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SWAPS nº 35

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Prévention

Quand les parents arrêtent de fumer...

par Patrick Dupont

Que les enfants soient plus souvent fumeurs quand les parents fument, c'est là désormais une idée assez répandue. Mais alors, quand les parents cessent de fumer, cela encourage-t-il plus les enfants à ne pas fumer ? Selon les résultats d'une étude parue en 2003 concernant les effets, sur les enfants, de l'arrêt du tabagisme parental, les enfants des ex-fumeurs sont à moindre risque de fumer que les enfants de fumeurs, mais à plus grand risque que les enfants de non-fumeurs.

Bricker JB, Leroux BG, Peterson AV, Kealey KA,
Sarason IG, Andersen MR, Marek PM
Nine-year prospective relationship between parental
smoking cessation and children’s daily smoking
Addiction, 2003, 98, 585-93

De nombreuses études avaient déjà tenté d’identifier une relation entre le tabagisme parental et celui des adolescents, pour confirmer l’idée désormais admise par tous : les enfants ont plus de probabilité de fumer quand les parents fument eux-mêmes que lorsqu’ils ne fument pas1. Mais pour la première fois, une équipe américaine a étudié l’effet de l’arrêt du tabagisme parental sur l’initiation tabagique de leurs enfants. Les auteurs ont pour cela comparé le statut tabagique des parents quand les enfants étaient âgés de 8/9 ans et le statut tabagique des mêmes enfants à l’âge de 17/18 ans.
3962 enfants participant déjà à l’étude "Hutchinson Smoking Prevention Project"2 ont été inclus. 3012 questionnaires ont été recueillis (95%). Les participants étaient pour 48,7% des filles et pour 91% des Caucasiens.
Les parents ont déclaré leur statut tabagique quand leur enfant avait 9 ans, selon quatre catégories possibles : fumeur occasionnel, fumeur régulier, ex-fumeur, non-fumeur de toujours. Les fumeurs occasionnels et réguliers ont été regroupés dans le groupe fumeurs.
Le statut tabagique était demandé aux adolescents 9 ans après, soit vers l’âge de 17/18 ans et vérifié par un dosage de cotinine salivaire.
Les comparaisons ont porté sur l’influence du statut de fumeur d’un ou des deux parents sur le tabagisme de leur(s) enfant(s) à 17/18 ans : parents non-fumeurs, ex-fumeurs (ayant arrêté de fumer avant l’âge de 9 ans de leurs enfants) et fumeurs. Les résultats sont présentés ci-dessous.

Pourcentage d’adolescents
fumeurs à 17/18 ans selon
le statut tabagique des deux
parents 9 ans auparavant

père fumeur

ex-fumeur

non-fumeur

mère fumeuse
ex-fumeuse
non-fumeuse

37%
32%
27%

28%
26%
19%

31%
21%
14%

37% des adolescents fument quand leurs deux parents étaient fumeurs. Ils ne sont que 26% si les deux parents avaient arrêté de fumer et 14% si les deux parents ne fumaient pas quand les enfants avaient 9 ans. Il n’y a pas de différence significative selon le sexe des parents quand l’un des deux n’a jamais fumé et que l’autre a arrêté (19%-21%) ou bien que l’un n’a jamais fumé et que l’autre fume (27%-31%), alors que d’autres études internationales montrent que le tabagisme maternel a plus d’influence que le tabagisme paternel sur le tabagisme des enfants3.
Cette étude suggère (par le calcul de régression logistique) que l’arrêt du tabagisme d’un des parents avant que l’enfant atteigne 8/9 ans réduit de 25% le risque qu’il soit fumeur à l’âge de 18 ans. Cette réduction est de 39% si les deux parents s’arrêtent.
Dans la discussion, les auteurs précisent qu’il n’y a pas de différence d’effets selon la période de l’arrêt du tabagisme parental : avant la naissance des enfants, dans leurs deux premières années de vie et dans la période de 3 à 9 ans, mais ne publient pas ces chiffres.
Quelques questions restent cependant posées. La période d’arrêt du tabagisme parental (avant l’âge de 9 ans) choisie pour cette étude est-elle plus performante qu’une période allant jusqu’à 10 ou 11 ans par exemple ? L’étude ne fait pas référence aux différences éventuelles des groupes adolescents fumeurs et adolescents non-fumeurs quant à d’autres items comme : l’influence sociale, le tabagisme des pairs, des amis...
Enfin, la question d’une éventuelle sensibilité génétique à devenir fumeur reste encore à étudier.
En conclusion, l’étude de Bricker et coll. ouvre une porte intéressante et pratique, même si elle reste à vérifier et à compléter. Après avoir défini comme groupes particulièrement à motiver pour une démarche d’arrêt les femmes enceintes, les personnes atteintes de pathologies cardio-vasculaires (entre autres), l’aide à l’arrêt du tabac doit cibler aussi les futurs et les jeunes parents, pour eux-mêmes et pour la prévention du tabagisme de leurs enfants... avant que ces derniers n’atteignent un âge critique où les actions de prévention à leur égard deviennent peu efficaces. Vers l’âge de 9 ans ?



1- Choquet M, Ledoux S
Attentes et comportements des adolescents
Inserm, 1998
Guilbert P, et al.
Baromètre Santé 2000
CFES, 2001
2- Peterson AV, Jr., Kealey KA, Mann SL, Merk PM, Sarason IG
"Hutchinson Smoking Prevention Project : long-term randomized trial in school-based tobacco use prevention-results on smoking"
J Natl Cancer Inst, 2000, 92, 1979-91
3- Kandel DB, Wu P
"The contributions of mothers and fathers to the intergenerational transmission of cigarette smoking in adolescence"
Journal of Research on Adolescence, 1995, 5, 225-52