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Usages de Drogues



SWAPS nº 32/33

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Cannabis ou chanvre:
le point de vue du rédacteur
en chef d'
Asud-Journal

Le "chanvre global", cheval de Troie des cannabinophiles

par Fabrice Olivet

 

Le 26 novembre 2003, Stéphane Karscher, dit Kshoo, membre fondateur du Collectif d'information et de recherche cannabique (CIRC), était jugé par le tribunal de Montpellier pour répondre de l'accusation de provocation à l'usage de stupéfiants dans sa boutique "Mauvaise graine", où sont vendus des produits dérivés du chanvre. Après une courte délibération, la sentence est limpide : relaxe pure et simple et restitution de tous les objets saisis. En clair, l'infraction n'est pas avérée : vendre des "grainaoizo", du matériel de culture en placard et des produits à base de chanvre n'est pas un délit. Pas plus que prôner les produits (savons, bougies...) à base de hemp* dans les boutiques très populaires de cosmétiques et parfums The Body Shop. Et même si le procureur a par la suite fait appel, comparée aux mille et un tracas subis par les militants du cannabis, notamment l'ancien président du CIRC Jean-Pierre Galland, la nouvelle est d'importance.
 

Le chanvre n'est pas une drogue

Tissus, cordages, matériaux de construction, tableaux de bord, vêtements, papier à cigarettes...: multiples sont les débouchés industriels du chanvre. En France, la production de semences "licites" est ainsi contrôlée par la Fédération nationale des producteurs de chanvre (FNPC), basée au Mans, qui a développé des variétés à très faible teneur en tétrahydrocannabinol (THC), donc sans effet psychotrope.
Et si certains tiennent à distinguer deux usages (licite ou illicite) d'une seule et même plante, les partisans du "chanvre global" prétendent aujourd'hui zapper le débat en s'intéressant aux mérites d'un végétal hors du commun, pris dans sa globalité en tant qu'espèce vivante domestiquée par l'homme depuis la préhistoire. A l'instar de la tulipe, le chanvre draine, en effet, son cortège de passionnés, voire de fanatiques, conquis par la forme particulière de ses feuilles, son odeur ou par les mille et une propriétés bénéfiques que l'homme a su tirer de sa culture. Contrairement au cannabis, le pot de chanvre n'est pas une drogue, du moins tel quel. Le fan club chanvrier ne s'intéresse donc théoriquement pas à la question de savoir si la toxicomanie est une maladie ou une perversion. Ils ne sont pas plus concernés par le débat sur la prohibition : "Le chanvre est un produit légal, et son utilisation sous forme de cannabis ne représente que l'une de ses multiples facettes", se défend Kshoo.
Mais depuis le retour de la droite française au pouvoir, le débat sur les drogues tourne à nouveau autour de la petite feuille à cinq pédoncules. Régulièrement, les gazettes bruissent des mérites comparés de tel ou tel système, amendes, prison ou soins obligatoires. Au printemps 2003, une commission sénatoriale appelée à plancher sur le sujet s'est attachée à fourbir un arsenal anticannabis complet (voir l'article Sénateurs français et canadiens : deux conceptions des drogues). Les dernières réflexions sur la sécurité routière tendent toutes à souligner la gravité supposée de la conduite sous l'empire du cannabis. Bref, la France retient son souffle entre deux bouffées, ce qui est la bonne méthode pour apprécier la chose.

L'analyse des rapports de forces des protagonistes politiques du débat sur le cannabis tend à conclure que tant que l'on reste dans l'hypothèse des "pour" et des "contre", les défenseurs du joint récréatif jouent systématiquement en défense. Condamnés à devoir éternellement justifier leur consommation sur le plan sanitaire et sur le terrain moral, les militants du cannabis passent au mieux pour des utopistes, au pire pour des inconscients. De plus, ils doivent compter avec les foudres de l'ancien article L. 630, devenu L. 3421-4, qui pénalise toute présentation des drogues sous un jour favorable.
Du reste, les vertus psychotropes de la petite plante ne sont pas mentionnées explicitement dans le catalogue de vente des produits chanvriers de la boutique "Mauvaise graine". Cet aspect du produit n'est souligné que de manière anecdotique, pour en noter le caractère thérapeutique occasionnel et pour rappeler l'ancienneté de cet usage dans certaines sociétés. En bref, les adeptes du "chanvre global" revendiquent le droit de promouvoir un produit à la fois artisanal et industriel, pharmaceutique et commercial, utilisé de façon universelle et immémoriale par quasiment toutes les sociétés humaines pour faire des potions, des vêtements, des toiles, des boissons, des aliments et même... des produits de "consumation" courante.

Contrer les obstacles légaux

Cité comme témoin de la défense dans le procès de Montpellier, notre association, Asud, avait à justifier du contenu de son journal, dont le sous-titre, Journal des drogués heureux, avait attiré l'œil de policiers apparemment soucieux de voir les juges nous tirer les oreilles. Premier constat, l'évidente absence de connaissances des pandores sur la littérature liée aux drogues. Ces messieurs n'ayant saisi ni le second degré ni l'allusion au best-seller de Claude Olivenstein, Il n'y a pas de drogués heureux, se sont vengés sur du papier et ont saisi le journal. Deuxième constat, bien plus significatif, en douze années d'existence, Asud, groupe d'autosupport, n'a jamais été inquiété que pour ses écrits ou ses actions se rapportant à l'épineux problème du cannabis. En juin 1999, le président d'Asud a été condamné à 5000 francs d'amende pour l'organisation du "18 joint" 1998, puis en 2002, c'est la brigade des stupéfiants de Paris qui s'est intéressée à notre numéro spécial cannabis thérapeutique, celui-là même incriminé par les argousins de Montpellier en 2003. Le constat est clair : Asud-Journal peut publier une méthode de sabotage des contrôles urinaires, la recette de fabrication du rachacha, ou bien encore des conseils pour shooter le Skénan® à moindre risque sans encourir la moindre sanction pénale. Par contre, la plus petite allusion à la consommation de la drogue dite "douce", partagée ou tout au moins goûtée par sept millions de Français, et c'est la sanction qui tombe.
Pourquoi ? La réponse est paradoxale. Encore une fois, comme dans le cas du chanvre global, la réduction des risques évite stratégiquement de poser la question du droit aux drogues en s'intéressant d'abord aux usages nocifs. C'est parce que les drogues sont dangereuses qu'il est nécessaire d'informer les usagers sur la manière la moins périlleuse de les consommer. Or sur ce terrain, le cannabis est mal loti. Mises à part quelques alertes sanitaires sur le shit coupé à la crotte de chameau, le cannabis est peu susceptible d'entrer au palmarès des drogues "létales".
Dans le jargon sociosanitaire, on appelle prévention secondaire une information crue destinée aux consommateurs confirmés pour lesquels le discours d'abstinence n'est plus opératoire. Pour ceux-là et seulement ceux-là, la loi ne sanctionne pas des conseils objectifs de consommation à moindre risque. On arrive donc à cette situation étrange que la quasi-absence de risques sérieux liés à l'usage de cannabis empêche celui-ci de devenir un objet d'information explicite comme l'héroïne, la cocaïne ou même l'ecstasy avec le testing. Les associations de réduction des risques sont donc relativement démunies pour parler de la drogue la plus consommée dans le pays. Que reste-t-il aux fumeurs patentés pour trouver de l'information sur leur produit de "consumation" courante, si ce n'est la littérature issue du chanvre global ?

Zone à haut risque

Les groupes qui militent pour la légalisation du cannabis comme le CIRC ou le Mouvement de légalisation contrôlée du cannabis (MLC) de Francis Caballero sont non seulement dans le collimateur des autorités mais, qui plus est, pas vraiment concernés par des objectifs de réduction des risques. Leurs stratégie est justement de se situer sur le terrain du droit de prendre des drogues, la zone à haut risque soigneusement évitée par les partisans de la réduction des risques et du chanvre global. Pour contrer les obstacles légaux que la prohibition a installés pour empêcher tout débat sur les drogues, la réduction des risques d'une part et le chanvre global de l'autre constituent les mâchoires d'un nouvel outil pour contourner efficacement les dispositifs autobloquants de la loi de 70.

le chanvre global

L'expression "chanvre global" recouvre toutes les activités économiques, culturelles ou médicales liées à la production et à la commercialisation du chanvre, une plante de culture courante utilisée notamment dans la fabrication de cordes, de pâtes à papier ou de revêtements industriels. Cette appellation s'oppose dans le langage courant à celle de cannabis qui se rapporte plus exclusivement à la consommation du chanvre à des fins psychotropes. L'un des fameux exemples de la transformation du chanvre en cannabis est celui de la Jamaïque.
Cette île caraïbe colonisée successivement par les Espagnols, les Hollandais, puis les Anglais, possédait d'importantes plantations de chanvre destinées à subvenir aux besoins des bâtiments de guerres et de commerce de ces trois nations maritimes. Au début du XXe siècle, le culte rastafari, prenant son essor à l'initiative de Marcus Garvey, trouve dans cette réserve insoupçonnée de stupéfiants le moyen de lutter efficacement contre l'alcoolisation générale de la population d'anciens esclaves. Les encouragements à la consommation rituelle de la "ganja" ont fait du cannabis l'une des spécialités de la Jamaïque mondialement connue comme le fut en son temps le rhum du même nom.

Cannabis ou chanvre?

Cannabis et chanvre ne sont en fait qu'une seule et même plante, cannabis étant la traduction latine du mot chanvre. Leurs utilisations se répartissent en deux ensembles : les variétés à fibres ou "textiles" et les variétés riches en principe actif, le tétrahydrocannabinol (THC), communément désignées comme "chanvre indien".
A l'état sauvage, toutes les variétés de chanvre contiennent du THC et seule cette teneur en THC différencie chanvre "licite" et "illicite".
En France, comme dans la plupart des pays européens, la limite légale est ainsi fixée à 0,3% de la matière sèche et certaines variétés industrielles contiennent moins de 0,01% de principe actif.


* Chanvre en anglais