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SWAPS nº 34

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Alcool : agir en population générale, sinon rien

par Mélanie Heard

L'Académie des sciences britannique vient de publier un rapport qui appelle le gouvernement à une action -globale pour réduire les consommations d'alcool dans la population générale. En s'appuyant sur des données récentes, les auteurs montrent que ce n'est qu'en agissant sur les usages courants que l'on pourra prétendre diminuer les usages plus problématiques et les dommages sanitaires et sociaux coûtés par l'alcool.


Calling time,
The Nation's drinking as a major health issue
Academy of medical sciences
Mars 2004, 45p. ;
www.acmedsci.ac.uk

Sans revenir sur les coûts sanitaires et sociaux des dommages liés à l'alcool, ni sur le bien-fondé des actions ciblées de prévention auprès des usagers problématiques et des jeunes, le rapport de l'Academy of medical sciences a l'ambition de prendre à bras-le-corps un tabou politique : la réduction des consommations courantes d'alcool. C'est en connaissance de cause que les auteurs s'attaquent à un domaine dans lequel il est difficile pour les gouvernements d'intervenir : "car c'est précisément là qu'il y a une chance de réduire les dommages de l'alcool" (p.7).
De longue date, l'enjeu des stratégies de lutte contre l'alcool se situe autour de l'accent mis respectivement sur la consommation générale d'alcool ou bien sur les consommateurs alcooliques ou excessifs - ces derniers étant à l'origine d'une part importante des accidents, des violences, et des pathologies mortelles. Le lobby de l'alcool pousse pour une stratégie qui soit axée sur les buveurs excessifs, et qui privilégie l'éducation au bien boire et à la modération pour tous les autres. Sur cette base, ce lobby s'oppose aux mesures qui restreignent l'accessibilité de l'alcool (taxes, restrictions de vente et de publicité, etc.).
Revenant sur le lien entre consommation moyenne et consommation excessive, tel qu'établi par la contestée loi de Lederman, le rapport de l'Académie britannique montre qu'il est important de s'attaquer au niveau de la consommation générale d'alcool au sein d'une société, pour en réduire l'impact sur la santé, et les nuisances pour la communauté.

Plus une population boit...
L'Academy of medical sciences consacre donc son rapport aux liens entre le niveau moyen des usages courants d'alcool et les dommages sanitaires et sociaux liés aux usages problématiques.
"Il y a deux questions essentielles : premièrement, la niveau global de consommation en population générale est-il relié à la proportion de consommateurs problématiques ? Et deuxièmement, l'évolution du niveau global de consommation s'accompagne-t-il d'une évolution des dommages liés à l'alcool ?" (p.19).

... plus il y a de consommateurs excessifs...
S'agissant de la première question, une étude anglaise récente montre que plus une population boit, plus elle verra la prévalence de consommateurs problématiques en son sein augmenter1.

... et de dommages
La seconde question reçoit également une réponse positive, grâce aux données d'une enquête comparative au sein de l'Union européenne, The European Comparative Alcohol Study (ECAS), menée dans 14 pays membres, puis, pour comparaison, au Canada. L'enquête montre une relation statistiquement significative, au sein d'une population, entre l'évolution de la consommation d'alcool per capita et la mortalité par cirrhose. La même relation est retrouvée pour la mortalité liée aux maladies du pancréas, pour la mortalité liée aux accidents de la route (quoique avec des disparités nationales importantes), et, dans certains pays, pour la mortalité par suicide et de la mortalité par homicide2. Pour les auteurs de ce rapport, la consommation d'alcool per capita est donc aujourd'hui un déterminant majeur des dommages liés à l'alcool dans les sociétés occidentales.
Les auteurs en concluent que "des politiques de prévention de l'alcool limitées aux usages problématiques ne sauraient suffire". De telles politiques n'auront de sens que si elles sont accompagnées de stratégies de prévention menées en population générale pour réduire le niveau global de consommation. "L'objectif politique doit être de baisser la moyenne des consommations en population générale pour faire baisser l'importance des problèmes liés à l'alcool". Pour atteindre un tel objectif, les leviers efficaces sont, selon les données actuelles recensées par le rapport, la hausse des taxes sur l'alcool, le contrôle de la publicité sur l'alcool3 (voir p.23), et les restrictions sur l'accès aux boissons alcoolisées4. Les auteurs déplorent à cette occasion l'insuffisance de données sur l'efficacité de moyens moins répressifs relevant de l'éducation pour la santé5 (voir p.7). Conscients que la hausse des taxes ou la limitation de l'accès aux boissons seraient impopulaires, le rapport milite pour un large débat citoyen sur les dommages sociaux de l'alcool. "De telles politiques publiques ne devraient pas être le fait des seuls scientifiques ou des seuls décideurs, pas plus qu'elles ne devraient être abandonnées aux impératifs du marché. Il doit y avoir un large débat social, accompagné comme il se doit d'un effort d'éducation".


1 Primatesta P, Falaschetti E, Marmot, M
"Average alcohol consumption and patterns of drinking"
2002, cité par le Rapport mais non publié
Les auteurs recommandent aussi Colhoun H, et al.
"Ecological analysis of collectivity of alcohol consumption in England : importance of average drinker"
BMJ, 1997, 314, 1164-68

2 Ramstedt M, et al.
"Per capita alcohol consumption and liver cirrhosis in 14 european countries"
Addiction, 2001, 96, suppl 1, 19-34
Voir aussi Ramstedt M, passim Skog OJ, et al.
"Alcohol consumption and fatal accidents in Canada, 1950-1998"
2003, Brewing publications limited

3 Saffer H, Dave D
"Alcohol consumption and alcohol advertising bans"
Applied economics, 2004, 34, 1325-34

4 Babor T, et al.
Alcohol : no ordinary commodity
2003, Research and public policy,
Oxford University press

5 Foxcroft DR, et al.
"Long-term primary prevention misuse in young people : a systematic review"
Addiction, 2003, 98, 397-411 ;
voir la note de lecture de cet article dans ce numéro de Swaps "Prévention primaire du mésusage d'alcool chez les jeunes : quelle efficacité?