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SWAPS nº 35

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Prévention

Journée mondiale sans tabac : nouvelles pistes

par Agnès Sztal et Mélanie Heard

A l'occasion de la Journée mondiale sans tabac, le Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 1er juin 2004 était consacré à la présentation de données récentes sur la consommation et la perception du tabac. L'ORS Ile-de-France présentait les résultats d'une enquête sur les fumeurs et leur perception du risque de cancer du poumon ; le réseau Hôpital sans tabac analysait la consommation de tabac des personnels hospitaliers ; l'Inpes présentait les évolutions récentes de la consommation en France ; la Ligue nationale contre le cancer et le Comité national contre le tabagisme étudiaient la réponse juridique aux contournements de l'interdiction de publicité sur le tabac ; et enfin Tabac info service analysait les appels reçus au premier trimestre 2004. Une somme de données d'analyse très riche, dont Swaps a voulu dégager quelques points forts.

L’édito de ce numéro du BEH était confié à M. Douste-Blazy, ministre de la Santé et de la Protection sociale. "La diminution des ventes de cigarettes observée depuis le début de l’année (-13,5% en 2003), fortement liée à l’augmentation des prix, s’est accompagnée d’une chute parallèle du nombre de fumeurs. Fin 2003, la France comptait 2 millions de fumeurs en moins. Les Français ont arrêté massivement de fumer avant tout pour protéger leur santé. Il semble bien que l’on ait franchi un seuil dans la prise de conscience collective des méfaits du tabac, identique à ce qui s’est produit pour les accidents de la route. Il faut, cependant, rester prudent et veiller à consolider les acquis. En 2004, nous porterons notre effort sur l’aide à l’arrêt et sur la prévention du tabagisme passif, deux axes stratégiques essentiels de la lutte contre le tabac".

Une prévalence en baisse
Onze millions de cigarettes vendues en moins en 2003 par rapport à 2002, et deux millions de fumeurs en moins ; face à ces bons résultats, et pour actualiser les données, l’Inpes a réalisé fin 2003 une enquête de prévalence tabagique à partir d’un échantillon aléatoire recruté par téléphone.
A la suite de l’annonce du Plan cancer en janvier 2003, des objectifs ambitieux en termes de réduction de la consommation de tabac ont été annoncés : réduction de la prévalence tabagique sur 5 ans de 30% chez les jeunes et de 20% chez les adultes. Plusieurs actions éducatives et réglementaires ont été mises en place dont une augmentation importante des prix, action considérée comme la plus coût-efficace. Ainsi, le prix des cigarettes a augmenté de 40% entre janvier 2003 et janvier 2004 alors qu’il n’avait augmenté que de 3 à 5% par an de 1998 à 2001.
La prévalence du tabagisme chez les Français âgés de 15 à 75 ans est passée de 34,5% en fin 1999 à 30,4% en fin 2003. Cette baisse concerne notamment les femmes et les jeunes de 15 à 24 ans. En revanche, le pourcentage de personnes âgées de 15 à 24 ans qui fument du tabac à rouler a pratiquement doublé entre 1999 à 2003, alors que le passage des cigarettes à filtre à des cigarettes à rouler a un effet secondaire délétère puisqu’il augmente l’exposition des fumeurs aux goudrons cancérigènes. Dans cette étude, il n’a pas été constaté de différence significative de sortie récente du tabagisme selon les revenus, alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que les personnes à plus faibles revenus soient plus sensibles à l’augmentation des prix.
Il est vrai que la baisse des ventes de cigarettes pourrait être le signe d’une réduction de l’achat légal de tabac par les acheteurs français ou étrangers sur le territoire français. Contrairement aux données de vente de tabac, la consommation de tabac déclaré dans cette enquête est indépendante du lieu et de la nature de l’achat, légal ou illégal. La réduction de la consommation de tabac par les fumeurs n’a pas été étudiée dans cet article. Reste que la baisse de prévalence observée entre 1999 et 2003 indique que la baisse des ventes de tabac n’est pas uniquement due à une augmentation de l’achat au marché noir ou transfrontalier de cigarettes et de tabac.

Perception du risque
Inscrite dans le cadre du nouveau Plan cancer, la lutte contre le tabagisme s’intéresse en premier plan à la perception du risque de cancer chez les fumeurs. C’est l’objet des premiers résultats présentés dans ce BEH, sous la plume d’Isabelle Grémy et coll. L’Observatoire régional de santé d’Ile-de-France (ORS) a conduit en 2000 une enquête sur la perception du tabac et de ses risques, réalisée à partir d’un échantillon représentatif recruté aléatoirement par téléphone en population générale adulte. Parmi les personnes interrogées, 41% ont déclaré être des non-fumeurs, 27% des ex-fumeurs et 32% des fumeurs, dont 26% des fumeurs quotidiens. Entre 18 et 40 ans, le statut tabagique des hommes et des femmes est comparable. En revanche, au delà de 40 ans, les femmes sont environ deux fois plus nombreuses que les hommes à n’avoir jamais fumé.
Les conséquences sanitaires de la consommation de tabac, concernant l’espérance de vie et les maladies cardiaques, sont mieux connues par les non-fumeurs que par les fumeurs. Par contre, la croyance en l’existence d’un seuil de dangerosité est largement partagé par les fumeurs comme par les non-fumeurs : 40% des personnes s’accordent à penser que c’est seulement à partir de 10 cigarettes quotidiennes que fumer est dangereux pour la santé.
Outre "ne pas fumer", d’autres mesures (éviter la pollution atmosphérique, voir régulièrement son médecin, ou encore avoir un exercice physique régulier) sont considérées comme efficaces pour éviter un cancer du poumon... Pourtant, rappellent les auteurs, si ces mesures peuvent être préconisées dans un contexte général de promotion de la santé, leur incidence réelle sur la prévention d’un cancer du poumon est faible, voire marginale.
En réalité, les fumeurs, dans leur grande majorité, pensent bénéficier de facteurs personnels d’exemption, qui les protègent des risques liés à leur consommation de tabac (vivre au grand air, avoir une activité physique ou sportive, ou avoir des antécédents familiaux de protection). Les risques estimés de développer un cancer du poumon en cas de poursuite de la consommation de tabac sont très nettement sous-évalués par rapport aux déclarations des ex et non-fumeurs, et les bénéfices pour la santé à l’arrêt du tabac sont largement minimisés par les fumeurs. Un fumeur sur cinq estime que, à l’arrêt, le bénéfice pour la santé est nul, voire qu’il y a un préjudice. Or cette enquête montre nettement une corrélation positive entre la perception des bénéfices à l’arrêt et les intentions d’arrêter de fumer : 25% des fumeurs qui perçoivent un bénéfice nul déclarent de fortes intentions d’arrêter de fumer dans les six prochains mois contre près de 60% des fumeurs percevant un bénéfice élevé. Reste que les fumeurs, dans cette enquête comme dans d’autres, reconnaissent peu leur propre vulnérabilité à la consommation de tabac. Il semble par conséquent important, dans des stratégies de prévention, de chercher à identifier et comprendre les facteurs déterminants la perception des risques liés au tabac. Cette enquête de l’ORS Ile-de-France, conduite avant que "la guerre contre le tabac" ne soit déclarée en France, peut constituer une base pour mettre en évidence, par la suite, les évolutions des perceptions des risques associés à la consommation de tabac.

Tabac info service (0825 309 310)
Tabac info service a presque doublé son activité en un an, passant de 25000 appels reçus en 2002 à 44000 en 2003. Au total, entre le 1er décembre 2003 et le 31 mars 2004, 18118 appels ont été traités, correspondant à la création de 8763 dossiers individuels qui font l’objet d’une analyse quantitative dans le BEH.
Sur la période étudiée, la principale source de connaissance de la ligne provient du numéro inscrit sur les paquets de cigarettes. Les appelants de Tabac info service sont en majorité des femmes. Ils ont en moyenne 41ans quel que soit le sexe. A peine 2% des appelants ont moins de 18 ans.
47,9% des appelants demandent d’emblée des conseils personnalisés pour arrêter de fumer ; 44,1% formulent une demande d’information générale et 3,3% appellent pour aider un de leurs proches. Seuls 0,4% des appels concernent le tabagisme passif.
Parmi les appelants souhaitant arrêter de fumer, 64% appellent avant de se lancer. 34% ont déjà arrêté depuis moins de six mois lorsqu’ils décrochent leur téléphone. Seuls 2% ont arrêté depuis plus de six mois. 13,5% se reconnaissent majoritairement comme étant "plutôt nerveux, angoissés et stressés". Comme attendu, 95% des appels proviennent de particuliers. Les professionnels de santé font encore très peu appel à la ligne (ils représentent 1,3% des appelants), de même que les collectivités, les entreprises et les écoles.
Parmi les appelants, une très grande majorité déclare fumer régulièrement, c’est-à-dire plus d’une cigarette par jour en moyenne. La consommation moyenne des appelants est de 22,8 cigarettes par jour, alors que la moyenne nationale des fumeurs réguliers âgés de 26 à 75 ans est de 15 cigarettes par jour selon le Baromètre santé 2000.
Parmi les appels traités par les tabacologues, 20,16% sont catégorisés parmi les "appels de crise", c’est-à-dire que la personne vient d’arrêter de fumer, se sent mal, est inquiète, déprimée, prête à reprendre la cigarette.

Pub : "que fait la police ?"
Dans le cadre du Plan cancer, La Ligue nationale contre le cancer (LNCC) et le Comité national contre le tabagisme (CNCT) se sont associés en 2003 pour analyser l’ampleur et la diversité des infractions et contournements à l’interdiction de la publicité et de la promotion du tabac prévue par la loi Evin. Pour cela, l’intérêt de Sylviane Ratte, Alain Molla, et coll., s’est porté tant sur les archives et documents internes et confidentiels mettant en lumière le caractère délictueux des tactiques et stratégies des compagnies de tabac pour contrer les efforts de santé publique (obtenus par décision de justice), que sur les données relatives aux infractions signalées aux associations engagées dans la vigilance judiciaire : signalements, actions en justice, jurisprudence, doctrine.
L’analyse des données issues de la vigilance des associations s’est penchée sur deux thématiques : la promotion des marques de tabac (images de paquets de cigarettes ou de marques sur divers supports médias, produits dérivés portant une marque identique ou très proche par son nom et son graphisme, cadeaux et promotion par voie d’écrits, d’affichages ou de discours chez les débitants ou à l’occasion de manifestations diverses, modification des emballages et des produits de conditionnement afin d’assurer un meilleur attrait du produit), ainsi que l’incitation à la consommation de tabac (incitation sous couvert de mécénat ou de partenariats divers, remise gratuite d’échantillons de produits du tabac ne supportant aucune marque, organisation de manifestations et diffusion de publications vantant le plaisir de fumer ; publicité pour le papier à cigarette).
L’analyse juridique de la pratique de la loi Evin renseigne sur les auteurs des infractions, les sanctions possibles et les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la loi. Les sanctions prévues vont de l’amende à l’interdiction de vente. Dans la pratique, seule l’amende est utilisée. Les principales difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la loi exprimées sont la définition trop imprécise de l’interdit, la lourdeur trop importante de la procédure pour les associations, et l’insuffisance des sanctions.
Cette étude permet aux auteurs d’élaborer des recommandations, qui portent sur la mise en place de mesures adaptées, sur une adaptation de la législation, mais aussi sur la mise en place d’un observatoire national chargé de surveiller et de recenser les comportements, infractions et contournements à la réglementation et de recueillir la jurisprudence. Mais les auteurs en appellent aussi à la sensibilisation des pouvoirs publics et autorités judiciaires, à une collaboration accrue avec des professionnels du marketing sur les stratégies des cigarettiers, et réclament la mise en chantier d’une étude comparative des modèles internationaux et communautaires en matière de lutte contre le tabagisme. A suivre...

Tabac à l’hôpital

Le ministère de la Santé a confié au Réseau Hôpital Sans Tabac la réalisation de l’enquête annuelle "Baromètre tabac personnel hospitalier" prévue par la circulaire ministérielle du 3 avril 2000.
Le bilan, présenté dans le BEH sous la plume de François Chièze, Bertrand Dautzenberg, et coll., est contrasté. A l’hôpital comme dans la population générale, la prévalence du tabagisme a fortement diminué en 2003, et cette tendance devrait s’accentuer en 2004. Toutefois, si le personnel hospitalier a, dans sa grande majorité, conscience de son exemplarité et s’avère prêt à s’impliquer, ni la consommation des personnes qui continuent de fumer, ni le degré de leur dépendance n’ont diminué en 2003, les gros fumeurs s’arrêtant plus difficilement.
Alors que le grand public a massivement recours aux consultations de tabacologie des hôpitaux, les hospitaliers ne les utilisent que rarement, de même pour les substituts nicotiniques.
Enfin, en ce qui concerne la loi Evin, celle-ci demeure bien souvent non respectée et les initiatives prises en faveur de la prévention du tabagisme par les établissements restent méconnues. Pourtant, le personnel hospitalier est prêt à s’impliquer dans la prévention et la prise en charge du tabagisme. Plus de 80% des hospitaliers pensent que des mesures coercitives devraient être prises en cas de non-respect de la loi Evin, que le personnel devrait recevoir une formation spécifique, et que l’exemplarité du personnel hospitalier est primordiale. Le pourcentage tombe cependant à 65% dans le sous-groupe des fumeurs quotidiens.
Pour les auteurs, les responsables administratifs et médicaux se doivent de poursuivre l’information des hospitaliers en matière de prévention et de prise en charge du tabagisme.