Santé
Réduction des Risques
Usages de Drogues


Recherche dans SWAPS avec google
   

SWAPS nº 34

vers sommaire

Femmes enceintes substituées : changer de regard

par Marianne Storogenko

Une enquête de l'OFDT revient sur quelques idées reçues en matière de traitement par substitution des femmes enceintes. Correctement pris en charge, de façon pluridisciplinaire, le traitement par substitution ne péjore pas spécifiquement le pronostic des grossesses. D'une façon générale, les complications néonatales et plus encore les situations aboutissant à des séparations mère/enfant paraissent avant tout liées à d'autres facteurs sociodémographiques, plus qu'à l'abus spécifique de substances psychoactives.

Grossesse et substitution
C Lejeune, L Simmat-Durand, et al.
OFDT, juillet 2003, 105p.
http://www.ofdt.fr/BDD/publications/fr/submater.htm

Alors que la toxicomanie et le traitement substitutif des femmes font l'objet d'assez peu d'intérêt, leur grossesse génère toujours un vif intérêt, de fortes inquiétudes ou interrogations, voire des polémiques.
L'enquête réalisée par Claude Lejeune et Laurence Simmat-Durant, intitulée Enquête sur les femmes enceintes substituées à la méthadone ou à la buprénorphine haut dosage et caractéristiques de leurs nouveau nés, et publiée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) en juillet 2003, tend à repositionner les difficultés rencontrées dans ces situations. Les auteurs incitent à une réelle prise en charge globale des femmes recevant des traitements de substitution, tant au plan substitutif qu'au plan psycho-socio-économique, et ce qu'elles soient enceintes ou non : "par rapport aux données de la littérature, il apparaît qu'un changement global de regard envers les femmes toxicomanes améliore très sensiblement le pronostic périnatal, par un travail multidisciplinaire".

Moins de prématurés
Les principaux résultats de cette enquête, réalisée sur une année auprès de 259 femmes substituées (100 par la méthadone et 159 par la buprénorphine) recrutées dans 35 unités de soins périnataux, sont les suivants :
o La substitution favorise considérablement le suivi et la prise en charge de la grossesse, induisant une diminution significative du taux des prématurés.
o Bien qu'il n'y ait pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le Subutex® pendant la grossesse, cette molécule est utilisée en raison du défaut d'accessibilité de la méthadone (20% des départements ne disposaient en 2001 d'aucun lieu de primo-prescription de méthadone).
o Il n'existe pas de différence significative, dans les données périnatales, entre les femmes substituées par la méthadone et celles substitués par la buprénorphine haut dosage.
o Concernant l'enfant, la substitution ne supprime pas le syndrome de sevrage des nourrissons. Il semble, mais la différence n'est pas significative, que la méthadone retarde l'apparition de ce syndrome par rapport à la buprénorphine. Quant aux doses de traitement, l'enquête révèle l'absence de corrélation entre la posologie du traitement de substitution et la gravité du syndrome de sevrage du nouveau-né.

S'adapter aux consommations associées
Bien qu'enceintes, les femmes substituées ont des consommations associées et des prises d'héroïne déclarées égales à celles des autres femmes substituées, et ce quel que soit le médicament de substitution. Ainsi, les femmes qui n'avaient pas prévu leur grossesse et ne l'acceptaient pas (n=26) consomment toutes des benzodiazépines. Elles présentent des troubles psychiatriques et une précarité sociale particulièrement graves, sont souvent suivies en médecine libérale et traitées par buprénorphine.
Les consommations associées, notamment de tabac, d'alcool et de benzodiazépines, sont principalement responsables des faibles poids de naissance et des petites tailles des enfants. Il semble préférable d'augmenter la posologie du traitement au cours de la grossesse, afin de compenser l'augmentation de l'espace de dilution. Cette adaptation permettrait de ne pas déséquilibrer la mère, et d'éviter qu'elle ne soit ainsi entraînée vers d'autres produits dangereux (héroïne, alcool, cocaïne, benzodiazépine) pour le nouveau-né.

La précarité n'est pas une fatalité
Les femmes sont globalement en situation de précarité sociale (25% n'ont pas de logement personnel) et affective (33% vivent seule, pour 25% leurs enfants précédents sont placés), elles maîtrisent faiblement leur fécondité (près de 50% n'avaient pas prévu leur grossesse et ont précédemment eu recours à l'IVG). Les auteurs déplorent l'absence, lors de l'entrée dans un programme de substitution, d'une prise en charge gynécologique.
Seuls 7 enfants sur 260 ont été séparés de leur mère soit à cause de l'absence d'un logement personnel soit à cause d'une toxicomanie active de la mère. La prise en charge substitutive de la mère améliore donc considérablement la relation mère-enfant.

Un regard pluridisciplinaire
Cette étude indique donc clairement que, moyennant un travail multidisciplinaire et un fonctionnement en réseau ville-hôpital, il est possible de changer le regard porté sur les femmes toxicomanes, et parfois d'infléchir leur trajectoire. De fait, considérées comme des femmes présentant une grossesse à risque et non comme des toxicomanes délictueuses, ces femmes font suivre leur grossesse, améliorant ainsi très sensiblement le pronostic périnatal (diminution du nombre des prématurés, pas de mortalité) et la relation mère-enfant (taux de séparation précoce mère-enfant de 4%). Les recommandations des auteurs visent ainsi en premier lieu la formation multidisciplinaire des acteurs de la prise en charge.
La seconde recommandation qu'ils formulent milite pour l'amélioration de l'accessibilité de la méthadone. Un défaut d'accessibilité qui ne doit pas pour autant entraver la substitution et la prise en charge des femmes enceintes, puisque la buprénorphine peut être utilisée. A cet effet, une extension de l'AMM aux femmes enceintes de cette molécule permettrait une nette amélioration de la prise en charge.
La sévérité du syndrome de sevrage du nouveau-né apparaît ici corrélé, non pas aux doses de traitement substitutif, mais à la gravité globale de la désinsertion sociale associée à la toxicomanie des femmes. "D'une façon générale, les complications néonatales et plus encore les situations aboutissant à des séparations mère/enfant paraissent avant tout liées à des facteurs sociodémographiques, plus qu'à l'abus spécifique de substances psychoactives". Ce constat conduit les auteurs à militer pour "changer le regard" trop souvent porté sur ces femmes, et à insister sur la nécessité de former de façon pluridisciplinaire les acteurs de leur prise en charge. Il semble enfin nécessaire de favoriser la formation des professionnels sanitaires à la prise en charge spécifique des femmes toxicomanes, afin qu'elles maîtrisent leur fécondité et assument leurs grossesses éventuelles, effort qui passe aussi par le renforcement des réseaux sanitaires. Reste aussi à former les acteurs sociaux et judiciaires, afin que la prise en charge médicale soit complétée, et nettement renforcée, par une prise en charge sociale qui semble pourtant être aujourd'hui à la traîne.