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SWAPS nº 32/33

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Terrain

Les arguments scientifiques sont mis en avant pour justifier les politiques en matière de cannabis. Pourtant, depuis 30 ans, on assiste à des modifications régulières des politiques... et des arguments qui les soutiennent. A la parution du rapport d'expertise de l'Inserm sur le cannabis, on pensait avoir enfin un document de référence sur lequel chacun (pouvoirs publics, professionnels, familles, adolescents...) allait pouvoir s'appuyer. Dès lors, comment interpréter des articles, livres,et autres thèses qui réinventent à leur manière le produit, ses effets et sa toxicité ? Nous avons voulu présenter un exemple de ce type de publications, probablement réalisé avec beaucoup d'honnêteté, mais qui perturbe considérablement, selon nous, une prise en compte claire de la consommation de cannabis dans notre société.

Gilles Pialoux

Une thèse en question

par Marianne Storogenko

 

En médecine, en pharmacie ou en science, la rédaction d'une thèse est l'occasion de réaliser une synthèse de l'état des connaissances actuelles sur un sujet donné. Elle permet également la confrontation de théories qui s'opposent, chacune soutenue par des données scientifiques, voire qui s'annulent.
En général, l'auteur, après avoir exposé différentes théories, hypothèses et affirmations, émet à son tour des interrogations, des doutes, voire, à la lumière des différents articles, ses propres hypothèses.
C'est dans cet esprit que nous avons analysé la thèse de Jacques Chamayou, intitulée "Les dangers du haschich: les dernières découvertes scientifiques sur le cannabis". Un titre prometteur donc.

 

Manque de rigueur scientifique

Dans un premier temps, le caractère partisan du préambule surprend.
Hélas, la suite de la lecture renvoie au manque de rigueur scientifique, aux raccourcis non étayés, aux affirmations intempestives, aux contradictions d'une page à l'autre, à l'absence de la prise en compte globale de la personne consommatrice de cannabis, à la méconnaissance et pire, au manque de curiosité à l'égard des patients, chacun unique de par sa physiologie, sa morphologie, sa psychologie, son environnement socio-économique, et son histoire.
Il y a un manque de rigueur scientifique quand sont énoncés les produits de mélanges (paraffine, huile de vidange, opium, pneus, strychnine, kérosène...) sans que jamais ne soit évoquée l'action toxique propre de ces produits, notamment chez les consommateurs à long terme ; quand, dans le chapitre pharmacocinétique, les différentes voies de métabolisation pulmonaire ou digestive ne sont pas décrites, les inductions ou inhibitions enzymatiques éludées. Les raccourcis non étayés sont nombreux et le passage de l'animal à l'homme assez rapide. Ainsi, si dans le chapitre relatif au lien existant entre consommations de cannabis et syndrome préfontal, des réserves sont évoquées quant à la confirmation nécessaire sur l'homme des résultats obtenus sur l'animal, ces réserves sont totalement oubliées dans le dernier chapitre.

Affirmations sans fondement

De raccourcis non étayés en affirmations intempestives, l'auteur affirme que "le THC (tetrahydrocannabinol) se retrouve dans le sang. Les effets sur le système nerveux apparaissent dès les premières secondes", ou que "le cannabis (...) modifie à long terme la plasticité synaptique et inscrit dans l'expression génétique de celle-ci une véritable dépendance"... Certaines contradictions sont telles qu'elles obligent à revenir aux pages précédentes, afin de lire avec davantage d'attention ce qui est écrit en amont. Ainsi, au début de l'ouvrage, il est indiqué dans le paragraphe intitulé "Biodisponibilité" que le THC est dégradé en métabolites actifs, puis, à la page suivante, dans le paragraphe "Métabolisme" qu'il est rapidement métabolisé en métabolites inactifs et enfin plus loin que son action est longue !
Enfin, et surtout, jamais les origines de la consommation de cannabis ne sont évoquées, jamais le contexte socio-économique du consommateur n'est appréhendé. Ces derniers n'existent que par leur consommation spécifique de ce produit... et forcément exclusive puisque jamais il n'est fait état de polytoxicomanie.

Méconnaissance du consommateur

Les injonctions, les affirmations que l'auteur préconise de soumettre à la réflexion du patient sont signes d'une méconnaissance totale de ce qu'est un patient, de son approche, de ce qu'il attend d'un soignant.
Outre les effets toxiques du cannabis, nous aurions aimé voir développer les effets de ce produit sur la douleur chronique, son mécanisme d'action sur la suppression des nausées et la stimulation de l'appétit, notamment chez les personnes cancéreuses, ainsi que sur la réduction des tics physiques et verbaux des personnes souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette.
Certains professionnels de la santé néerlandais reconnaissent une action thérapeutique au mélange dronabinol-cannabidiol, et des médecins l'utilisent en cas d'échec des thérapeutiques traditionnelles (voir l'article de B. Lebeau : Le cannabis n'est plus une "médecine interdite").

Enfin, on regrettera qu'un travail aussi bien documenté sur un sujet aussi intéressant n'ait abouti qu'à une thèse partisane.