre la parole.
Le programme des EGUS posait clairement les enjeux et les termes du débat, et la journée était scandée par trois thèmes : "comme les autres", "expertises" et "plaisirs". En effet, il s’agissait ici de sortir les usagers de l’idiosyncrasie à laquelle ils sont habituellement rattachés et de les présenter plutôt comme des citoyens "comme les autres", pouvant faire valoir une forme d’"expertise" profane, et revendiquant le droit au "plaisir" autour des TSO.
En introduction aux débats, les résultats de la réduction des risques ont été rappelés à plusieurs reprises : diminution importante du nombre d’overdoses mortelles, baisse du nombre des interpellations liées à l’héroïne, et diminution de la part des usagers de drogues par voie intraveineuse dans les nouveaux cas de sida (3% en 2004). Ces résultats ont été présentés par les différents orateurs comme le signe de la réussite collective des TSO, et comme une preuve que, quand des moyens leur sont donnés, les usagers sont capables de se les approprier pour modifier leurs comportements et prendre en considération leur santé. "L’usager de drogues est le premier acteur de sa santé" a affirmé un militant d’Asud-Marseille. A titre individuel, les témoignages des usagers qui se succédaient à la tribune ont voulu démontrer l’impact positif qu’un TSO pouvait avoir sur une trajectoire personnelle, à condition qu’un certain nombre de conditions favorables soient réunies.

L’alliance thérapeutique
L’alliance thérapeutique entre l’usager et le médecin-prescripteur a été au centre des débats, présentée comme la condition nécessaire pour la réussite d’un TSO. L’expérience du sida et la figure du patient réformateur introduite par Daniel Defert ont été invoquées afin que soit inversée la relation déséquilibrée introduite habituellement par le médecin à l’encontre du patient. A l’instar du malade du sida, l’usager de drogues est dépositaire d’un savoir qui peut être qualifié d’expertise de sa propre dépendance, de son rapport aux produits et peut donc être à même de conseiller le médecin sur le traitement de substitution qui lui est destiné. La relation médecin-patient peut, toutefois, être compliquée dans la mesure où leurs perceptions respectives du TSO peuvent être diversifiées, traitement pour l’un, produit pour l’autre ; de même que les objectifs attribués au TSO, sevrage ou réduction des risques. "Je savais ce que je voulais", "je connaissais le traitement qu’il me fallait" ou encore "mon médecin s’est trompé" sont des phrases prononcées fréquemment lors de ces EGUS, qui mettent en évidence la conviction des usagers d’en savoir souvent plus que leur médecin sur la dépendance et le traitement de substitution le plus adapté. Au sein du consensus sur l’expertise des usagers, des débats contradictoires ont pu émerger autour des représentations de l’usager-substitué, entre une vision hédoniste d’usager citoyen libre de ses choix pour Asud, et un usager patient qui s’accepte comme malade de la dépendance pour Carpe Diem, une association de patients substitués de La Rochelle. Malgré ces divergences, tous étaient d’accord pour conclure qu’il fallait réintroduire la parole des usagers pour impulser un véritable dialogue avec le médecin, autour du choix de la molécule, de la galénique, du cadre et des objectifs du TSO. A la fin des EGUS, des revendications ont été émises autour de l’alternance thérapeutique, offrant à l’usager la possibilité de changer son traitement s’il le désire; et sur l’assouplissement des contraintes liées à la dispensation des traitements.

Le paradoxe du plaisir
La question du plaisir a également occupé une place importante lors de cette journée. Un usager ayant eu la possibilité d’être substitué au laudanum a expliqué que, paradoxalement, le plaisir lié au TSO lui avait permis de parvenir progressivement à se sevrer : "j’ai retrouvé du plaisir et j’ai pu faire le deuil du plaisir et non pas celui de la non-douleur". Cette expérience personnelle a, toutefois, été perçue comme exceptionnelle dans la mesure où de nombreux usagers présents ont déploré que la dimension du plaisir ne soit jamais prise en compte dans la substitution : "pour le médecin, soigner c’est soulager une douleur, ce n’est pas donner du plaisir". La recherche du plaisir habituellement présentée chez le toxicomane comme en lien avec l’absence de limites et la démesure a été étonnamment associée à la contrainte, une contrainte non pas subie, mais choisie par l’usager : "Pour garder du plaisir avec les TSO, l’usager est capable de se contraindre, mais c’est l’auto-contrainte qui marche". Un militant d’Asud a justifié certaines pratiques de détournements du Subutex® par la déception des usagers due à l’absence d’effet psychoactif lors de la prise du TSO par voie orale. C’est ainsi qu’a été introduite à la fin des EGUS une revendication autour de l’élargissement de la palette des TSO vers les sulfates de morphine, les programmes d’héroïne, les produits injectables.

Des inquiétudes pour l’avenir de la substitution
Au-delà de l’enthousiasme suscité par ces différents thèmes, un sentiment d’inquiétude à l’égard d’un possible retour en arrière vis-à-vis des acquis de la réduction des risques s’est immiscé dans les débats. La médiatisation de phénomènes marginaux de détournement des TSO a été dénoncée. La focalisation sur ces mésusages des TSO a été d’autant plus mal vécue par les militants présents que ces informations utilisées contre les usagers sont généralement recueillies auprès d’eux. Autre préoccupation, la situation des usagers de drogues en province a été décrite comme particulièrement difficile. Les médecins isolés semblent hésiter à s’engager dans des prescriptions de TSO, souvent par méconnaissance des traitements et par peur des usagers. Le choix proposé aux usagers tend souvent à se restreindre au Subutex®, qui n’est pourtant pas toujours le traitement adapté. D’autres revendications émises lors de ces EGUS tournaient autour de l’amélioration de l’accès aux TSO en province, ainsi qu’en prison, afin que tous les usagers aient accès à ces traitements de manière identique ; et de l’assouplissement des règles de prescription facilitant le travail des médecins généralistes.
Ainsi, ces EGUS ont offert un témoignage collectif des usagers sur les TSO, et ils ont également permis de faire remonter des revendications adressées directement aux organisateurs de la Conférence de consensus. Alain Morel, l’organisateur de cette Conférence de consensus, était présent tout au long des débats et a fait part de son souci que les revendications des usagers puissent être entendues. Certains participants ont exprimé leur déception vis-à-vis de la faible représentation des usagers lors de cette Conférence. Des places ont bien été offertes ; elles sont occupées par des représentants d’Asud au sein du comité d’organisation et pour la session finale sur les conclusions de la Conférence, par une représentante d’Act Up au sein du jury, et par Aides sur le volet de la Conférence consacré à l’évaluation que les usagers font des TSO. Une représentation des usagers significative pour les organisateurs, insuffisante selon les militants présents. Au-delà de ce débat sur la place des usagers dans le débat public sur les drogues, lors de ces EGUS, la parole a largement été prise par les usagers. Des témoignages variés se sont succédés et ont donné à voir la diversité des discours, des trajectoires et des attentes des usagers de drogues vis-à-vis des traitements de substitution.



1 - chiffres InVS-Siamois