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SWAPS nº 34

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Prévention primaire du mésusage d'alcool chez les jeunes : quelle efficacité ?

par Laure Dattu
Merci à Julie Abesdris et Philippe Michaud

Qu'en est-il finalement de l'efficacité de nos actions de prévention qui encouragent le contrôle autonome des jeunes sur leurs conduites ? Les objectifs des auteurs de cette revue systématique de la littérature étaient de -repérer les interventions évaluées de prévention primaire du mésusage d'alcool chez les jeunes, et d'apprécier l'efficacité des interventions ayant eu un suivi sur le long terme. Une entreprise qui s'avère plutôt subversive : les résultats laissent perplexes, et l'urgence est à la collection de données, et à la mise en forme de problématiques innovantes.

Au niveau mondial, 5% de la mortalité chez les jeunes entre 15 et 29 ans est attribuable à l'alcool. En Europe, il s'agit d'un décès sur quatre chez les jeunes hommes et, dans certaines parties de l'Europe de l'Est, d'un décès sur trois. C'est ainsi que DR Foxcroft et coll. introduisent leur revue de la littérature sur l'efficacité des actions de prévention sur l'alcool, parue en 2002 dans Addiction*. Car c'est dire la nécessité d'avoir des interventions efficaces.
La première ambition de cet article est donc de plaider pour l'amélioration de la méthodologie des évaluations de l'efficacité des interventions, les défauts méthodologiques de nombreuses études nuisant au caractère convaincant de leurs résultats.
Dans cet article, la méthode Cochrane a été appliquée aux actions de prévention de la consommation d'alcool par des techniques visant à améliorer les connaissances et les attitudes face à l'alcool, notamment les techniques de développement des compétences et des habiletés à résister à la pression du groupe en faveur de la consommation, chez les jeunes de moins de 25 ans. Selon la technique éprouvée des Cochrane1, une recherche extensive a été effectuée dans 22 bases de données bibliographiques au moyen de plus de 50 mots-clés. Elle a ramené plus de 6000 articles qui, passés au crible des indicateurs de qualité, ont sélectionné 56 études évaluatives répondant aux critères suivants : a) moins de 25 ans, b) concernant les protocoles d' évaluation : pour une fois d'autres design que la randomisation étaient acceptés, c) concernant les résultats, mesures objectives ou déclarations, mesures portant sur les problèmes liés à l'alcool : rapports sexuels ou conduite automobile sous l'influence de l'alcool, conduite antisociale, violence ou délinquance. Parmi les 56 études, seules 4 ont été réalisées en Europe, les autres majoritairement aux Etats-Unis. Les études ont été ensuite revues selon un protocole habituel aux Cochrane en tenant compte de critères méthodologiques rigoureux. On discutera ici les résultats auxquels aboutit cette revue en invitant les lecteurs intéressés par les méthodes à lire l'article qui décrit avec précision les étapes de cette analyse secondaire.

Les auteurs distinguent les résultats à court terme (un an), à moyen (1 à 3 ans) et long terme (>3 ans). Parmi les 43 études ayant des résultats à un an au plus, 15 montrent des résultats positifs, mais avec des effets de faible ampleur et seulement pour certains des indicateurs ; 24 études ne montrent aucun effet, et 4 des résultats contraires à ceux attendus. Dans la deuxième série d'études, évaluant le moyen terme, 12 montrent une efficacité que les auteurs de la revue critiquent pour des limitations méhodologiques ; pour 19, l'intervention s'avère inefficace, et pour 2 elle est contre-productive. Enfin, parmi les 8 interventions évaluées à long terme, 3 se traduisent par des résultats positifs et 5 par le non-maintien d'effets positifs à long terme. C'est dire le manque d'évidence quant à l'efficacité des interventions éducatives s'adressant aux jeunes. C'est pourtant cette forme d'action préventive qui est fortement valorisée par rapport à des stratégies plus globales utilisant l'interdit, la hausse des prix ou les restrictions de vente, l'action en faveur d'un contrôle autonome de l'individu sur sa conduite étant valorisée par contraste avec la contrainte et la sanction. Les auteurs pointent ainsi que des stratégies qui font l'objet d'un grand engouement et, notamment aux Etats-Unis, d'une large diffusion, n'ont en réalité jamais démontré leur efficacité. De ce naufrage éducatif, ne sont sauvés que trois modèles d'intervention qui ciblent non les compétences individuelles mais le niveau collectif (malheureusement aucun détail n'est donné sur lesdites interventions). Elles semblent apporter quelques résultats : réduction des accidents de la route liés à l'alcool, réduction des ventes d'alcool en dessous de l'âge légal, réduction de la conduite en état d'alcoolémie excessive, réduction de la consommation. Dans une de ces rares études montrant des résultats positifs, les auteurs relèvent l'intérêt d'une intervention prenant en compte les dimensions culturelles, chez les Indiens américains. Les actions communautaires, qui ont la faveur des auteurs, devraient être prise en compte par les décideurs. En ayant un impact bénéfique sur le mésusage d'alcool chez les jeunes, elles ont en même temps un impact sur les autres groupes de la communauté. Cela est intéressant en termes de coût-efficacité : la seule intervention évaluée de ce point de vue a montré un bénéfice.

Par rapport à la précédente revue de la littérature de Foxcroft en 1997, on note une augmentation de 23 études et une amélioration générale dans la qualité des évaluations malgré quelques problèmes de méthodologie persistants. Dans cette nouvelle revue, contrairement à la précédente, les auteurs sont en mesure d'émettre un avis ferme sur l'efficacité ou l'inefficacité de certaines interventions, considération essentielle pour les décideurs et les acteurs de prévention.
Pour promouvoir une meilleure qualité d'évaluations, les auteurs proposent l'établissement d'un registre international des interventions de prévention primaire du mésusage d'alcool et de drogue chez les jeunes. Celles-ci seraient classées sur la base de leurs résultats en terme de sûreté et d'efficacité. L'Organisation mondiale de la santé semble le mieux placée pour prendre la tête du développement et de la promotion de ce registre qui s'adresserait aux décideurs et aux acteurs de prévention.
Pour améliorer les évaluations à venir, il est aussi nécessaire d'approfondir, par des recherches, les critères prédictifs du mésusage d'alcool, de morbidité et de mortalité en s'appuyant par exemple sur les travaux de l'OMS2. Cela permettrait d'uniformiser les critères de jugement des évaluations. Un bon indicateur de dommages à long terme est l'âge de la première expérimentation3 ; l'âge d'initiation, l'âge de la première ivresse, la consommation régulière et la fréquence moyenne de consommation d'alcool, sont proposés comme critères à tester.
La très grande majorité (84%) des études entrant dans cette revue provient des Etats-Unis. Nous pouvons regretter qu'aucune intervention française ne soit suffisamment bien évaluée pour y être intégrée. Il paraît urgent de pallier ce manque. Les expériences françaises, tant qu'elles ne se donneront pas la peine d'évaluation rigoureuse, resteront comme jusqu'à présent sans lendemain.
Cette revue de littérature s'est concentrée sur les actions ciblant les changements d'attitudes et de comportements au niveau individuel. Le résultat obtenu laisse perplexe devant l'énergie déployée pour les actions de prévention et pour les évaluations, tant il est décourageant. Il n'est pourtant pas totalement étonnant: car les usages de drogues et d'alcool mettent en jeu des comportements et des normes collectives, comme les dimensions économiques du marché des produits. C'est seulement en agissant aux différents niveaux que se crée une synergie vertueuse qui peut conduire à une baisse des consommations - comme on l'a montré sur le tabac par exemple. Les résultats apportés par la revue de Foxcroft contrarient bien sûr notre confiance dans l'individu éduqué capable de maîtriser ses conduites - et, en creux, invitent à agir par la loi ou les taxes. Cependant, comme le conclut l'étude ECAS qui analyse les changements de la consommation d'alcool au sein de l'UE4, c'est aussi dans des évolutions sociales et culturelles que se façonnent les conduites de consommation. C'est alors la convergence de l'organisation sociale et des modes de vie au sein de l'Europe qui expliquerait les changements, à la hausse ou à la baisse, des consommations, et donc leur convergence.
N'est-ce pas là un résultat intéressant, et somme toute optimiste, que les sociétés "civiles" convergent malgré, avec, ou indépendamment, des politiques étatiques ?


*Foxcroft DR, Ireland D, Lister-Sharp DJ, Lowe G, Breen R
Longer-term primary prevention for alcohol misuse in young people :
a systematic review
Addiction, 2002, 98,
397-411

1. Dans un livre publié en 1972, l'épidémiologiste Archie Cochrane soulignait la nécessité, pour les décideurs de santé publique, d'avoir accès à des données fiables sur l'efficacité des interventions en santé. Cette problématique a donné lieu à l'élaboration d'une méthodologie rigoureuse pour la constitution de "revues systématiques". voir : http://cochrane.mcmaster. ca/pdf/ccbrochurefrench.pdf

2. World Health Organization (2000)
International Guide for Monitoring Alcohol Consumption and Related Harm
Genève, 2003

3. Grant BF, Dawson DA
"Age at onset of alcohol use and its association with DSM-IV alcohol abuse and dependence results from the rational longitudinal alcohol epidemiologic survey"
Journal of Substance Abuse, 1997, 9, 103-110

4. Leifman H, Osterberg E, Ramstedt M
Alcohol in Postwar Europe
European Comparative Alcohol Study II, final report 2002
http://www.fhi.se/shop/material_pdf/ecas_2.pdf