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SWAPS nº 32/33

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Sanitaire

Les réalités multiples de l'usage de cannabis à l'adolescence

par Hassan Rahioui et Eric Malapert

 

L'évolution récente de l'usage du cannabis est caractérisée par la multiplication du nombre de consommateurs réguliers, l'abaissement de l'âge de début de consommation et l'augmentation de la teneur en principe actif du produit. En outre, l'usage devient de plus en plus solitaire. Parallèlement, on assiste à un empilement de rapports contradictoires sur le sujet, dont les conclusions suivent à peu de choses près les positions de leurs commanditaires.
Entre un débat sur la dépénalisation qui n'est pas prêt d'être clos et une consommation qui ne cesse de grimper, le discours officiel risque d'être inopérant car en décalage avec la perception et le vécu des adolescents qui ont du mal à saisir les enjeux de certaines positions.

Le cannabis est-il ou non une drogue dure ? On peut gloser à l'infini sur la question. Si certains produits ont incontestablement des conséquences plus dommageables sur la santé, il n'en demeure pas moins vrai que certains effets du cannabis, qui semblent peu nocifs, peuvent avoir des conséquences négatives sur l'avenir de l'adolescent. C'est le cas par exemple des troubles cognitifs et de leur lien avec la scolarité.
Notre objectif est d'essayer d'orienter la discussion vers le champ sanitaire, en mettant l'accent sur certaines réalités qui font l'unanimité, et en plaidant pour une prise en charge spécifique à chaque type de consommation : usage, abus ou dépendance.

Rapport et expertises

Le rapport remis en 1998 par le Professeur Bernard Roques1, neuropharmacologue, sur commande de Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat, sur les problèmes posés par la dangerosité des drogues, fait suite à ceux déjà remis par l'Académie de médecine et l'Académie des sciences. Aussi bien documenté soit-il, ce rapport a privilégié un angle d'attaque qui n'était pas de nature à clore le débat, très passionné, sur le cannabis. Ce rapport, qui ne tient pas suffisamment compte de la dimension psychosociologique de cette consommation, développe essentiellement une logique pharmacologique pour annoncer que le cannabis est moins dangereux que le tabac et l'alcool.
Pour faire tomber la tension et éviter les polémiques qui avaient accompagné la publication du Rapport Roques, la Mildt a chargé l'Inserm de mener une étude2 pour tenter de mettre fin au débat. Cette synthèse des connaissances disponibles en la matière apporte des éléments de réponse, notamment en ce qui concerne le lien entre la consommation du cannabis et certains troubles psychiques. S'il semble exister des relations statistiques significatives, les experts demeurent prudents quant à leur interprétation.

Troubles cognitifs et psychiques

En fonction des doses, certains effets négatifs sur l'accomplissement de tâches psychomotrices ont été mis en évidence : somnolence, perturbation de la mémoire immédiate, défaut de concentration intellectuelle, altération de la perception temporelle, augmentation du temps de réaction, voire troubles de la coordination motrice (Ameri, 1999)3. Par ailleurs, l'usage régulier et de longue date de cannabis peut induire une démotivation plus ou moins grande selon les individus.
Ces altérations fonctionnelles sont les plus fréquemment rencontrées et sont en règle générale considérées comme réversibles. Toutefois, elles n'en posent pas moins de réels problèmes lorsque, survenant à un moment du développement de l'individu, elles peuvent retentir sur le travail scolaire et entraîner, dans certaines circonstances, un échec scolaire lourd de conséquences sur l'avenir de l'adolescent.
Une intoxication massive peut parfois être à l'origine d'un épisode psychotique aigu. Il s'agit de la psychose cannabique, dont l'existence bénéficie d'une reconnaissance mondiale. En outre, la récurrence de ce trouble psychique coïncide avec de nouvelles prises de substance. En l'état actuel des connaissances, l'abus de cannabis ne paraît pas être un facteur étiologique de la schizophrénie. En revanche, il modifie son mode d'apparition et accentue les difficultés du traitement (Rahioui et al., 2003)4. Le cannabis peut, en effet, jouer un rôle de catalyseur dans une évolution psychotique qui aurait probablement eu lieu, en révélant des troubles schizophréniques latents.
Enfin, sur un plan pratique, l'évaluation clinique est parfois difficile devant l'existence de certains symptômes liés à la prise de cette substance comme le repli, l'apragmatisme, les hallucinations, les idées de persécution qui peuvent en imposer pour un diagnostic de schizophrénie et condamner ainsi un adolescent en l'orientant vers une prise en charge lourde. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de tenter un sevrage ou, au moins, une diminution de l'usage pour affiner l'analyse clinique.

Aspects psychosociaux

Fumer du cannabis à l'adolescence peut relever d'une conduite exploratoire fréquente à cet âge. Il peut parfois être utilisé comme moyen pour faire partie d'un groupe de pairs et se détacher des liens familiaux. Néanmoins, la prise de ce produit peut aussi être associée à un mal-être ou avoir une fonction d'automédication contre des angoisses, des réémergences de conflits ou des affects dépressifs.
Face à ces réalités multiples, il est inconcevable de tenir un seul et même discours pour l'expérimentateur qui veut juste essayer, pour l'usager dans un cadre festif qui essaye de surmonter un mauvais moment (mauvais résultat scolaire, rupture sentimentale...), pour l'usager régulier qui souffre d'un mal-être, ou pour celui qui en devient dépendant (à ce niveau, on entre encore plus dans les troubles de la personnalité). De plus, il faut tenir compte de la qualité de la relation familiale, de la relation aux pairs, de l'insertion sociale et de la scolarité, avant de pouvoir se prononcer sur la problématique de cet usage chez un adolescent.

Tant que les règles du "jeu" ne sont pas claires, avant de s'engager dans le débat particulier relatif au cannabis, les intervenants auprès d'adolescents devraient d'abord s'occuper des "soins" à apporter à ces derniers, eu égard aux liens possibles entre l'usage du cannabis et le développement de troubles cognitifs ou la naissance de certains troubles psychiques pour lesquels il faut réclamer des moyens et des infrastructures adaptées pour une meilleure prise en charge.
Nous ne pouvons que souhaiter un développement des travaux et un élargissement du cadre interprétatif de la relation entre cannabis et santé mentale, qui devrait également prendre en compte la dimension psychosociologique, de la même façon que les effets pharmacologiques liés à l'usage de ce produit.


1 - Roques B.,
La dangerosité des drogues.
Rapport au secrétariat d'Etat à la Santé.
Ed. O. Jacob, La documentation française, Paris, 1999, 316 p.

2 - Cannabis : Quels effets du sur le comportement et la santé ? Synthèse et recommandations.
Expertise collective, Inserm 2001.

3 - Ameri A.,
The effects of cannabinoids on the brain,
Prog Neurobiol 1999, 58:315-348

4 - Rahioui H., Malapert E., Ketabi K., Lauret S.,
Comorbidité; schzophrénie et consommation de cannabis. Quelles possibilités thérapeutiques ?
Synapse, juin 2003, n° 196.2125