Une analyse des modes de vie et de boire des jeunes

par Aude Segond

L'Institut de recherches scientifiques sur les boissons (Ireb) réalise depuis 30 ans des enquêtes sur la consommation de boissons alcoolisées de différentes populations, et s'intéresse tout particulièrement aux jeunes. Des enquêtes mesurent et analysent régulièrement depuis 1985 les attitudes et comportements spécifiques des jeunes face à l'alcool.

En novembre 2001, 1028 jeunes Français, âgés de 13 à 20 ans, constituant un échantillon national représentatif, ont été interrogés en face-à-face à leur domicile à propos de leurs conduites vis-à-vis de l'alcool. Cet entretien a été complété par un questionnaire auto-administré abordant les points les plus sensibles. Cette enquête menée par l'Ireb, s'adressant à des jeunes scolarisés et non-scolarisés, donne une estimation du volume d'alcool consommé et situe l'alcoolisation dans une perspective plus large, incluant le mode de boire, le mode de vie, les opinions et les valeurs. La comparaison avec les enquêtes précédentes est éclairante.

Méthodologie et échantillon
Le fait que l'entretien ait lieu à domicile a permis d'intégrer des jeunes non scolarisés. L'échantillon, construit avec la méthode des quotas, est représentatif.
Le questionnaire se base sur celui de l'enquête Ireb de 1985 et a été enrichi d'items provenant d'enquêtes françaises (Inserm U472, Escapad 2001) mais aussi européenne (Espad 1999). Il comprend huit parties, allant de l'environnement scolaire aux revenus du foyer familial en passant par l'attitude et l'état d'esprit du jeune face à son environnement ou sa consommation d'autres substances psychoactives.
L'échantillon des jeunes interrogés est réparti de façon harmonieuse par âge, par sexe, et par zone d'habitation. Une très large majorité de ces jeunes est scolarisée. Plus de 90% vivent au foyer familial.
La consommation de tabac varie avec l'âge, 6% des 13-14 ans contre 47% des 19-20 ans déclarant fumer au moins une cigarette par jour. L'âge moyen de la première cigarette est 13 ans et demi. Un quart des 13-20 ans déclare avoir déjà expérimenté le cannabis au cours de sa vie, un cinquième en a consommé lors de l'année écoulée, 14% lors du dernier mois.
Une large partie des 13-20 ans aime faire la fête, recevoir des amis ou rencontrer de nouvelles personnes. Les boîtes de nuit sont de plus en plus fréquentées avec l'âge : plus de la moitié des 19-20 ans y vont au moins une fois par mois contre 3% des 13-14 ans.
Enfin, dernière remarque, 80% d'entre eux déclarent que les lois et les règlements sont importants à leurs yeux.

Un verre par jour
Si 19% des 13-14 ans sont des consommateurs occasionnels (plus d'une fois par mois mais moins de dix fois), ce sont 80% des jeunes à partir de 17 ans qui consomment de l'alcool au moins une fois par mois. 21% des répondants sont des consommateurs fréquents (plus de dix fois par mois), dont 30% de garçons et 12% de filles.
Près de deux jeunes sur trois consomment au moins un verre d'alcool par jour. 16% en consomment plus d'un.
Chez les garçons, la part des plus forts consommateurs augmente nettement avec l'âge : nulle pour les 13-14 ans, elle représente plus de la moitié des 19-20 ans. La médiane est à moins de deux verres par mois pour les 13-16 ans et de 31 à 60 verres par mois pour les 19-20 ans.
Chez les filles, les fortes consommations restent peu nombreuses (6%). La médiane est également à moins de deux verres par mois pour les 13-16 ans mais n'est que de cinq à dix verres par mois pour les 19-20 ans. (voir figure)

Pour l'ensemble des jeunes, la bière est le type de boisson alcoolisée le plus consommé (8,1 verres par mois) quel que soit l'âge, suivie des spiritueux (7,4 verres par mois). Vins (2,5 verres par mois), cidre (0,9 verres par mois) et autres (0,5 verres par mois) sont beaucoup moins consommés. En proportion, les filles consomment plus de spiritueux et de vin que les garçons qui, eux, consomment beaucoup plus de bière.
L'âge moyen à la première consommation alcoolisée sans les parents est de 14 ans. Les jeunes consomment lors de concerts, de spectacles sportifs, au café, au bal populaire ou en boîte de nuit, lors de fêtes avec des amis. Plus l'âge augmente, plus ils consomment en dehors de chez eux.
Pour l'ensemble des 13-20 ans, c'est lorsqu'ils sont avec des amis qu'ils déclarent consommer le plus de boissons alcoolisées. Ils boivent principalement le week-end, surtout le samedi.
Ils choisissent une boisson alcoolisée principalement parce que son goût leur plaît ou parce qu'on la leur offre.
Parmi les 13-20 ans, près des deux tiers déclarent n'avoir jamais connu d'ivresse (définie comme "un état d'excitation psychique et d'incoordination motrice dû à l'absorption massive d'alcool") au cours de leur vie. Ce chiffre monte à 91% chez les 13-14 ans et tombe à 34% chez les 19-20 ans. La première ivresse a lieu en moyenne à 15 ans et 4 mois, le plus souvent avec des amis, avec un mélange de boissons.

Les opinions à l'égard de l'alcool
Dans l'ensemble, filles et garçons n'associent pas de danger à certains types de boisson. La bière en particulier est considérée comme relativement peu nocive. Le danger est plutôt mis en relation avec la quantité d'alcool consommée et avec la fréquence de consommation (une consommation quotidienne étant jugée plus à risque qu'une consommation ou une ivresse hebdomadaires).
Ce que les jeunes n'aiment pas chez les "alcooliques", quel que soit leur sexe, c'est d'abord la violence, puis la saleté. Beaucoup pensent que les alcooliques sont des gens malheureux. Une large majorité a conscience que l'alcoolisme peut être un problème à tout âge, d'autant plus qu'ils consomment eux-mêmes plus fréquemment.

Les déterminants de la consommation
Chez les garçons, avoir consommé un psychotrope, tabac et/ou cannabis principalement, multiplie par 12 le risque de consommer de l'alcool. Trois autres facteurs jouent un rôle nettement moins marqué : les études supérieures du chef de famille, la pratique d'un sport et le fait de ne pas parler de ses problèmes personnels en famille.
A l'inverse, cinq facteurs sont corrélés à une moindre consommation d'alcool chez les garçons : le fait d'avoir des parents séparés, l'absence de buveurs dans l'entourage, le fait d'avoir des activités culturelles fréquentes ou moins d'activités festives, ainsi que le fait d'habiter dans une grande ville.
Parmi les garçons consommant de l'alcool au moins dix fois par mois, d'autres facteurs de risque apparaissent, comme le fait de vivre hors du foyer familial, de sortir souvent, d'aller fréquemment au café et d'avoir des buveurs dans son entourage.
Chez les filles, on trouve également comme principal facteur de risque de consommation d'alcool, le fait d'avoir consommé un psychotrope suivi par le fait d'avoir eu envie de se suicider, les études supérieures du chef de famille, et la pratique d'un sport. Parmi les facteurs de protection, on trouve paradoxalement à la fois l'absence de buveurs dans l'entourage et la présence de nombreux buveurs souvent ivres.
Chez les consommatrices fréquentes, les facteurs psychologiques paraissent déterminants (envie ou tentative de suicide, communication difficile au sein de la famille, isolement).

Une évolution contrastée
Le pourcentage des consommateurs, occasionnels ou fréquents, a baissé entre 1996 et 2001, passant de 67% à 55%. Par contre, le nombre moyen de verres consommés n'a pas changé et stagne autour de 34 verres par mois pour les consommateurs. Du coup, lorsque l'on considère la totalité des jeunes, le volume moyen consommé a légèrement baissé, passant de 23 verres par mois en 1996 à 19 en 2001. Mais ces chiffres sont à nuancer selon le sexe. En effet, chez les filles consommatrices, la consommation chute certes de 22 à 17 verres par mois. Mais chez les garçons, on observe dans le même temps une hausse de 3 verres par mois (de 44 en 1996 à 47 en 2001).
La comparaison avec l'enquête Ireb de 1985 révèle une stabilité moyenne de la consommation d'alcool (19,9 verres par mois en 1985, 20,9 en 1996 et 19,9 en 2001). Mais de grandes différences apparaissent en affinant par classes d'âge. La consommation des 13-14 ans chute en effet, de 5,5 verres par mois en 1985 à 1,2 verres par mois en 2001 ; mais celle des 17-18 ans augmente de 35,6 à 48,8 verres par mois.
La proportion des non-consommateurs (qui consomment moins d'une fois par an) est restée stable pour chaque sexe: un garçon sur dix et une fille sur quatre à 19-20ans. Par contre, la part des consommateurs les plus importants s'est réduite, pour toutes les tranches d'âge, principalement les 19-20 ans; la prévalence des ivresses a aussi baissé.

La comparaison des enquêtes 1996 et 2001 de l'Ireb permet donc de constater une légère baisse de la consommation globale d'alcool ainsi qu'une régression de l'ivresse. Elle permet aussi d'affirmer que les garçons consomment toujours nettement plus que les filles, que l'âge est un facteur déterminant du mode de consommation, la bascule se produisant entre 16 et 17 ans, et que les jeunes boivent par goût et par convivialité.