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SWAPS nº 32/33

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Economie

L'approvisionnement en haschich du marché français

par Alain Labrousse

 

La France constitue un très important marché des dérivés du cannabis : parmi les 18/75 ans, un individu sur cinq l'a déjà expérimenté, 6,5% le consomment au moins une fois dans l'année et 3,6% en font un usage répété1 . Les produits qui alimentent ce marché de plusieurs millions d'individus ont diverses sources.
 

Pour ce qui est du haschich, le dérivé du cannabis le plus consommé dans l'Hexagone, le Maroc, de très loin le premier producteur mondial de cette drogue, fournit 90% du marché. Le gouvernement français entretenant des relations privilégiées avec ce pays, comme l'a montré la récente visite du président de la République suivant celle du roi Mohammed VI en France, il est intéressant de se pencher sur les conditions de la production de cette substance et de son exportation.

Production en hausse dans le Rif marocain

Depuis une quinzaine d'années, les cultures de cannabis n'ont cessé de se développer au Maroc. Dans les années 1980, les experts les estimaient à environ 30000 hectares (ha). A l'automne 1992, lorsqu'il a lancé sa guerre à la drogue et demandé l'aide de la communauté internationale, le roi Hassan II a reconnu que les cultures illicites s'étendaient en fait sur 50000 hectares. Mais dès 1993, l'Observatoire géopolitique des drogues (OGD) se fondait sur une longue enquête de terrain pour établir une fourchette de 65000 ha à 74000 ha de cultures, soit un potentiel annuel de production de haschich compris entre 1500 et 2000 tonnes2 .
En janvier 1997, la Commission parlementaire d'enquête sur la drogue créée à la suite de la publicité faite au rapport de l'OGD, estimait, quant à elle, dans son rapport final que les cultures de cannabis au Maroc couvraient une superficie de 70000 hectares, ayant produit, en 1995, 1500 tonnes de haschich.
Enfin, une étude de terrain réalisée en 2001 a permis d'évaluer les superficies à plus de 100000 hectares tandis que selon la première grande étude menée par l'Organe contre le crime et la drogue des Nations unies (UNODC), qui devait être rendue publique en décembre 2003, les cultures de cannabis couvriraient actuellement 150000 hectares. Chaque année, en effet, elles s'étendent à de nouvelles régions.
Depuis 1999, par exemple, des paysans de Bab Berred et de Ketama louent de bonnes terres dans les régions de Mokrisset et de Zoumi dans le seul but de cultiver le cannabis3. Les habitants de ces régions, qui n'avaient pas de tradition de culture du cannabis, apprennent des nouveaux arrivants à la produire et c'est ainsi que se propage la culture illicite. Même phénomène dans la province de Tétouan où il est observable jusqu'à Tanger. Le problème, plus que l'extension des superficies, est leur progression vers des zones agricoles riches. À Bni Boufra et Zoumi, il existe même deux cycles de culture : on sème en février et en juin. Et quand on demande aux paysans quels sont leurs besoins, dans leurs réponses, tout est lié au cannabis (kif), en particulier l'irrigation. A Bab Berred, l'eau qui était destinée à irriguer les plantations de pruniers et de figuiers, a ainsi été détournée à son intention. Mais même lorsque la récolte est de 30 à 50% au-dessous de la moyenne en raison d'une pluviométrie insuffisante, comme en 2001, tout est vendu trois semaines après la campagne tant la demande européenne est importante. Il est vrai qu'aucune culture licite ne peut concurrencer le cannabis. Dans les conditions les plus défavorables (sécheresse, cultures non irriguées...), un hectare de cannabis peut rapporter annuellement de 3050 à 4573 euros. Une parcelle irriguée rapporte de 9150 à 13720 euros. En comparaison, le blé (7 quintaux à l'hectare) rapporte 686 euros et le maïs (10 quintaux à l'hectare), 762 euros. Même si d'importants programmes de développement très coûteux étaient mis en place, la moitié au moins de la population (soit un million de personnes) de cette région devrait donc quitter ses terres et, les villes du Maroc étant incapables d'absorber cette main d'œuvre supplémentaire, migrer en Europe. C'est probablement une des raisons pour lesquelles le gouvernement français préfère ne pas placer cette question à l'ordre du jour des relations franco-marocaines. Quant aux autorités du pays, elles préfèrent fermer les yeux pour ne pas avoir à faire des investissements dans une région berbère oubliée du pouvoir central. D'autant plus que les élites et les membres de l'administration -police, armée, préfets- de la région de Tanger, qui bénéficient du trafic en échange de l'impunité, sont fidèles au pouvoir pour lequel ils font voter.

 

Camions, avions, Zodiac...

Pour franchir la Méditerranée, les exportateurs marocains peuvent introduire le cannabis sur des cargos porte-conteneurs ou utiliser des bateaux de pêche ou de plaisance. D'importantes cargaisons sont ainsi envoyées par camions dans le sud, dans des ports comme Agadir, Essaouira, Casablanca, voire même jusqu'au Sénégal et en Côte d'Ivoire (6 tonnes de haschich marocain ont été saisies en 2000 sur le port de Dakar), d'où elles sont embarquées sur des bateaux afin de gagner la France, les Pays-Bas, la Belgique ou l'Allemagne. Les trafiquants ont même commencé à utiliser des hélicoptères et des avionnettes.
Mais le modus operandi le plus courant consiste à charger des canots pneumatiques type Zodiac équipés d'un ou plusieurs moteurs de 500 CV, munis d'un volant et protégés par une structure de toile. Ils sont capables de transporter 1500 kg de haschich par voyage dont la destinée la plus fréquente est la région de Malaga en Espagne. Parfois, des transbordements sur des bateaux de pêche et des yachts sont effectués au large. Les plus importantes zones d'exportation en Méditerranée sont celles des ports de Oued Lalou, Martil et Bou Ahmed. Les commanditaires sont des trafiquants qui vivent à Tanger, Rabat et la sur Costa del Sol espagnole. Ces derniers, pour se livrer en toute tranquillité à leurs activités, doivent acheter la complicité de la confrérie des pêcheurs du cru ainsi que, selon les cas, celles de la gendarmerie, de l'armée, des douanes et de la marine. A l'arrivée en Espagne, des agents des douanes et des policiers sont également corrompus.
Une partie de la drogue est stockée dans la région de Malaga. Des trafiquants de toute l'Europe, Néerlandais, Britanniques, Belges, etc., envoient des camions en prendre livraison. Certains d'entre eux sont arrêtés par les forces de répression après le franchissement de la frontière dans les Pyrénées-Atlantiques (7,06% des saisies françaises en 2001), ou dans la région des Pyrénées-Orientales (39,16% des saisies) : trafiquants britanniques (17145 kg en 2001), italiens (8750 kg), belges (4094 kg), allemands (1707 kg) et irlandais (1094 kg). Toujours en 2001, seuls 14226 kg étaient en fait destinés au marché français4. Mais comme pour la cocaïne, il n'est pas exclu qu'une partie de cette drogue revienne en France après avoir été conditionnée.

Différents acteurs

Différents types d'acteurs importent le haschich directement en France. Parmi les gros importateurs (autour d'une tonne), on a observé au cours des dernières années la présence de membres du grand banditisme qui se reconvertissent du braquage dans la drogue (phénomène que l'on retrouve également dans le cas de la cocaïne). D'autres trafiquants se contentent de gérer des importations allant de plusieurs dizaines de kilos à environ 200 kg. Pour cela, ils utilisent des passeurs "en caravane", une ou plusieurs voitures ouvrant la voie à celle qui est "chargée". Certains petits groupes de distributeurs dans les banlieues opèrent de la même façon mais pour leur propre compte. La troisième catégorie est composée d'amateurs. Des individus ou des familles qui profitent de leur séjour au Maroc (particulièrement durant les vacances d'été) pour ramener en France de plusieurs kilos à plusieurs dizaines de kilos de marchandise. Il ne semble pas qu'il existe de conflits entre ces différentes catégories d'importateurs, l'ampleur du marché permettant que chacun s'y fasse une place. Une partie de l'argent revient au pays et constitue une bouffée d'oxygène dans l'économie marocaine pour laquelle, avec la remise des économies des émigrés, il représente la plus importante source de devises.


1 - OFDT,
Drogues et dépendances. Indicateurs et tendances
2002, Paris, 2002.

2 - OGD,
Rapport d'enquête sur les enjeux politiques, économiques et sociaux de la production et du trafic des drogues au Maroc,
Bruxelles, Secrétariat général de la CCE, mars 1994.

3 - Alain Labrousse, Lluis Romero,
Rapport sur la situation du cannabis dans le Rif marocain (juin-août 2001),
OFDT, 2001.

4 - Guy-Jean Abel,
Introduction et développement des cultures alternatives dans le Rif marocain,
Bruxelles, Projet D-MC/93/21, 2000.