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SWAPS nº 34

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Usages détournés de subutex : mauvais augure pour la Conférence de consensus ?

par Mélanie Heard

Dans l'attente de la première Conférence de consensus sur "les stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes aux opiacés et la place des traitements de substitution", qui aura lieu à Lyon les 23 et 24 juin -prochains, l'Assurance maladie a annoncé, sur la base d'une étude qu'elle a rendue publique récemment, un plan d'action pour lutter contre les usages détournés de Subutex. Une logique jugée répressive par Asud et Act Up, qui présentent les usages détournés des traitements comme l'un des thèmes majeurs des premiers Etats généraux des usagers de la substitution aux opiacés, qui se sont tenus à Paris les 5 et 6 juin dans le cadre des Rencontres du Crips.

La Caisse nationale d'Assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a rendu publique le 8 avril dernier une étude sur la prise en charge médicale par buprénorphine haut dosage (BHD, Subutex®) et méthadone des usagers de drogue. Selon le communiqué de presse qui accompagnait cette parution, les résultats concernant la BHD permettent de "suspecter", chez 10% des patients, des "usages détournés de Subutex®"1. La CNAMTS présente donc les mesures prévues pour "renforcer le suivi" et mettre en place des procédures de "contrôle des prescriptions"2.

Les chiffres de l'étude
L'étude que la CNAMTS a rendue publique portait sur des données de 2000 du régime général de l'Assurance maladie concernant les remboursements des traitements de substitution. Il s'agissait d'une étude transversale, d'une durée de trois mois, réalisée à partir des bases de données du régime général dans lesquelles sont enregistrés les soins remboursés. L'étude portait sur les 68755 personnes qui ont reçu, entre le 1/10/2000 et le 31/12/2000, de la méthadone et/ou du Subutex®. Deux phénomènes sont mis en évidence par les auteurs à partir des résultats : d'une part, parmi les 63393 traités par BHD seule, 14% avaient des remboursement associés de Tranxène® ou de Rohypnol®; d'autre part, parmi ces mêmes patients, 10,5% avaient des remboursements correspondant à une posologie supérieure aux doses maximales recommandées par les experts (qui est de 16mg par jour), et 9,4% avaient consulté trois médecins ou plus pendant la période de recueil. Inversement, près de 40% des patients étudiés avaient une posologie journalière inférieure à 4mg, inférieure donc aux doses optimales habituellement décrites (de 8 à 16mg par jour). Les auteurs déplorent donc en conclusion le "sous-dosage du traitement d'un nombre important de patients"; constatent que le nombre de patients obtenant des posologies supérieures aux recommandations pourrait "être le reflet d'une déviance sociale", puisque "une minorité de patients ont un comportement en rapport avec un possible mésusage (associations dangereuses, nomadisme...)"; et s'inquiètent du "manque de vigilance du prescripteur et du pharmacien".

Volontarisme du contrôle
Le communiqué de presse de la CNAMTS qui accompagnait cette parution affiche une volonté sans faille pour lutter contre les "usages détournés" identifiés à partir de ces résultats. Après avoir reconnu les effets bénéfiques des traitements de substitution (baisse de la prévalence du VIH chez les usagers de drogue, baisse du nombre d'interpellations, baisse des décès par surdose), le communiqué de la CNAMTS déplore l'existence d'un usage détourné de Subutex®: "Concernant le Subutex®, une étude réalisée récemment par l'Assurance Maladie montre que 90% des patients ont une posologie conforme aux recommandations des experts. Néanmoins, 10% des patients peuvent être suspects d'abus ou d'usage détourné (revente), en raison d'une posologie supérieure aux doses maximales recommandées, ou d'un recours à plus de trois médecins"2.
"Devant ces constats, pour garantir à tous un meilleur usage de ces médicaments, l'Assurance Maladie a décidé de systématiser l'utilisation des dispositions légales existantes pour mieux encadrer les traitements de substitution"2. En pratique, la CNAMTS va identifier les comportements suspects, qu'ils soient le fait de l'assuré, du médecin, ou du pharmacien ; les abus pourraient être sanctionnés par une suspension des remboursements. Concrètement, il s'agit à terme de demander aux médecins traitants de définir un protocole de traitement précis pour leurs patients sous BHD dans le cadre de l'article L324-1 du Code de la Sécurité sociale, qui prévoit que "le médecin conseil de l'Assurance Maladie peut subordonner le remboursement des prestations au respect d'un protocole de diagnostic et de soins élaboré avec le médecin traitant pour les patients bénéficiant de soins continus supérieurs à 6 mois".
Ainsi, la Caisse primaire d'assurance maladie de Toulouse a d'ores et déjà porté plainte contre une quinzaine d'assurés sociaux "dont la consommation abusive laissait soupçonner qu'ils revendaient les médicaments achetés aux frais de la Sécu", et trois pharmaciens ont été mis en examen. Le directeur adjoint de la CPAM de Haute Garonne cite l'exemple d'un Toulousain qui a consulté 141 médecins en un an et s'est fourni auprès d'une centaine de pharmacies pour 30000 euros de Subutex® remboursé par la CPAM.
L'Assurance maladie, qui déclare avoir consulté les acteurs concernés (Mildt, associations) pour élaborer son plan d'action, participera à la Conférence de consensus des 23 et 24 juin prochains.

Et le consensus ?
Une conférence de consensus que les associations Asud et Act Up entendent bien préparer elles aussi, afin d'élaborer d'autres réponses que la répression aux usages détournés. Dans un communiqué de presse commun3, Asud et Act Up déplorent la "logique répressive" de l'Assurance maladie : "La menace qui semble de nouveau peser aujourd'hui sur les modalités d'accès à ces traitements est une menace qui pèse directement sur nos vies. (...) L'Assurance-Maladie n'entend répondre au problème posé par le mésusage et les polyprescriptions que par la seule répression. (...) La logique de la suspicion permanente est une arme à double tranchant. On risque de saper l'embryon de citoyenneté que les usagers de drogues connaissent depuis l'apparition des produits de substitution. (...) N'oublions pas que la fin du trafic, l'arrêt des mésusages, et plus globalement l'amélioration de l'état de santé des personnes passent d'abord par l'adhésion des usagers aux règles les concernant". Dans cet esprit, Asud et Act Up appellent les usagers substitués et toutes les personnes concernées aux premiers Etats Généraux des Usagers de la Substitution aux Opiacés, qui se sont tenus les 5 et 6 juin à l'Hôpital européen Georges Pompidou4.


1. Claroux-Bellocq D, et al.
"Les traitements de substitution aux opiacés en France métropolitaine en 2000 : les données du régime général de l'assurance maladie"
Revue médicale de l'Assurance maladie,
2003, 34(2), 93-102
http://www.ameli.fr/135/DOC/ 1355/article_pdf.html

2. "Prise en charge médicale des toxicomanes : un plan d'actions pour renforcer le suivi des patients qui bénéficient d'un traitement de substitution"
Communiqué de presse de l'Assurance maladie du 8/04/2004
http://www.ameli.fr/174/DOC/1343/cp.html

3. Communique de presse commun Asud / Act Up du 10/05/2004
http://observatoire.samizdat.net/article.php3?id_article=367

4. Pour en savoir plus sur les premiers Etats Généraux des Usagers de la Substitution :
renseignements : Olivier Doubre, Gérald Sanchez, Fabrice Olivet,
01 43 15 00 66, ausu@club-internet.fr
inscriptions : Bénédicte Astier,
01 56 80 33 35, rencontres@lecrips.net